«Je suis un non-violent : quand j’entends parler de revolver, je sors ma culture»,* disait Francis Blanche pour contrecarrer la référence nazie**. C’est le message que les organisateurs des journées européennes du patrimoine 2016 semblaient vouloir faire passer auprès de la presse quelques jours avant l’évènement qui s’est déroulé, avec toujours autant de succès, les 17 et 18 septembre dernier. Du moins est-ce ce que laissait supposer le thème «patrimoine et citoyenneté» de ces 33ème JEP.
Chacun a bien compris la référence, surlignée, aux divers attentats et autres horreurs qui frappent l’Europe depuis deux ans (et le monde bien avant). Ce thème explicite a été choisi par le Conseil de l’Europe et l’Union européenne «pour mettre en avant les sentiments d’unités et de cohésion et de cristalliser l’engagement citoyen», est-il écrit dans le dossier de presse.
Pour Audrey Azoulay, ministre de la Culture et de la Communication, «le thème nous renvoie directement aux sources même de la manifestation, créée en 1984, celle d’une appropriation par tous d’un bien commun, d’une histoire commune. Le patrimoine et la citoyenneté sont deux notions dont la jonction raconte notre histoire, notre passé, mais dessine aussi notre présent et notre avenir», dit-elle.
Pour l’avenir nous n’en savons rien mais pour l’histoire et le présent, c’est déjà gagné. En effet c’est à l’Hôtel de Noirmoutier que Jean-François Carenco, préfet de la région Île-de-France et de Paris, recevait la presse le mardi 13 septembre 2016. L’immeuble de la rue de Grenelle, parfait parangon des hôtels particuliers de facture classique, fut la dernière demeure du Maréchal Foch. Passe donc un premier message citoyen, vainqueur et guerrier. Bon pour le moral ? En tout cas, l’édifice fut ouvert pour les JEP.
Pour le haut fonctionnaire, le thème «patrimoine et citoyenneté» permet de réaffirmer que le patrimoine est une notion moderne. «Aujourd’hui, tout change très rapidement», dit-il. «Le patrimoine est une contribution à construire le monde. Le patrimoine ne s’oppose pas à l’avenir ni à la construction du monde». Bonne nouvelle ! Surtout énoncée dans un ancien hôtel particulier du XVIIIe siècle ! Mise en lumière de notre patrimoine architectural récent et de nos constructions les plus innovantes ?
Françoise Barat-Berger, directrice des Archives nationales, explique alors que différents sites ont été mis en avant. Massimiliano Fuksas convoqué pour son édifice de Pierrefitte-sur-Seine (ouvert en 2013) ? Si elle rappelle que les archives sont «à la fois un contenant et un contenu», lors de ces journées, les badauds sont convoqués pour le contenu. Paradoxe ? Fuksas n’avait pas besoin de se déplacer.
Au moins les archives séquano-dionysiennes, comme les hôtels de Rouen et de Soubise (fermé pour travaux depuis 2005 !) sont devenus le temps d’un week-end ces «lieux symboliques de la naissance de la citoyenneté, lieux historiques de sa constitution, lieux actuels de pratique et d’exercices quotidiens», ainsi que l’indique la ministre.
Même si, à écouter le préfet, «le patrimoine est synonyme d’avenir», c’est toujours et encore sur les mêmes vieilles pierres, certes splendides, que s’appuie la mise en scène de ces journées. Les Invalides par exemple. En effet, le carré militaire est le cinquième bâtiment le plus visité de France***. Le Général Christian Baptiste, directeur des Invalides, constate que cette année, le budget de la culture a été baissé au profit de celui de l’armée. «Pourtant la culture est une arme pour faire baisser les visions archaïques que certains veulent imposer». C’est un général qui le dit ! Pour celui qui doutait encore de l’innocence de ces journées, c’est fichu.
Les Invalides étaient donc le week-end dernier un «grand musée militaire face à un monde dangereux». Le monument, commandé en 1670 par Louis XIV et achevé en 1706, représentait ce qui se faisait de mieux en architecture, le summum de la modernité ! Il était déjà un lieu de promenade pour les Parisiens. «Louis XIV démontrait qu’on pouvait construire vite, utile, social et bien», précise le directeur de l’institution. Le bâtiment, selon l’édit royal, était destiné «à ceux qui ont exposé leur vie et prodigué leur sang pour la défense de la monarchie… passent le reste de leurs jours dans la tranquillité… ». Alors citoyennes les guerres de Louis XIV puis celles de Napoléon ? En tout cas, pour ces JEP, Les Invalides étaient tout à fait dans l’air du temps, comme le musée de l’armée, l’école militaire, … Un exemple à se réapproprier pour construire le patrimoine du futur ?
Passé l’accent mis sur ces deux monstres institutionnels, la liste non-exhaustive des sites ouverts en Ile-de-France fait preuve d’une vision du patrimoine bien peu aventureuse… Châteaux plus ou moins bien conservés, ministères, sites guerriers historiques. Où est donc passée la vocation «européennes» de ces journées du patrimoine? Ha si, c’est l’occasion de visiter des ambassades : de Roumanie, Finlande, d’Argentine mais, quelques mois après le Brexit, pas celle de Grande-Bretagne. Et puis la République a beau être laïque, il y a des églises en veux-tu, en voilà, tandis que temples, mosquées et autres synagogues sont bien peu représentés. Les racines chrétiennes et catholiques de la France comme disent l’autre et l’autre ?
Pour la vision moderne (au sens propre et figuré) du patrimoine, Le Corbusier et Mallet-Stevens, estampillés XXe siècle, font l’affaire. Sauf que les visites, commentées mais réduites, affichaient complet bien avant l’ouverture des LEP 2016. En revanche, pour ce qui est de l’ultra-contemporain, c’est à croire qu’en Ile-de-France, peu de constructions ont vu le jour depuis les Cités-Jardins du Pré-Saint-Gervais ou de la chocolaterie Meunier de Noisiel.
Certes il y avait au programme Henri Gaudin, avec les archives municipales de Paris (1989), les très cinématographiques espaces d’Abraxas à Noisy-le-Grand du suisse Ricardo Bofill (1978-1983) ou le toujours spectaculaire siège du parti communiste d’Oscar Niemeyer (1965-1971). Et que penser de la déjà vieillissante préfecture du Val-de-Marne à Créteil signée Daniel Badani (1971) ?
Rien donc qui ne nous rajeunisse vraiment sinon peut-être le pôle culturel ‘Les Passerelles’ de Pontault-Combault (2009) d’Archi 5, ou la maison des étudiants de l’université de Versailles-Saint-Quentin, conçue en bois et en verre par l’agence Fabienne Bulle (2015). Les organisateurs des JEP2016 ne s’appuyaient, en tout cas, pas sur La Philharmonie de Jean Nouvel (2015) et sa salle très réussie de Brigitte Métra, ou sur le nouvel auditorium de la Maison de la Radio d’A.S. Architecture Studio (2016) pour promouvoir le patrimoine de demain. Pourtant, Paris peut se vanter d’avoir deux des salles de concerts les plus performantes du monde.
Le succès des JEP n’est plus à démontrer, comme l’attrait de tout un chacun pour le patrimoine historique. Pourtant, au regard des files d’attente interminables aux pieds des ouvrages plus récents, il est permis de penser que ces JEP pourraient aussi être l’occasion d’une mise en exergue mieux articulée de l’architecture contemporaine, moins guerrière, moins noble mais sans doute plus proches des préoccupations citoyennes d’aujourd’hui.
Léa Muller
* Francis Blanche, Pensées, répliques et anecdotes, Jean-Marie Blanche, édition Le Cherche midi, Paris, 1996.
** Schlageter, Hanns Johst, 1933. « Wenn ich Kultur höre … entsichere ich meinen Browning !» «Quand j’entends parler de culture… je relâche la sécurité de mon Browning !» (acte 1, scène 1).
*** Quatre millions de visiteurs par an, selon le Général Christian Baptiste.