
L’agence OPUS 5 Architectes (Bruno Decaris, Agnès Pontremoli, Pierre Tisserand) a livré en deux phases (2021 et 2022) à Chessy (Seine-et-Marne) un pôle culturel constitué d’une école de musique, d’un auditorium et d’une salle polyvalente. Cette réalisation de 2 600 m² SDP (coût des travaux : 7,90 M€ HT) donne à la Ferme des Tournelles une élégante nouvelle vocation. Communiqué.
Le nouveau pôle culturel de Chessy prend place dans l’ancienne ferme des Tournelles, aujourd’hui rare vestige de ces grands corps de fermes briardes abritant des outils alors performants pour exploiter au mieux les terres lourdes et chargées d’eau de la région.
Ce site se caractérise comme un entre-deux, un trait d’union, un reliquat de ruralité dans une mâchoire urbaine en pleine expansion. Au nord/ouest, la ville de Chessy et ses lotissements périphériques qui grignotent les restes de Brie, au sud/est, l’ensemble Disney, parfaitement circonscrit et défini.

Le destin de la commune s’est fortement transformé avec la création du secteur IV de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée et aussi de la construction de Disney. Cela représente un bouleversement considérable, passage d’un village rural modéré à une ville périurbaine qui se construit en quelques décennies, bouleversement démographique, économique, social, mais aussi identitaire et représentatif. Dans ce contexte de stratification urbaine de la commune, la Ferme des Tournelles a valeur de monument dans l’agglomération.
Par son échelle d’abord en contraste saisissant avec le bâti alentour qu’il s’agisse de la Brie, des constructions de la commune de Chessy ou encore des équipements ludiques de Disney. Par sa singularité morphologique, du fait de sa rareté nouvelle qui en fait maintenant un accident, un évènement dans ce contexte d’habitation ou de loisir.
Par sa valeur historique et représentative enfin puisqu’on y pratiquait le labourage des terres, ressource essentielle et richesse de la région, perpétuant le souvenir authentique de la grande agriculture de l’île de France.



Le projet devait se lire clairement et traduire une articulation entre deux mondes, celui de la ville nouvelle et celui de l’illusion, tous deux parachutés presque par hasard, sans relation aucune avec l’histoire du paysage, alors que la Ferme des Tournelles, authentique et permanente, rappelle sans artifice le souvenir d’un monde agricole sans lequel les constructions voisines n’auraient pas d’existence.
Cette vérité en dur, balise et référence, se devait d’être préservée au regard de l’illusion voisine en carton-pâte.
La puissance architecturale de la Ferme des Tournelles réside dans sa simplicité et la massivité de ces volumes entourant un espace central protégé où se concentre la vie, disposition traditionnellement introvertie, totalement clos, se protégeant des intempéries et du vaste monde extérieur. Ce n’est pas sans rappeler le château fort, avec sa vaste cour et ses tours ponctuant les courtines.
Les deux immenses constructions aveugles bordant l’accès nord/est émergent telles deux tours d’entrée de ville ou encore comme deux donjons assurant par leurs masses imposantes la tranquillité et la sécurité du site.


Si les grands volumes principaux des deux granges ont pu être préservés, le diagnostic pratiqué en début d’opération a conduit à ne pas conserver les constructions des deux ailes latérales bordant la cour sur ces faces nord/ouest et sud/est, compte tenu à la fois de leur état sanitaire très dégradé et de leurs conditions spatiales difficilement exploitables.
Deux constructions neuves ont ainsi été implantées en lieu et place des ailes déconstruites pour abriter, au sud/est de la cour, les ateliers de l’école de musique, et au nord/ouest, la salle polyvalente et les locaux d’accompagnement de la salle de spectacle (bureaux, loges, dégagement de scène…).
Ces deux extensions ont été traitées à la manière de murs d’enceinte en vue de restituer l’esprit initial du corps de ferme et sa morphologie générale organisée autour de la grande cour centrale distributive.

La recherche d’une grande cohérence avec les vestiges conservés a conduit à réutiliser les matériaux des ailes d’origine et inventer un nouvel épiderme à partir des matériaux déjà présents sur le site.
Les tuiles et les moellons ont ainsi été déposés, décrottés, criblés et stockés en différents monticules de nature et de granulométrie diverses pour ensuite être réemployés sous forme de nouvelle composition de calcaire et de terre cuite évoquant des couches géologiques et rappelant l’ancrage au territoire.
Ces grandes parois minérales continues, rythmées et animées par des percements circulaires disposés de façon aléatoire pour assurer l’apport de lumière naturel et ménager des dégagements visuels, s’interrompent ponctuellement pour laisser apparaître les accès aux différentes entités de l’équipement.
Les différentes entrées sont desservies par un cheminement périphérique en pavés de réemploi issus des aménagements extérieurs de la ferme originelle et accessible soit par les entrées historiques de la cour depuis la rue des fermes ou la rue des pommiers, soit par le parc de stationnement végétalisé aménagé au sud/est de l’équipement.
L’espace central minéral de la cour, traité en stabilisé, accueille un amphithéâtre gradiné destiné à la gestion des eaux pluviales et invitant les utilisateurs à poursuivre les activités musicales en plein air pendant les beaux jours.


Le traitement intérieur des espaces est basé sur l’emploi de matériaux laissés bruts, limitant les effets, les manières, dans le but de renforcer l’importance de la matérialité du projet et ancrer encore davantage l’équipement dans son histoire, dans la mémoire du lieu.
L’association du béton banché laissé nu des parois verticales, des maçonneries en moellons des deux granges restaurées par un rejointoiement à peine dégrossi, des chapes minérales et de la fibre de bois anthracite des sols et plafonds avec le bois blond des parements acoustiques confère à l’ensemble une atmosphère presque monacale propice à la pratique musicale.