Comment s’assurer que les Champs-Elysées resteront attractifs dans vingt ans ? Une place de l’Etoile à 5 000 arbres ?
Les Champs-Elysées perdent petit à petit leur pouvoir d’attractivité aux yeux des Parisiens. C’est un changement «d’image» qui s’opère. Rester la plus belle avenue du monde suppose de renforcer la surprise, l’audace au XXIe siècle. Loin des quelques arbres supplémentaires plantés ça et là, ou de l’élargissement des trottoirs, c’est un vrai projet qu’il faudrait envisager, sans avoir peur d’ouvrir le débat. A l’heure où tout le monde se focalise sur la flèche de Notre-Dame, savoir si l’on doit la reconstruire à l’identique ou lui donner une nouvelle forme, l’enjeu est autre : la ville de Paris se «consume à petit feu», il lui faut un avenir qui ne soit pas que touristique.
Nous vivons plutôt bien dans Paris grâce à Haussmann mais nous avons tendance à l’oublier très vite. Paris intra-muros est un peu une ville finie, congelée, à de rares exceptions près. Culturellement, nous ne supportons ni l’inachèvement, ni l’altération, ni le prolongement, ni l’extension… c’est pourtant tout ce qui fait la beauté de la vie. Nous voudrions que les choses soient figées, définitives en oubliant que la ville que nous partageons aujourd’hui résulte d’opérations d’interventions parfois violentes. La beauté a un prix.
Il y a une logique de la ville qui se dessine actuellement et que l’on ne peut ignorer. L’évidence tient dans un paradoxe apparent : le ralentissement des déplacements (la disparition annoncée des voitures) produit une mutation du commerce qui se paupérise et libère de l’espace (il suffit d’observer la multiplication des terrasses et brasseries dans Paris). Cet espace libéré est de plus en plus affecté à de la végétalisation mais, à un moment donné, son effet sera contre-productif.
Il faut se référer à l’histoire si l’on veut apporter une vraie réponse et non se satisfaire de quelques effets de mode, rajouter deux rangées d’arbres, ou peindre les trottoirs pour attirer quelques badauds désœuvrés.
Le jour où J.J. Hittorf a présenté au préfet Haussmann le panorama des Champs-Elysées, c’est la proposition d’aménagement de la place de L’Etoile, avec ses douze pavillons, qui a retenu l’attention de ce dernier : «Monsieur l’architecte, vous vous êtes trompé d’échelle, vos bâtiments sont trop petits».
Question d’échelle, à l’évidence, mais pas seulement car l’échelle est aussi affaire de vitesse de déplacement et de présence ou non d’éléments de nature. La place, construite par Hittorf avec ses bâtiments, a été maintenue sans grands changements. Le préfet décida de planter des arbres de hautes tiges en attendant des jours meilleurs. La nature a horreur du vide et la ville horreur des terrains vagues. Aujourd’hui, il n’y a plus de terrain vague, la place de l’Etoile contient le «second souffle» de l’Avenue des Champs-Elysées.
«Le Comité Champs-Élysées et la Mairie de Paris souhaitent insuffler un nouvel élan aux Champs-Élysées d’ici 2025, dans le cadre d’un projet de renouveau de cette trame historique». Très bien. Quel est la nature de ce projet ? S’agit-il d’un embellissement ? Si oui, lequel ? S’agit-il d’augmenter le chiffre d’affaires des commerces, d’élever la notoriété ? Ou bien d’ouvrir la mixité des activités, d’implanter davantage de restauration rapide ? S’agit-il enfin de donner au centre de Paris l’image d’une capitale économique dynamique qui respecte son patrimoine et regarde l’avenir sereinement ?
Le débat n’est pas tranché, loin de là. La pyramide du Louvre a soulevé beaucoup de questions, la nouvelle façade de la Samaritaine n’a laissé personne indifférent et ne parlons pas de Notre-Dame. La protection du patrimoine, par nature, devrait empêcher toute évolution, évolution souhaitée et évolution subie.
Depuis sa création, l’avenue n’a cessé d’évoluer, insensiblement, toujours dans le sens de l’élégance. Les embellissements se sont succédés, les terrasses se sont agrandies, le chiffre d’affaires des commerces n’a cessé de croître, on envisage aujourd’hui de verdir davantage et de réduire la circulation. La fréquentation sera de moins en moins mixte et de plus en plus touristique.
Il s’agit en fait d’un vrai problème d’urbanité, de masse critique, d’offre, de mixité d’activités, de mixité sociale. On pourrait donc répondre à cet enjeu urbain par l’introduction de plus de verticalité, une plus grande densité de logements, d’activités, de commerces. Une agréable lenteur qui ferait du centre de Paris un lieu privilégié pour les touristes mais aussi pour les Parisiens et la périphérie. C’est ce qui se passe actuellement dans le quartier des Halles.
Nous devons voir l’avenir des Champs-Elysées en prenant en compte la transformation des activités, la distribution, les effets du développement durable. Soit l’avenue va rester paralysée et confrontée à la stagnation du chiffre d’affaires sans emporter un regain d’intérêt de la part des Parisiens. Soit nous prenons en compte l’opportunité qui nous est donnée d’opérer une nouvelle mutation : redonner une dimension luxueuse aux Champs-Elysées en libérant la construction. Sinon sa paupérisation sera inéluctable.
Pour ma part, la vraie transformation, le projet à l’échelle de la capitale, n’est pas sur le périphérique avec des ronds et des triangles mais sur ce que le baron Hausmann avait déjà pointé du doigt : l’espace autour de la Place Charles-de-Gaulle, la couronne qui enchâsse l’Arc de Triomphe. L’erreur d’échelle va sinon être encore plus criante avec la disparition de la circulation automobile dans le centre de la capitale. On doit «réinventer Paris» en tirant la ville vers le haut.
L’Arche a mis la Défense dans Paris, pourquoi la perspective des Champs-Elysées ne se prolongerait pas jusqu’à Nanterre ? Il n’est pas besoin de faire beaucoup d’effort pour comprendre tout le bénéfice que Paris pourrait tirer d’un projet, iconoclaste certes, mais tellement plus ambitieux qu’il en devient évident. La perspective resterait intacte, l’arc de triomphe serait serti dans un anneau de verre, et non de verdure.
Le projet ? Douze tours de trente-trois étages pour un concours de beauté et une couronne de cristal. Là où tout le monde pense que la hauteur est signe de modernité, la beauté viendra de la dimension bioclimatique de cet appareil architectural qui s’inscrit dans le droit fil de l’histoire. La modernité sera dans la capacité à créer une attraction (au-delà des résistances rétrogrades), un ensemble attentif à la ville qui lui redonne une énergie en voie d’épuisement, une sorte de manifeste pour l’avenir.
Ce n’est pas en mettant la tête dans le sable, plutôt dans la salade, que l’ambition surgira. Ce n’est pas en rendant cette ville souterraine que la lumière se fera. Il est temps de prendre le taureau par les cornes. Le luxe est en rapport avec la verticalité, «UN ANNEAU DE VERRE»* s’élèvera dans le ciel des Champs-Elysées. Notre histoire a un avenir, Paris doit rester et devenir un Grand Paris. Cette fois c’est Paris qui fait rentrer la Défense en son sein.
Alain Sarfati
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*L’anneau de cristal : 400.000m² de plancher, bureaux, logements, activités et 30.000m² de commerces. (En comparaison, le Forum des Halles en compte 75.000m²)