L’auditoire réuni le vendredi 17 juin à la Maison de l’Architecture d’Ile-de-France n’a pas beaucoup rigolé quand il s’agissait de dresser le bilan du pari osé du Grand Paris. Dans le cadre du mois de l’architecture en Ile-de-France, le journal Libération et l’Atelier International du grand Paris (AIGP) avaient organisé une double table-ronde, réunissant les acteurs historiques du conseil scientifique de ce qui s’est révélé au fil du temps être une sacrée usine à gaz. Sensations.
Un premier constat s’impose : la première table-ronde de cet après-midi de discussions est essentiellement composée d’hommes, de ceux qui ont fait et pensé la ville de la seconde moitié du XXe siècle. Il est toujours intéressant de rappeler les concepts généraux qui guident chacune des équipes membres de l’AIGP. Cependant, il flotte dans l’air comme une impression de déjà-entendu et pas seulement depuis huit années. Les rhizomes de Christian de Portzamparc, Roland Castro et le rôle politique et social de l’architecture, ou encore la problématique de la grande échelle chère à Antoine Grumbach. La moyenne d’âge des conférenciers dépasse les 70 ans et la caution jeunesse incombe à l’allemand Finn Geipel, à 57 ans plus tout à fait un jeune premier.
Et puis, aucune femme ou presque dans les équipes du Grand Paris, à part Sophie Denissof et Silvia Casi, associées de Roland Castro tandis qu’Elizabeth de Portzamparc n’intégrera que le second conseil scientifique, en 2012. A l’heure où la parité est un sujet de société qui intéresse également la conception de la ville, le constat est troublant. Parmi les intervenants du jour, seule Dominique Alba, 58 ans et depuis 2012 directrice générale de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (Apur), faisait entendre sa voix aux côtés de Guy Ansellem, président de la Cité de l’architecture et du patrimoine et comme elle la voix de l’administration. Bref, pour le dire crûment, pour ces tables-rondes, de vieux tromblons et des fonctionnaires ? Symbole parfait de la France en marche ?
La seconde table-ronde posait la question : «Qu’avons-nous fait du Grand Paris ?» Paul Chemetov, 88 ans au compteur, est le doyen assumé de l’assemblée et surnommé à l’occasion «le patriarche». Ce qui en dit long sur son statut d’indéboulonnable et sur les us et coutumes de l’institution. A ses côtés – par skype interposé, tiens une technologie du XXIe siècle, – Michel Lussault, 56 ans, géographe aux origines de la consultation.
L’ancienne chapelle du couvent des Récollets – un autre symbole de modernité – était pleine à craquer pour l’occasion, avec là encore une majorité de cheveux blancs dans le public. Il faut dire que ces conférences-débats avaient lieu entre 14h et 17h, pile-poil l’heure où les gens – entrepreneurs, salariés, habitants et autres jeunesses – de moins de 65 ans travaillent. Dominique Alba pouvait déplorer que «peut-être», l’un des enjeux auquel le Grand Paris est passé à côté est celui «de fabriquer un récit de la ville et du territoire, avec les habitants». Selon elle, «il manque un forum démocratique pour porter le débat avec les habitants». Il est temps d’y penser. Mais, le grand Paris est-il fait pour eux ?
La consultation de 2008 pour le Grand Paris, à l’origine ponctuelle, est née suite au protocole de Kyoto, a été formalisée avec la création de l’AIGP en 2010. Aujourd’hui, quel bilan ? Certes, huit ans, à l’échelle de la création et de la pensée urbaine, c’est à la fois long mais aussi très court. D’autant qu’il a fallu créer des cadres administratifs et un mode de gouvernance complexe pour donner vie à l’ambitieux projet initié par Nicolas Sarkozy dès 2007, qui a vu la création effective de la Métropole du Grand Paris au 1er janvier 2016. Pierre Mansat, inspecteur général de la Ville de Paris depuis 2014 et en charge de la mise en place de cette Métropole du Grand Paris, rappelait d’ailleurs en introduction «que l’Etat, absent, a retrouvé un rôle dans le processus, bien que discutable, et une façon de réfléchir la ville à l’oeuvre».
Faire la métropole et fédérer des territoires sont des processus longs. Les équipes du conseil scientifique du Grand Paris planchent sur des projets à 20 ou 30 ans. Force est pourtant de constater le peu de place accordée au sang neuf. Les jeunes générations d’architectes et d’urbanistes n’ont guère voix au chapitre : ne sont-elles pourtant pas les plus aptes à imaginer et construire, avec les principes du XXIe siècle, la ville qu’elles habiteront ?
De fait, si cet après-midi devait être consacré au débat, l’observateur comprend pourtant vite que les cinq architectes ne débattront plus. «Je préfère parler de travail global et d’addition de pensées individuelles parce que nous travaillons en opposition, en échanges», stipule Christian de Portzamparc. Finn Geipel : «Les huit premiers mois ont constitué une bulle d’échanges et de confrontations avec les autres équipes. Il nous faut discuter, mélanger, confronter». Analyse d’Antoine Grumbach : «la très grande échelle pose la très grande problématique de l’approche systémique, alors que l’Etat ne sait plus faire travailler les gens ensemble». Bref, des contradictions de fond, nées il y a parfois plus de 70 ans, demeurent.
Si selon Pierre Mansat, «le droit à l’urbanité, les rhizomes, le remodelage, l’embellissement, la ville poreuse, la nature en ville, la métropole douce et durable sont au cœur des réflexions», catalogue à la Prévert non exhaustif, une vision globale de la métropole allant au-delà de la seule construction du grand Paris Express reste à écrire. Et Réinventer Paris et Réinventer la Seine, lourds de non-dits et d’enjeux n’ayant rien à voir avec le confort et la qualité de vie des habitants, ne sont d’aucun secours.
D’ailleurs, comme s’interroge le roué Paul Chemetov, pas né de la dernière pluie donc : «L’atelier international deviendrait-il une machine à commandes et non un laboratoire permanent ?». Poser la question c’est déjà en partie y répondre. Bref, roulez jeunesse !
Léa Muller