Le bâtiment abritant la cour suprême du Burundi a été livré en février 2016 par l’agence Atelier D (Mattias Piani, Vanessa Grob, Ilhem Belhatem). Le Burundi est ce pays d’Afrique, proche du Ruanda, où le risque d’être retrouvé éparpillé, façon puzzle, est réel. D’où l’intérêt d’une cour suprême. Comment diable cette petite agence parisienne s’est retrouvée à construire une telle réalisation de prestige ? Récit.
En juillet 2010, l’agence remporte un concours international pour le siège de l’Union européenne à Bujumbura, la capitale du Burundi, pays francophone. Le parti pris de l’agence de faire usage des matériaux locaux et son expertise dans le domaine du ‘développement durable’ – le D de Atelier D – emporte l’adhésion du jury. Mais bon, l’Union Européenne maître d’ouvrage, le bâtiment n’est pas construit de sitôt.
Toujours est-il que les associés d’Atelier D avaient rencontré Pierre Henri De Moegen (AC Architecture), un architecte français établi de longue date à Bujumbura. C’est avec lui que Mattias Piani découvre l’architecture locale et ses maigres ressources locales, dont les ateliers de fabrication de briques. D’où ce premier projet pour l’UE destiné également à créer de l’emploi.
Le Burundi est l’un des pays les plus pauvres au monde, sinon le plus pauvre, les tensions ethniques récurrentes entre Hutus et Tutsis n’étant pas un facteur de développement d’un pays enclavé sans accès à la mer. A la fin des années 2000, l’UE avait lancé un ‘Plan Post Crise (PPR)’ dans le pays destiné notamment à construire ou agrandir les hôpitaux, surtout les hôpitaux de brousse. Une stratégie à la docteur Schweitzer faisant écho à une démarche de développement durable d’équipements publics répondant aux besoins en matière de paix, de sécurité, de gouvernance, de commerce, de cohésion sociale et de viabilité écologique. C’est dans ce cadre qu’Atelier D avait gagné le concours du siège de l’UE.
En parallèle, un financement du Royaume de Belgique était destiné à la construction d’un nouveau tribunal pour la cour suprême. Forts de leur expérience et s’appuyant sur les mêmes principes de conception bio-climatiques, Atelier D et AC Architecture emportaient également ce concours international (ils en perdaient deux autres entre-temps).
S’agissant d’une cour suprême, ici ou là-bas, les contraintes de circulation demeurent et le public, les magistrats, les avocats, les prévenus, etc. ne doivent pas se croiser. Le programme commandait deux salles d’audience, une grande (200 places) et une petite (50 places), la salle des pas perdus ainsi que des bureaux et les espaces techniques afférents. Un volume connexe dédié à la formation des juristes permet un fonctionnement autonome en relation avec l’espace public.
La dynamique verticale de l’ouvrage lui confère la solennité indispensable à sa fonction tandis que son dessein importe une vision contemporaine de l’architecture telle qu’elle pourrait se pratiquer à Paris, preuve sans doute d’une forme de vraie modernité dans cette capitale horizontale et l’espoir d’un futur possible à Bujumbura.
De fait, jamais sans doute le Burundi n’avait eu besoin d’un tel bâtiment incontestable. Pendant le chantier, en 2015, l’ouvrage, situé près de l’immeuble de la télévision nationale, est une victime collatérale des quelques jours de combat qui ont animé le quartier lors d’un coup d’Etat manqué. Le bardage porte encore à ce jour les traces d’impact des balles perdues tandis que les hommes de l’art retrouvaient des douilles de kalachnikov sur le toit.
A ce jour encore, selon la diplomatie française, «l’ensemble du territoire burundais est déconseillé sauf raison impérative». De préciser que «d’une manière générale, il est recommandé d’éviter de circuler dans l’ensemble de la ville de Bujumbura au-delà de 18h30 et de faire preuve d’une vigilance toute particulière une fois la nuit tombée». Et Mattias Piani, architecte à Paris, de respecter on s’en doute le couvre-feu lors de ses déplacements à Bujumbura, où il se rend désormais régulièrement.
Dans quelle autre notice architecturale convient-il de noter que «l’état politique du pays ne permet pas de dire quand [le bâtiment] sera inauguré et le financement prévu pour le mobilier bureautique et le matériel informatique (lots qui ne font pas partie de notre mission) a été gelé en attente d’une évolution politique» ? La visite de chantier officielle du président de la cour suprême s’est déroulée sous la protection des forces spéciales.
Autre avatar de l’exotisme, Atelier D fait remarquer avoir connu, pendant le chantier, une baisse de l’euro par rapport au dollar, «ce qui a fait se volatiliser 20-30% du budget travaux». Construire au Burundi n’est pas un long fleuve tranquille…
Surtout, «il fallait un projet qui fonctionne très bien dans un pays où il y a des coupures de courant quatre heures par jour, donc un bâtiment qui fonctionne sans climatisation», indique Mattias Piani. Non que la clim n’existe pas au Burundi, même le pays le plus pauvre du monde dispose d’Internet et d’hôtels de luxe avec piscine, mais «il n’y a pas d’entreprises qui font l’entretien». Dit autrement, quand la clim est en panne, elle l’est pour six mois, ou plus, à moins de faire venir à grands frais des pays voisins des entreprises un peu plus expertes.
«C’est la raison pour laquelle il nous a paru impératif de proposer un projet complètement bio-climatique», explique l’architecte. Au Burundi, le climat est équatorial, très humide, avec des vents qui soufflent principalement du Sud vers le Nord prenant la direction du lac Tanganyika. Enfin, Bujumbura se situe sur une faille (le lac Tanganyika) et est considérée zone sismique.
«Nous avons refusé le choix du tout importé tel qu’il est d’usage au Burundi et fait le choix d’utiliser une technique à base de terre afin de disposer d’un matériau réalisé sur place. Nous avons fait en sorte de minimiser les besoins du bâtiment afin que son exploitation ne soit pas compromise par une coupure intempestive du courant. La ventilation, l’éclairage et l’acoustique sont assurés avec des résultats optimaux de façon passive. Chaque étage dispose d’un petit onduleur qui gère les fonctions jugées prioritaires et nous n’avons pas installé de technologies complexes et coûteuses».
Pour le gros œuvre, le second œuvre et menuiserie, Atelier D a travaillé sur place avec SinoHydro une entreprise chinoise de seconde génération en ce sens qu’au lieu d’importer massivement ses propres ouvriers, elle fait appel à de la main d’œuvre locale, laquelle fut en l’occurrence payée plus du double que le salaire habituel. A ce sujet, Mattias Piani note avoir eu affaire à une entreprise impliquée – «c’était leur premier chantier au Burundi, ils voulaient le réussir» – même si parfois les soucis de traduction ont occasionné quelques maux de tête, l’occasion pour l’architecte de noter par ailleurs que les traducteurs burundais, tous ayant fait leurs études en Chine, se débrouillent bien mieux que des traducteurs chinois n’ayant fait leurs études ni en Europe ni en Afrique. Mais bon, «je ne serai pas monté sur l’un de leurs échafaudages», se marre Mattias Piani qui se félicite de n’avoir eu aucun accident à déplorer sur le chantier.
Tous les éléments techniques, panneaux de façade, W.C., etc. devaient être livrés via un port en Tanzanie avant d’être acheminés par la route puis par bateau en remontant le lac Tanganyika. Considérant qu’il faut presque une journée à un camion pour parcourir 200 km, les commandes étaient effectuées six mois à l’avance et il ne fallait pas se planter dans le phasage.
L’occasion pour l’architecte de souligner l’importance du fait que si la maîtrise d’ouvrage est bien le ministère de la justice Burundais, c’est aussi grâce à la Coopération Technique Belge (CTB, l’agence belge du développement), maitrise d’ouvrage déléguée, qui tenait les cordons de la bourse, que le chantier s’est bien passé et qu’Atelier D a pu «apporter une façon de faire et d’aborder le projet dans un contexte global qu’il s’agisse du climat, des matériaux ou des contraintes liées au pays».
C’est dans ce cadre que le projet avait également pour vocation induite de former les entreprises locales. Qu’il s’agisse des nouvelles productions de briques de terre ou de leur mise en œuvre ou de l’appareillage spécifique pour l’acoustique réalisé avec la brique locale, elles avaient tout loisir de s’approprier les nouveaux savoir-faire acquis pour l’édification de l’un des plus hauts bâtiments de la ville, un bâtiment iconographique, le premier aux normes antisismiques.
Surtout, les architectes ont compris qu’ils avaient gagné leur pari quand ils ont vu les fonctionnaires du ministère de la justice adjacent quitter leurs bureaux pour préférer venir travailler au frais, sans la clim, dans la grande salle d’audience de la cour, avant même que le bâtiment ne soit livré.
A noter encore que le budget n’avait pas intégré la partie végétalisation. Ce sont donc les architectes eux-mêmes qui sont allés à la pépinière et ont planté les arbres. Cela peut paraître un détail mais il est représentatif de l’approche régénérative que défend désormais l’agence parisienne.
«Le développement durable tend à proposer un impact neutre ou minimal, nous pensons qu’un bâtiment régénératif se doit d’avoir un impact positif et dynamique sur son territoire en générant de nouveaux liens», explique Mattias Piani.
Démonstration avec cette re-végétalisation du site. «Tous les arbres furent coupés au fil de la guerre civile et les forêts primaires du pays ont disparu. Les arbres plantés ici vont permettre aux oiseaux de revenir, lesquels à leur tour pourront en disperser les graines», explique-t-il. «Si je ne plante pas d’arbres, rien ne va changer», dit-il encore pour souligner que ce principe de régénération peut selon lui s’appliquer à toutes les échelles. «Si on ne fait que des bâtiments performants, le monde sera-t-il meilleur ? Une insertion harmonieuse dans l’environnement doit créer des liens pour faire en sorte d’améliorer l’écosystème dans lequel il s’insère», conclut-il. CQFD. Ce sont donc les architectes qui ont planté les arbres de la cour suprême du Burundi.
En attendant que poussent ces graines, bonne nouvelle, en janvier 2017, à Bujumbura, les travaux pour le siège de l’UE sont enfin lancés, enfin peut-être…
Christophe Leray