Ça bouge à Milan. Depuis mai 2015, le sud de la ville renaît entre les plans experts de ce que d’aucuns considèrent comme un des projets les plus réussis d’OMA, la nouvelle fondation Prada. A l’horizon 2018 pour la première phase, elle sera avoisinée par Symbiosis, un vaste projet tertiaire et commercial dessiné par les architectes milanais Antonio Citterio, Patricia Viel and Partners qui nourrit l’espoir de contribuer à redynamiser le quartier oublié de la cité. Théories en chantier.
«Symbiosis est une proposition unique pour le marché milanais : 12 nouveaux immeubles de bureaux de nouvelle génération qui constitueront, en plein cœur de Milan, un pôle d’affaires d’excellence». C’est en toute modestie que Foncière des Régions vend son futur bébé. La foncière française est le premier actionnaire de Beni Stabili, première foncière italienne cotée en bourse et maître d’ouvrage des 125 000 m² de la future opération aujourd’hui en chantier.
Symbiosis, du grec «vivre ensemble» souhaite devenir un des prototypes de la ville de demain, à la sauce italienne. Le programme comprend des bureaux et des espaces commerciaux qui répondront aux besoins des entreprises locataires, fournissant l’ensemble des services et des installations attenantes à ce type de projet. La cible reste les grands sièges sociaux d’entreprises au moins nationales si ce n’est internationales tant le loyer dans ces nouveaux quartiers n’est que rarement accessibles aux entreprises plus modestes.
Pour le moment, la zone est encore un peu à l’écart des transports, ce qui lui confère calme et sérénité. Dans une ville où le moteur est roi – le site de la fondation Prada est un des emblèmes de la maison Ferrari – le piéton peine un peu à trouver sa place. Les architectes, également urbanistes pour l’occasion, auront donc sûrement à s’interroger sur cette problématique.
Les journalistes présents lors de la présentation du projet et du chantier en octobre 2016 avaient spécialement été équipés de parapluies pour résister au climat bien peu conciliant du jour, ce qui compromit la promenade entre les fondations nouvellement creusées. Difficile dans ces conditions de se faire une idée architecturale du projet de l’agence Antonio Citterio, Patricia Viel et Partners.
Mais l’intention du maître d’ouvrage est claire : quoi de mieux pour un ‘flagship’ qu’un architecte-designer qui répond habituellement à des commandes pour l’éditeur d’objet Vitra et à des concours pour de vaste tours à Taïwan, en passant par l’aménagement de ‘retails’ pour le Printemps du Carrousel du Louvre et des plans d’urbanisme à Milan ? L’agence multicarte a démontré sa capacité à travailler autant sur la petite échelle qu’à la très grande, une qualité requise en regard des caractéristiques spécifiques de Symbiosis, dont un plan d’aménagement urbain autour d’une place piétonne.
Situé face à la nouvelle tour de la fondation Prada, près de l’Université Bocconi et du Parc Sud, dans un quartier en plein essor, le projet prend place sur une vaste emprise foncière. Excentré du centre historique et de ses rues étroites, loin de l’agitation et de l’élégance du Duomo, Symbiosis n’est cependant pas déconnecté de l’histoire de la ville.
Situé au sud, dans sa partie jadis très industrialisée et manufacturière, le projet se veut un rappel de quelques particularités locales. Milan est une ville d’eau, de nombreux canaux y avaient été creusés et le projet d’Antonio Citterio, Patricia Viel et Partners veut s’en souvenir, notamment au travers d’un vaste plan de petits canaux qui s’immisceront entre les immeubles.
Rien de neuf sous les tropiques ! L’appel de l’eau, et forcément du développement durable, est un argument sans lequel aujourd’hui plus aucun projet ne pourrait voir le jour. Mais au regard du travail fin et minéral de Rem Koolhas dans l’ancienne distillerie devenue musée, peut-être qu’un peu plus de subtilité dans l’élaboration d’un tel projet aurait été la bienvenue.
Que ce soit avec la fondation Prada, premier élément sortit progressivement de terre ou avec Symbiosis, la capitale lombarde mise désormais sur un renouveau de ses activités économiques et de ses attraits culturels. Dans son rôle de cœur économique d’un pays qui peine à se remettre des crises politiques et financières successives, la lourde tâche d’attirer les locomotives économiques et culturelles sur la partie méridionale de la dorsale européenne revient aux acteurs privés de l’immobilier ou aux riches entreprises. Une telle ambition d’apporter une nouvelle polarité dans la ville toute en conservant les liens avec un passé glorieux n’est apparemment plus à la portée des politiques publiques, en Italie comme en France.
Le défi que les villes doivent relever est celui de la régénération des zones urbaines existantes oubliées ou ex-industrielles. Devenues des sites de requalification urbaine de grande échelle, propices à l’effort de création de nouveaux concepts – villes habitables, durables et intelligentes, etc. – elles peuvent retrouver des possibilités de croissance économique et sociale. Comme à Saint-Denis avec la Cité du cinéma de Luc Besson ou à Boulogne-Billancourt qui voit émerger la Cité de la musique de Shigeru Ban et Jean de Gastines, Milan applique les mêmes principes, rue Largo Isarco, avec la fondation Prada, dont la tour de quatre étages entièrement recouverte de 4 kg de feuilles d’or deviendra le phare qui éclairera le nouveau quartier. Lequel paradoxalement trouve aussi son origine dans le manque de foncier disponible dans les métropoles. C’est parce que des acteurs comme des foncières déplorent le vide locatif des surfaces tertiaires dans ces mêmes villes qu’elles investissent dans le développement de friches auparavant ignorées.
Symbiosis contribuera donc à créer un nouveau quartier d’affaires, commercial, financier et culturel non loin de la prestigieuse université milanaise. Finalement ce vaste chantier cherche surtout à témoigner de la vitalité économique de la ville, au même titre que l’opération Citylife qui comprendra trois gratte-ciel de hauteurs comprises entre 170 et 218 mètres. Avec plusieurs projets de tours, dont certaines seront le fruit de l’écurie de Beni Stabili, le panorama de la ville du Pô évolue à une vitesse vertigineuse sans se cacher de son objectif de rivaliser avec La City, La Défense ou Innenstadt. Les villes modernes ont troqué les châteaux des anciennes dynasties pour les tours de verre des nouvelles.
Enfin, Symbiosis entend devenir un des premiers quartiers verts de la ville et instaurer un cercle vertueux notamment sur la gestion de l’énergie. Ici, l’idée n’est pas qu’architecturale. La qualité de vie dans les bureaux est aujourd’hui au centre des discours des producteurs de lieux de travail, au point qu’elle soit désormais quantifiée. Les bureaux sont désormais des espaces de vie qui, au même titre que les centres commerciaux, doivent posséder espaces verts et lieux de détentes, ceci afin d’optimiser le labeur de tous, surtout quand de plus en plus d’actifs font le choix du télétravail.
Finalement, apparaît donc à Milan un quartier de plus dévolu au tertiaire mais s’appuyant sur une caution architecturale et culturelle. Il convoque allègrement durabilité et développement durable, sujets largement à l’honneur lors de la dernière exposition universelle, qui s’est justement déroulée en 2015 dans la capitale lombarde et dont les aménagements avaient été confiés à Antonio Citterio, Patricia Viel et Partners. La boucle est bouclée.
Léa Muller