En cette journée de repos, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques prennent le large : direction le lac d’Annecy et la région de Faverges pour découvrir le Festival des Cabanes. Une escapade à vélo leur permettra de retrouver des sensations, de croiser des coureurs à l’entraînement et, surtout, de disposer du véhicule idéal pour découvrir ce territoire.
En 2016, Philippe Burget et David Hamerman créent le Festival des Cabanes au sein d’un territoire situé aux confins de la Savoie, entre l’un des bouts du lac d’Annecy, les Aravis et les Bauges. Ce duo iconoclaste réunit le directeur d’un organisme culturel et social, Philippe, et un architecte méditerranéen amoureux de ce paysage, David.
Le Festival des Cabanes n’est rien d’autre qu’un festival d’architecture destiné aux jeunes praticiens qui doivent concevoir et réaliser eux-mêmes leur construction. Souvent bien aidés par les locaux toujours prompts à donner la main comme on dit ici.
La manifestation s’appuie sur une promesse simple et merveilleuse : fabriquer des espaces habités en résonance avec leur contexte. Rien de plus mais, surtout, rien de moins. Le succès est au rendez-vous, un succès large, de la presse nationale à la presse spécialisée en passant par l’émotion non feinte des habitants. Si les premiers apportent toujours une médaille en chocolat salutaire en reconnaissant le travail de jeunes architectes, la seconde témoigne d’une réussite totale. Les habitants s’intéressent sincèrement, découvrent une façon légèrement différente de poser un regard sur un lieu, aident avec plaisir, prêtent un tracteur quand il le faut et diffusent auprès de tous cette nouvelle merveilleuse ; il y a des lieux où il fait bon vivre quelque part.
Après plusieurs éditions, la diffusion dans le territoire est telle que Philippe, qui a peu de temps parfois mais sait toujours le prendre, discute architecture contemporaine avec une habitante qui, inspirée par les constructions qu’elle voit éclore depuis des années, lui demande son avis éclairé sur la construction de son poulailler. Il est question de la qualité des parois, de la malice de la lumière et du bonheur des usagers. Le festival réussit à convaincre que même une poule a pleinement le droit d’éprouver les délices d’une lumière malicieusement filtrée. Loin donc du cynisme du T1 mono orienté au nord dans une mauvaise ZAC, ce dont d’aucuns sont capables.
Aucune structure organisationnelle prompte à ravir le corporatisme architectural dans cette discussion, une profane qui l’est de moins en moins, un acteur du territoire à l’œil avisé, des usagers ravis, aucun architecte mais que de l’architecture. Pari réussi.
Cette réussite tient probablement dans l’ambition toute académique insufflée par David, l’architecte et enseignant, de répondre au concours à l’aide d’éléments graphiques mais aussi d’une maquette au 1/10 qui permet d’évaluer la qualité et la faisabilité des constructions. Le jury peut dès lors apprécier et estimer la capacité de transfert dans le réel des projets présentés.
Il faut l’avoir vécu pour y croire : le nombre de maquette à examiner est devenu tel qu’il a fallu une église – le lieu le plus ample – pour les abriter. Il faut les voir toutes ces maquettes – jusqu’à 200 ! –qui promettent un réel onirique dans cette architecture religieuse séculaire. Des maquettes en bois dans une église en pierre comme premier moment de rencontre avec ce réel dont l’architecture doit en permanence entretenir un lien à la fois respectueux et méfiant.
Le jury, sous l’œil averti de Philippe, peut estimer si le projet pourra être construit, une réalisation envisagée pas uniquement sous l’aspect purement technique mais bien au sens du territoire et de ses acteurs. Le jury doit anticiper qui pourra donner un coup de main, à qui demander tel outil, à qui demander simplement son avis. Le projet est ancré dans son territoire tout autant par la proposition architecturale que par le désir de ses habitants de l’y accueillir avec entrain et bienveillance.
Le festival pose des questions fondamentales sur l’architecture française et ses modalités opérationnelles. Comment se fait-il qu’un festival composé d’un seul architecte produit un tel résultat ? Comment se fait-il que des étudiants produisent des architectures construites bien plus réjouissantes que les exercices qu’ils exécutent sous la direction de leur enseignant ? Comment se fait-il qu’un territoire se prenne de passion pour l’architecture sans qu’aucun organisme normalement accrédité n’ait organisé « des séquences de médiation auprès du public » ?
Il est réjouissant de voir que des étudiants sortis du carcan de leurs écoles conçoivent des architectures précises et poétiques, démontrant ainsi leur pleine capacité de fabrication du réel. Il est presque comique de voir qui un directeur de la pédagogie d’une école, qui un enseignant essaye de récupérer le succès individuel de ces jeunes adultes sur les réseaux sociaux avec des hashtags qui font passer une influenceuse pour Marcel Proust, alors que ce travail n’a qu’une seule caractéristique de ce point de vue : il est fait sans aucun lien avec l’école.
Il est tout aussi réjouissant de voir le grand public s’enthousiasmer pour l’architecture sans qu’en préambule un sachant ne lui explique qu’il allait lui apprendre à aimer cet univers dont lui seul, et quelques-uns des copains pas marrants, a les clefs de compréhension. Les festivaliers prennent du plaisir à participer et à découvrir ces lieux, très simplement et très probablement parce que personne n’estime qu’il faille leur expliquer ce qu’ils vont pouvoir ressentir.
Les suiveurs eux-mêmes pourront, en ce lundi après-midi d’été, éprouver simplement des espaces et des ambiances, librement, sans discours pompeusement administré par un énième médiateur culturel. Le festival a fait le pari qu’il n’y avait pas à sensibiliser, il fallait surtout proposer. Le réel leur donne raison et articule une démonstration par l’exemple que la France ne souffre probablement pas d’un désamour pour l’architecture mais probablement bien plus d’un manque cruel de celle-ci sous son aspect le plus qualitatif.
Cette journée de repos en tant que festivalier est donc totalement libre de toute pesanteur corporatiste et intégralement dédiée au plaisir de découvrir des espaces construits. Les cabanes se répartissent sur un territoire assez étendu parcourable dans la journée et permettent de découvrir à la fois des paysages et des ouvrages. Le parcours est à la carte, au plat ou en menu c’est au choix.
Le vélo est vivement recommandé donc, plutôt façon Gravel pour accéder facilement à l’ensemble des sites, avec des sacoches pour emporter une petite bouteille de roussette de Savoie, un saucisson aux noix, un bout de tome des Bauges et une demi-baguette. Cet attelage vous amènera partout et vous assurera probablement de faire une petite sieste fort à propos en ce jour de repos, dans une prairie alpine à l’ombre d’une architecture dont tout le monde se moque de qui a bien pu la faire mais où chacun est sûr qu’elle y a trouvé toute sa place.
Terminer le parcours en se rapprochant tranquillement du lac pour découvrir les dernières cabanes. A quelques encablures le restaurant « La Cuillière à Omble » attend les suiveurs et leur proposera de déguster des poissons locaux. Une friture de Perches du lac accompagnée d’une bière locale leur confirmera qu’après cette journée, l’architecture est bien plus intéressante que les architectes, qu’il y a ici des églises pleines de promesses d’architecture et des poules qui vivent derrière une résille qui n’a rien à envier à celle du MUCEM.
Guillaume Girod (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018