Jamais être une femme architecte ne m’a posé de question, et ne pas me poser cette question m’a donné des ailes. Pourtant il y a de quoi s’interroger. Sensibilité ? Approche créative ? Esprit critique ? A L’Atelier Brisac, c’est le genre ! Tribune de Cécile Brisac.
Récemment, en identifiant comment l’Atelier Brisac se différenciait d’autres agences, et quels atouts mettre en avant pour remporter de nouveaux projets, il m’a été conseillé de crier sur les toits que j’étais une femme architecte. Pas de vanter la qualité de notre travail ni la pertinence de notre approche, uniquement le fait d’être une femme.
La parité est loin d’être atteinte au sein de la profession et l’objectif d’égalité influence de nombreuses décisions. De ce point de vue, le conseil était donc pertinent. Mais le fait qu’une femme dirigeant une agence d’architecture puisse être perçu comme un exploit reste néanmoins déroutant. Je ne me suis jamais interrogée sur mon statut professionnel du fait de mon genre. Je n’ai jamais souhaité considérer cela comme une différence.
J’ai toujours été surprise que, l’année de mon diplôme, seulement 20% de femmes terminaient leurs études alors que la parité était atteinte en première année. La moitié avait donc abandonné en cours de route. Malgré les progrès réalisés depuis, encore peu d’agences sont dirigées par des femmes. J’ai toujours eu conscience du petit nombre de ‘role models’ et du fait que les femmes qui ont réussi sont, au mieux considérées comme des femmes fortes, au pire comme des femmes se comportant « comme des hommes » pour mieux se conformer.
Vraiment, l’idée de me mettre en avant du fait de cette différence m’a mise un peu mal à l’aise.
J’ai sondé les avis autour de moi sur le déséquilibre femmes-hommes. Je suis devenue plus sensible à certains propos tenus par des hommes qui ne se rendent pas compte de ce qu’ils impliquent. Dans une profession majoritairement masculine, les réponses sont venues essentiellement des hommes. L’analyse la plus intéressante était : « c’est une profession brutale. La brutalité n’est pas le mode de fonctionnement des femmes, elles n’y adhèrent pas ». En me rappelant des remarques inutilement dures lors de jurys d’école, le terme semble juste.
Un commentaire a été dérangeant : « parmi ces deux jeunes architectes dans mon agence, l’un a vraiment la fibre architecte, il s’intéresse au processus créatif. L’autre, comme on peut s’y attendre pour une femme, elle est organisée, responsable, je lui fais entièrement confiance, mais elle n’est pas créative ». Un homme architecte m’expliquant ceci, il y a presque de quoi en rire. Voilà, apparemment les femmes seraient de bonnes organisatrices de peu de talent.
Le déjeuner des W Awards approchait [prix britannique des femmes architectes]. J’y suis allée, un peu à reculons car j’ai été élevée avec certains principes, notamment celui selon lequel on ne place pas les gens dans des cases, on forme encore moins des clans, et on ne s’attarde pas sur les différences. Ce qui importe est ce que chacun fait de sa vie. Je suis aussi profondément convaincue que les hommes doivent faire partie de la discussion pour que les choses évoluent, je le suis encore plus en tant que mère de deux garçons féministes.
Je reconnais cependant la nécessité qu’il y ait plus de ‘role models’ pour inspirer et donner confiance, et le Prix des femmes architectes remplit parfaitement ce rôle. Je ne regrette pas d’y être allée, l’expérience était très enrichissante.
Une ambiance calme régnait dans l’immense hall, seuls quelques hommes étaient présents. Toutes les intervenantes parlaient d’une voix posée, avec clarté, de choses sensées et d’objectifs clairs. On ne ressentait pas de rivalité (les femmes ne sont-elles pas censées se crêper le chignon ?), cela en était très relaxant. Certaines intervenantes suggéraient de tirer parti de notre regard extérieur à la profession qui nous donne l’opportunité d’aborder les sujets différemment.
Les projets, et la façon dont ils étaient présentés, soulevaient des thèmes pertinents avec des approches créatives, et certainement tout autant de talent que sur un stand au MIPIM rempli de tours de bureaux. Certaines façons d’aborder les sujets faisaient preuve de sensibilité, de conscience sociale. Une grande considération pour les usagers était perceptible, ainsi que la capacité d’écouter.
Ces qualités sont intrinsèques à nos projets à l’Atelier Brisac. Nous avons une approche créative et un certain esprit critique. Les usagers sont au cœur de nos projets, et nous sommes sensibles à la façon dont nos bâtiments pourront avoir un impact positif dans leur vie. Nous établissons un dialogue constructif avec nos clients. Nous sommes des personnes sérieuses et organisées. Et j’ose espérer que lorsque nous remportons des projets, c’est grâce à un certain talent.
Je ne suis pas certaine cependant qu’il s’agisse de qualités féminines plus que de qualités humaines. Je pense à des projets très sensibles et poétiques conçus par des hommes, et au contraire d’autres d’apparence très masculine réalisés par des femmes. Finalement, le conseil que j’ai reçu est peut-être très juste : le fait d’être une femme dirigeant une agence d’architecture est une différence à mettre en avant, même si évoquer la qualité de nos projets m’intéresse plus. Mais si ce faisant mon statut peut contribuer à éveiller les consciences et motiver mes paires, alors c’est évidemment une bonne chose.
Quant à la brutalité, c’est vrai pour moi en tout cas, je n’adhère pas à ce mode de fonctionnement. La détermination, l’enthousiasme et une certaine raison d’être m’ont permis de suivre la cadence soutenue des années d’études et continuent de me motiver aujourd’hui.
Cécile Brisac
29 mai 2022
A ce sujet (re)lire nos articles :
– Les « femmes architectes », un genre à part ?
– Les femmes, des architectes comme les autres ?