L’opportunité est rare pour une agence de créer une ville nouvelle ex nihilo. En faire deux est encore plus inattendu. Architecture-Studio a pourtant annoncé le 29 mars 2017 avoir gagné le concours international pour la conception de Yennenga, une ville nouvelle destinée à accueillir 80 000 habitants sur une vaste plaine sèche à 20 km de Ouagadougou au Burkina Faso. En revanche, pour les jeunes agences associées au projet, c’est une première.
Le maître d’ouvrage est CGE Immobilier, solide filiale du groupe burkinabé Compagnie Générale des Entreprises (CGE) basé à Ouagadougou qui oeuvre depuis 18 ans au Burkina Faso et dans la sous-région. Le groupe, selon la présentation de son site, «évolue principalement dans le BTP, la location d’engins, la promotion Immobilière, la distribution de matériels et matériaux de construction». Parmi ses projets en cours, 1 200 logements ici et 10 000 autres là, des autoroutes, une ville nouvelle. Selon un rapport de l’ONG PRB à Washington dévoilé en août 2016, la population de l’Afrique aura doublé d’ici à 2050 et comptera alors pour un quart de la population mondiale. Bref, au Burkina Faso, CGE est un poids lourd.
De fait, si le programme du concours international portait sur «un coeur de ville et boulevard principal (bureaux, logements, hôtels, centre de conférence, centre commercial, centre des beaux-arts, haras, tour, lieux de culte, entre autres)», c’est que le développement de la ville a déjà commencé. Les premiers réseaux sont tirés, les premières parcelles viabilisées et vendues. Dit autrement, s’il est bien compris que l’Etat apporte très certainement son concours, en matière d’infrastructures notamment, il s’agit bien d’un maître d’ouvrage privé. Ville privée ? En tous cas, elle est prévue pour tous les publics.
La zone d’intervention pour ce «cœur de ville» s’étend sur 111 hectares avec une surface de plancher bâtie de 750 000 m². Autant dire que, lors du concours, les prétendants dans le monde ne manquaient pas. Cependant, qu’Architecture-Studio gagne cette compétition n’est pas si étonnant, et cela pour deux raisons.
La première tient à l’expérience désormais acquise d’Architecture-Studio dans ce domaine, la seconde tient en la capacité de renouvellement des processus de la méthode A-S. En effet, pour l’occasion, Architecture-Studio s’est associée avec Arcade Architecture, une agence burkinabée, et les agences françaises Beckmann N’Thepé Architectes, Coldefy & Associés Architectes Urbanistes et Hardel + le Bihan architectes. Pour le coup, une première pour Architecture-Studio.
Dès le début des années 2000, Martin Robain et les associés d’A-S avaient exprimé leur volonté de s’ouvrir à l’international. Les projets chinois allaient bientôt leur imposer un énorme changement d’échelle et leur donner goût à l’urbanisme. «Il faut bouger, changer de pays, voir les autres cultures, et ne pas croire que l’architecture française est la meilleure du monde», disait alors le fondateur de l’agence.
Cette volonté d’intervenir à l’échelle urbaine s’est notamment matérialisée en deux vastes projets : L’entrée ouest de la Mecque et Deh Sabz (la «ville verte »), ville nouvelle près de Kaboul en Afghanistan. Aujourd’hui l’agence a conçu et dirige l’aménagement du centre-ville de Tirana, en Albanie. Sans doute que la notion de grand axe, développée à La Mecque et à Tirana, a offert nombre d’enseignements pour structurer Yennenga au Burkina Faso.
De même la capacité de s’appuyer sur le réseau hydrographique naturel existant pour la gestion de l’eau à Yennenga est dans la lignée de la réflexion menée autour des ravines de Kaboul, où comment gérer l’afflux soudain de l’eau – fonte des neiges à Kaboul, pluies diluviennes à Ouagadougou – dans un milieu par ailleurs sec et aride, également celui de La Mecque. Les solutions proposées aux diverses problématiques de l’eau au Burkina Faso, qui ont emporté l’adhésion du jury, sont évidemment issues de ces expériences.
«Il s’agissait de faire une ville mixte qui soit aussi une ville africaine même si l’on ne sait pas ce qu’est une ville africaine. Aussi notre projet est finalement très peu dessiné afin que la ville puisse se développer organiquement», explique Martin Robain. Lequel était par exemple encore à Lomé, au Togo, en mars 2015, il y a juste deux ans, pour donner une conférence aux étudiants en master 1 de l’Ecole africaine des métiers de l’architecture et de l’urbanisme (EAMAU) sur le thème ‘Du concept à la réalité’. Du concept à Yennenga, pour les travaux pratiques.
Cela écrit, Architecture-Studio n’aurait peut-être pas gagné sur ces seules qualités si l’agence n’avait pas fait le pari audacieux d’inviter trois ‘jeunes’ agences parisiennes à s’associer à l’aventure. Comme le note Aldric Beckmann, «Architecture-Studio n’a fait qu’élargir son idée de collectif».
Ces trois agences ont pour elles une expérience de travail à l’étranger : Beckmann N’Thepé en Allemagne et en Autriche notamment, l’agence Coldefy à Hong Kong et en Chine, Hardel + le Bihan au Sénégal ; trois continents certes mais trois agences peu ou prou similaire par la taille et la singularité de leur histoire. C’est justement à l’issue d’une conférence sur l’Afrique que la rencontre fut initiée par Martin Robain.
«Nous avions du temps pour ce concours et chaque agence a dégagé des ressources», poursuit Aldric Beckmann. Bref, ils étaient tous contents d’une telle opportunité de travailler ensemble, la production de chacune des cinq agences étant validée par toutes. Vingt personnes étaient mobilisées.
«La création d’une ville ex nihilo est une responsabilité, nous nous devions d’inventer une ville exemplaire», souligne Thomas Coldefy. Tous avouent que travailler avec un tel interlocuteur unique – le patron de CGE – est «assez envoûtant, un grand saut dans l’inconnu». D’autant que le succès ou l’échec du projet ne se dessinera pas avant 20 ou 30 ans et qu’un projet de ville est forcément appelé à évoluer. «A La Mecque, la question des transports n’est plus celle qui était posée il y a plus de 15 ans, à Kaboul, les premiers investissements commencent à peine et ne seront pas sans affecter le projet», note Roueïda Ayache, associée d’Architecture-Studio.
Toujours est-il que c’est justement cette équipe soudée – sans oublier Arcane à Ouagadougou, qui construit en ce moment le futur siège de Bank of Africa – qui a apparemment séduit le maître d’ouvrage. De fait, à les entendre tous lors de cette présentation, chacun parle de ce projet comme si c’était le sien. Il l’est sans doute même si pour l’annonce de la victoire et la présentation publique, c’est Architecture-Studio qui régalait.
Pour autant, émulation plutôt que concurrence et c’est une ville entière qui apparaît soudain : Yennenga.
Apparemment, les chantiers iront plus vite à Ouagadougou qu’à Kaboul.
Christophe Leray
Le projet selon ses concepteurs
Le projet s’articule autour d’une longue coulée verte révélant la flore et la topographie locale. La ville s’élève au Nord afin que les édifices contrôlent l’arrivée de l’Harmattan, un vent sec chargé de poussière. Au Sud, leur implantation plus parcimonieuse permet aux vents doux et humides de la mousson de rafraîchir la ville.
Depuis l’entrée de ville, les équipements et les icônes architecturales sont implantés tout au long du parc central : la statue victorieuse de Yennenga, l’hôtel 5 étoiles, le centre commercial intégré dans la topographie, un haras sur la colline, la tour gastronomique et son restaurant panoramique, un centre de conférences, un centre des Beaux-Arts, des hôtels 3 et 4 étoiles, puis, autour de la place de la Solidarité, un musée et un lieu de culte, fièrement tournés vers un obélisque illuminé de 70 mètres de haut.
Yennenga est conçue comme une ville autonome qui produit son énergie et les matières nécessaires à son fonctionnement. Maîtrise des vents, exploitation de l’énergie solaire et récupération d’eau grâce aux pièges à rosée et bassins de rétention disséminés dans la ville illustrent ce désir d’autonomie énergétique. L’utilisation de matériaux locaux pérennes dans la construction des différents édifices bioclimatiques participe à cette démarche.
La ville, baptisée du nom d’une princesse burkinabé – Yennenga – reprend dans son plan-masse du coeur de ville la forme de l’oeil de cette héroïne populaire, mère fondatrice d’un des plus grands peuples du Burkina Faso. Le dessin des créations architecturales contemporaines s’inspire des formes traditionnelles. La tour haute de 140 mètres est un point de repère dans la ville. Dans les édifices bioclimatiques, les ouvertures généreuses sont protégées d’enveloppes multi-facettes.
Des déplacements fluides sont permis à travers un maillage viaire efficace et des outils de mobilité multiples. Une place importante est accordée aux piétons. La ville est attractive à toutes les échelles grâce à ces grands équipements et à son animation.
Architecture-Studio avec Arcade Architecture, Beckmann N’Thepé Architectes, Coldefy & Associés Architectes Urbanistes et Hardel + le Bihan