Prix de l’Académie d’Architecture de France, Grand prix de l’Académie des Beaux-Arts de l’Institut de France, Grand prix national de l’architecture, Prix de l’Équerre d’Argent, Prix de l’Union européenne pour l’architecture contemporaine Mies van der Rohe, Prix d’architecture du magazine d’A et celui d’AMC, Prix de la jeune architecture, Grand prix de l’architecture, Global Award for sustainable architecture, Pritzker prize, prix Aga Khan d’architecture, Prix Versailles, Praemium Imperiale, prix Wolf, Lion d’or à la Biennale de Venise, Grand prix spécial de l’urbanisme, Grand prix de l’architectural review, les MIPIM awards, Wan awards et autres Archinovo….
L’intitulé d’un débat a immédiatement retenu mon attention, avec un jeu de mots sur le mot prix : «L’Architecture à quel Prix ? De l’importance des Prix d’architecture pour construire un avenir durable».
D’abord, l’architecture coûte-t-elle plus cher ? Au vu de quelques dérapages indécents, on pourrait le croire mais l’exception n’est pas la règle et ma réponse est non. L’économie de la construction mériterait un approfondissement, surtout aujourd’hui où les CREM se généralisent. A ce rythme, les architectes n’auront bientôt plus que leurs yeux pour pleurer tant ils sont dépendants des stratégies stratosphériques alors que l’architecture pourrait permettre de faire des économies si les règles de formation des prix étaient un peu plus transparentes. En fait, il s’agit de bien autre chose.
Cette année, ce sont les quarante ans du Pritzker Price, un outil de valorisation. Le prestigieux Pritzker est né quand le Grand Prix de Rome a été jugé trop académique. Avant de jeter le Prix de Rome dans l’eau du Tibre on aurait pu aussi se poser la question : que voulons-nous au juste reconnaitre ? Aujourd’hui, les prix Pritzker sont-ils des exemples, des modèles que les architectes puissent suivre ou imiter ? La mondialisation donne un peu le sentiment d’une uniformisation alors que le sens de l’architecture est justement de montrer une différence, une diversité, une altérité, par des exemples nourris d’une culture mettant le local au cœur du global.
L’Académie d’architecture, dont l’activité économique (la série centrale des prix) s’est muée en instance de reconnaissance professionnelle, aura à sa manière participé à cette dérive. S’il est important de reconnaître une valeur et de la récompenser, la question est : que récompense-t-on ? L’homme ? L’œuvre ? Une démarche ou le matériau utilisé ? Bien que l’évaluation ne soit pas chose facile, le vrai sujet, celui qui fait l’actualité hebdomadaire en architecture, ce sont les prix. Des prix qui se multiplient et mettent à l’honneur un matériau, une spécialité, sans parler du chiffre d’affaires… On a les spécialistes des bureaux, les spécialistes des hôpitaux, des aéroports, des piscines, des logements.
La nouveauté est aussi dans la nature des prix : Fimbacte, prix de la construction en béton, matériau «adoré» de la profession parce que «dans le béton tout est bon». Cela mérite que l’on s’intéresse aussi à ceux qui le font chanter. Désormais, un Pritzker éprouve le besoin de s’enfermer dans l’éloge du matériau unique par sa plasticité. On a le prix de la construction en bois qui a toute sa légitimité puisqu’il ne «brûle pas». Vient aussi le prix de la construction en acier «qui ne rouille pas», sans oublier les multiples prix pour les revêtements de sols, des toitures, des vêtures…
Donc, l’architecture serait liée à un matériau ou à une spécialité. Alors, ceux qui sont dans la reproduction d’une même spécialité proposent-ils une meilleure architecture que ceux qui font l’effort d’en découvrir tous les contours ?
Le Corbusier disait : «Vous utilisez la pierre, le bois et le béton, et avec ces matériaux vous construisez des maisons et des palais. C’est la construction. L’ingéniosité est au travail. Mais soudain tu touches mon cœur, tu me fais du bien, je suis heureux et je dis : c’est beau. C’est l’architecture. L’art qui entre».
La situation aujourd’hui est plutôt inquiétante parce que la spécialisation, «spécialisée», signifie une relation privilégiée avec un type de maîtrise d’ouvrage. Un architecte spécialisé dans la construction en brique, en terre, en acier ou en béton et qui ne serait pas capable d’être indépendant de la construction, c’est grave ! Dans le même genre d’idée, Georges Perec s’était amusé à faire disparaître tous les e dans son écriture… c’était un exercice de style. Que dire d’Alvar Aalto, de F. Ll. Wright, ou de Hans Scharoun dont les œuvres brillent par la richesse des matériaux utilisés.
Et comment «être durable» tout en se promenant avec l’étiquette d’un seul matériau ??? Il y a là une contradiction incroyable !
Deux revues d’architecture ont eu la bonne idée de mettre leur titre au pluriel «CREE ARCHITECTURES» et «D’ARCHITECTURES». Ce pluriel a du sens car il renvoie à une diversité de pratiques, à des architectures différentes qui s’enseignent, à d’autres qui se conçoivent, à celles qui se construisent, une théorie de la pratique laissant entrevoir le désir d’alimenter l’une par l’autre. Ouvrir un débat riche et pourtant, à travers ce pluriel, la multiplication des récompenses, des spécialités apparaît comme l’indice d’une implosion inquiétante.
La revue D’A, dont le propos initial était le débat sur et autour d’architectures et la transversalité, a aussi lancé son palmarès parce que les plus grosses agences d’architecture méritent bien un peu d’attention ! Quand on demande aux architectes sélectionnés de payer pour figurer sur la liste, ce n’est pas étonnant de voir les agences classées en fonction de leur chiffre d’affaires !
Vous connaissez le chiffre d’affaires actualisé des «meilleurs» architectes du XXe siècle ? Voilà une question que j’adresse à D’A, ils n’ont pas honte ! On ose un classement des agences, uniquement en fonction de leur chiffre d’affaires avec publicité payante sur une double page.
On a touché le fond, il reste à remonter à la surface, mais cela ne se fera pas avec des revues sans dimension critique, sans débat, avec un point de vue étriqué ou aveugle. Les grands promoteurs n’ont plus qu’à s’associer avec les grosses agences pour faire des projets remarquables, l’architecture n’ayant plus d’importance. Le chiffre d’affaires est devenu le rouleau compresseur de notre époque. Que faire pour que l’architecture soit à nouveau pensée de façon plurielle, diverse, multiforme et que la multiplication des récompenses devienne l’indice d’une architecture plus riche et contextuelle.
L’ancien régime, puis la République, attachaient une telle importance à l’architecture que l’on n’hésitait pas à désigner l’Architecte du roi, ceux de l’empire et de la république. Le prix de Rome est devenu la voie royale de la reconnaissance puis le plan construction, avec le PAN et les grands prix nationaux d’architecture, sont venus récompenser un projet, une œuvre. Les critères qui prévalent aujourd’hui sont la taille de l’agence, le chiffre d’affaires, la capacité à communiquer, le marketing. Les grands prix d’urbanisme, les prix du paysage ont suivi, il manque aujourd’hui le grand prix du jardinage, du coloriage et du copinage….
Innovapresse a lancé son palmarès de la promotion, chiffre d’affaires oblige, honneur aux plus gros ! La liste des prix ne cesse de croître, ce qui n’est pas nécessairement bon signe à moins que l’étiquette de collectionneur soit le signe d’une nouvelle qualité architecturale. Le besoin de reconnaissance est grand, pas seulement chez les architectes, mais aussi chez les promoteurs et les entreprises. La confusion s’installe, sans provoquer la moindre réaction, c’est l’égalitarisme qui frappe, le relativisme est à l’ordre du jour : il en faut pour tout le monde ! Ne pas avoir de prix serait finalement synonyme d’indépendance d’esprit et de liberté.
Que serait donc un bon architecte ? Une personne capable de s’attaquer à des programmes différents et de changer d’échelle pour répondre, de la façon la plus juste, à une situation singulière. Là serait sa distinction. Quelqu’un qui transforme toutes les opportunités en projet, rendant compte d’une vision du monde plus attentive, enrichie de ses différences, et pour qui l’éthique se transforme en esthétique.
Si pour Gilles Deleuze «la philosophie est l’art de construire les problèmes», pour moi l’architecture est l’art de résoudre les problèmes en donnant les réponses les plus justes. L’architecture doit être indépendante de la construction et un bon architecte doit pouvoir construire avec toutes les techniques disponibles, en fonction du contexte, des ressources et non des lobbies ou des modes. C’est dire combien il paraît dangereux de cantonner les architectes dans une spécialité bois, béton, piscines, ou autres.
Une architecture est attendue en rapport avec un contexte, une économie, une culture locale. La nature d’un programme impose la capacité à utiliser tous les matériaux disponibles pour faire le choix le plus approprié ici et maintenant.
On pourrait rêver d’un nouveau prix, mais très improbable, celui qui récompenserait l’ensemble d’une capacité à penser, à concevoir, à construire la diversité, une vision globale de l’architecture. Les spécialités ne font que se refermer sur elles-mêmes, devenant des niches qui excluent l’innovation architecturale. La grande perdante n’est autre que l’architecture. C’est comme si un pianiste n’utilisait qu’une partie du clavier.
L’idéal serait qu’à la question : quelle est votre spécialité ? On puisse répondre : l’architecture ! C’est d’abord une démarche, des émotions, des questions qui nourrissent le quotidien de découvertes. C’était la spécificité et la force de l’architecture française. Cette architecture interroge la société, elle est le matériau de la ville, cette ville qui s’est échappée et que nous avons le devoir de reconquérir pour ne pas mettre la démocratie en péril.
Alain Sarfati
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