Alors que la loi ELAN permet désormais aux organismes sociaux d’y déroger, Michèle Attar, directrice générale de la SA HLM Toit et Joie, réaffirme la nécessité du concours d’architecture dans la construction des logements sociaux. Tribune.
Je me souviens d’un organisme HLM dont j’ai été administrateur provisoire et que j’ai redressé. Il se porte bien aujourd’hui et avec les équipes en place nous avons fait un travail magnifique.
Mon seul regret est de n’avoir jamais pu convaincre ni le directeur qui m’a été succédé ni le conseil d’administration de l’intérêt d’une architecture variée et inventive. Ainsi 1 000 maisons individuelles ont été réalisées toutes signées par le même architecte… Une catastrophe….
Quels étaient les arguments qui prévalaient ? La rapidité, l’économie, l’efficacité, les mêmes que défendent les détracteurs des concours aujourd’hui.
L’expérience m’a montré que la bonne architecture ne coûte pas plus cher que la mauvaise et que la réflexion amont est un facteur de qualité et de progrès.
Le mouvement HLM et la société française en général se sont souvent montrées réticentes à tout ce qui apparaissait comme des normes et des contraintes. C’est oublier que la norme est aussi facteur de progrès. Les normes ont historiquement permis de faire des progrès importants en matière de sécurité de salubrité, de confort, de performances énergétique….
C’est avec ce regard qu’il faut regarder l’obligation de procéder à des concours de maitrise d’œuvre et ce pour plusieurs raisons :
La première est qu’ils donnent aux consultations de MOE une certaine garantie quant aux règles de la commande publique. Quand on sait le montant des honoraires qui sont en jeu dans un certain nombre de cas (et en particulier sur les opérations de réhabilitation lourde) cette garantie de transparence n’est pas mal venue.
La seconde est de choisir les maitres d’œuvre en fonction de critères clairement affichés. Pour reprendre l’exemple des réhabilitations lourdes en milieu occupé, les concours que nous organisons font désormais une large place à la méthodologie de chantier et d’accompagnement des locataires par la maitrise d’œuvre et aux partenariats mis en œuvre dans le cadre de MOUS. C’est le choix de notre société. La règle du jeu est claire et ouvre de nouveaux critères de choix qui sont déterminants à notre sens pour l’avenir de l’opération et sa réussite.
La troisième est bien sûr de de favoriser la qualité architecturale et urbaine. C’est tellement évident qu’il ne me semble pas nécessaire de revenir sur cet aspect. Mais cette qualité ne se décrète pas et surtout ne se décrète pas seul. Il y a toujours plusieurs options possibles, plusieurs scénarii. Ce qui est nécessaire est de dégager autant que faire se peut un consensus entre les membres du jury.
Or l’intérêt d’un jury est d’être pluriel, d’associer des salariés de l’entreprise mais aussi – et c’est notre cas – un membre du conseil d’administration, des élus, des architectes, un membre du CAUE, parfois un représentant de la DGCCRF…. Le dialogue avec les élus est déterminant et nécessite une pédagogie réciproque : compréhension des enjeux de chacun, prise en compte d’impératifs de gestion, prise en compte d’enjeux municipaux (crainte des recours, calendrier électoral…)
A cela s’ajoute la nécessité de faire faire abstraction à certains membres du jury de l’image de la façade qui fausse – si l’on n’y prend garde – le jugement, d’où la nécessité de prendre du temps pour aider les non professionnels à analyser un plan masse, des plans de cellule, à apprécier les pistes d’innovation proposées par les maitres d’œuvre….
Enfin nous pratiquons les concours assortis d’un oral où les architectes peuvent venir exposer et défendre leur projet. C’est souvent extrêmement intéressant, formateur et cela permet de comprendre la démarche qui a prévalu à l’élaboration du projet. Cela permet aussi de lever des incompréhensions qui auraient pu annihiler les chances d’un projet.
A contrario chacun voit bien depuis une dizaine d’année, avec la montée en régime de la part des VEFA dans la production du logement social, que les promoteurs privés ont pris un rôle nouveau dans ce secteur de la construction des villes qui était jusqu’alors l’un des rares à leur échapper.
Or ceux-ci étant habitués à des logiques de commercialisation classique, leur production tend à une uniformité de forme architecturale qui correspond à une forme de « goût moyen » qui appauvrit les villes, sans compter que, n’ayant pas à assurer la gestion des immeubles construits, la rentabilité des opérations leur importe davantage que leur pérennité. Dans ce processus, l’architecte n’est souvent qu’un exécutant dont le rôle se limite à optimiser le rendement de plan et à chercher les solutions les plus économiques, souvent en partie au détriment de la qualité.
Le risque avec la disparition du concours de MOE est que les bailleurs sociaux finissent par s’aligner sur la manière de faire des promoteurs et par perdre ce qui a été l’un de leur grand mérite au cours du siècle passé : être les fers de lance de l’architecture.
Pour permettre la généralisation des concours peut-être faut-il les alléger et simplifier quelques lourdeurs.
Les concours de maitrise d’œuvre sont également productifs pour les architectes eux-mêmes. Outre l’incitation à proposer le meilleur projet dans le cadre d’une émulation provoquée par la mise en concurrence, ils ont le mérite de permettre à de jeunes architectes (ou moins jeunes !) de se faire remarquer et d’accéder à la commande sur leurs seules compétences professionnelles.
A Toit et Joie quand nous faisons concourir trois à quatre équipes, nous essayons le plus souvent possible de prendre une jeune équipe inconnue. Certaines ont gagné contre des stars !
Les détracteurs de concours arguent que ceux-ci allongent les délais d’opération et coûtent cher. Je pense sincèrement que c’est un faux problème. En moyenne, entre l’étude du terrain et la livraison des logements, nous mettons cinq ans à sortir une opération. Le concours peut être inclus (souvent en temps masqué) dans ce délai. L’opération va vivre entre 50 et 80 ans. Que sont quatre mois à l’échelle de vie de l’opération et des enjeux qu’elle représente ? Car, en effet, le délai d’un concours n’est que de quelques mois.
En revanche, le principal problème des concours aujourd’hui tient à la manière dont de plus en plus d’aménageurs fonctionnent en lançant des consultations imposant aux bailleurs d’avoir un pré-projet et donc un architecte. Ce qui pour le coup, en terme de délai est tout à fait incompatible avec l’organisation de concours de MOE.
Enfin le coût : nous indemnisons trois à quatre équipes – les architectes considèrent toujours que l’indemnité est insuffisante ! – pour un montant qui lui aussi est sans signification par rapport au montant de l’opération et des enjeux qu’elle représente dans le temps et dans l’espace.
Je terminerai en disant que si Toit et Joie pratique les concours sans réticence, c’est aussi parce que nous aimons cela et que nous ne pouvons dissocier la notion de plaisir du travail. Imaginer une opération après une étude faisabilité et laisser le temps à d’autres de l’imaginer autrement, d’enrichir la réflexion, de découvrir les projets est un plaisir pour les équipes de maitrise d’ouvrage mais aussi pour tous ceux dans l’entreprise auxquels nous avons donné le gout de l’architecture.
L’architecture, un métier à la croisée des arts et de la technique, nécessite un minimum de formation pour ceux qui la lisent et la sélectionnent. Là réside l’enjeu de la culture architecturale et du débat qui nous anime. Former nos équipes à l’architecture n’est pas aisé (pas plus au demeurant qu’il n’est aisé de former les architectes à la maitrise d’ouvrage). C’est un travail long, nécessitant pédagogie et partenariats.
Quels que soient les projets législatifs en cours, nous poursuivrons dans cette voie en ce qui nous concerne.
Mon regret aujourd’hui est de ne pas avoir acquis les voies et moyens d’associer les locataires à cette culture. Mais c’est un autre débat et une autre histoire…… »
Michèle Attar
Directrice générale de Toit et Joie, SA HLM, filiale de la Poste
13 mars 2018