Ce n’est sans doute qu’une coïncidence de dates mais il y a quelque chose d’indécent pour la mairie de Paris d’annoncer les résultats de son concours «Faire Paris» le 27 avril 2017, en pleine campagne du second tour de l’élection présidentielle. «Des projets fous», titre Les Echos. Est-ce vraiment ce dont la capitale française a besoin en ce moment ? Divertissement ? En tout cas cela y ressemble.
‘Faire Paris’, lancé le 26 janvier 2017 par le Pavillon de l’Arsenal, en partenariat évidemment avec nombre d’acteurs publics et privés*, se veut être le «premier accélérateur de projets urbains et architecturaux innovants» et entend interroger les processus de conception et fabrication de la ville. Bonne idée. Hasard malencontreux peut-être mais c’est au moment où la France apparaît terriblement fracturée et en quête d’une véritable vision politique qu’est donc présentée cette nouvelle collection d’exercices de style. Le contraste entre les espérances des uns et les propositions des autres semble vertigineux.
Revenons d’abord sur cette nouvelle manie de ‘Réinventer’. Même s’il nous semble que la notion de réinvention devrait toujours être maniée avec précaution, la première mouture, ‘Réinventer Paris’ a connu un joli succès d’estime. Puis il y eut ‘Réinventer la Seine’, de Paris au Havre en passant par Rouen, puis encore ‘Parisculteurs’, en octobre 2016, pour la production agricole en ville. Ne pas oublier non plus le projet de végétaliser les places de Paris. Et maintenant ‘Faire Paris’.
A chaque fois ou presque, il s’agit d’un concours d’idée et c’est aux postulants d’investir leur temps et leur argent. Pourquoi pas. Mais, à force, quatre concours d’idées ou cinq ou six (on en oublie sans doute) de ce type en un an à peine, cela finit par faire beaucoup, beaucoup, d’idées. Et des idées, tout le monde en a plein tous les jours. Encore verrons-nous à la fin combien de ces projets seront effectivement réalisées. Mais, en tout état de cause, une accumulation d’idées ne fait pas une politique.
En l’occurrence, les projets lauréats de ces concours résultent presque à chaque fois d’interventions ponctuelles, parfois minimes, sur des espaces le plus souvent limités. De ces projets contextuels certes, très intéressants pour certains, et même en les considérant dans leur globalité, l’observateur a du mal à dégager une politique urbaine claire et cohérente, sinon peut-être une volonté renouvelée, mais qui n’a rien d’innovante, de redéfinir la place de la voiture en ville.
«FAIRE est conçu pour accompagner, financer et/ou faire financer et valoriser des projets urbains et architecturaux, de tous les types et toutes les échelles, sélectionnés pour leur vision, leurs valeurs et les solutions qu’ils proposent pour apporter des réponses aux grands défis qui nous attendent (changement climatique, résilience urbaine, évolution des usages, économie du partage, mutations technologiques….)», explique le Pavillon de l’Arsenal, promoteur de la compétition.
Quels sont donc, sur 243 postulants, ces 25 «projets fous» lauréats du concours censés répondre «aux grands défis» du siècle ? Le jury a retenu notamment un ‘pont gonflable’, un ‘modèle économique inédit pour densifier et valoriser le tissu pavillonnaire’, un ‘système de végétalisation des échafaudages’, un ‘nouveau service de locaux et de vélos partagés’, des ‘monuments participatifs en réalité augmentée’, etc. «FAIRE est un pas de plus pour l’affirmation de Paris comme métropole leader de l’innovation urbaine», assure Jean-Louis Missika, adjoint à la Maire en charge de l’urbanisme et de l’architecture et président du jury.
Donc, cet objectif – la métropole leader en réponse aux «grands défis» – est atteint avec un trampoline gonflé ou un pont gonflable ? Avec des briques conçues avec des T-shirt recyclés ou des briques conçues avec des remblais ? Avec un nouveau système de végétalisation des échafaudages ?
A propos d’échafaudages justement. Avant, il y avait simplement des échafaudages, puis il fallut les bâcher, sur les bâches sont apparus des décors ou des trompe-l’oeil, aujourd’hui ils seraient végétalisés, bientôt de véritables biotopes. Alors l’échafaudage végétalisé est sans doute une bonne idée ‘environnementalement’ utile et ses concepteurs aptes à la mettre en œuvre, mais est-ce là que les partenaires du concours pour l’innovation pérenne veulent vraiment mettre leur argent (le nôtre) ?
En effet, un échafaudage a par définition vocation à être démonté et, à Paris plus qu’ailleurs, le plus vite il est monté et démonté, mieux tout le monde se porte. Alors si en plus il faut nettoyer les plantes recouvertes de poussière de béton… Sans même parler du stockage. A moins que l’échafaudage, devenu une œuvre en soi, ne soit plus jamais démonté. Et voilà comment créer du provisoire qui dure ?
Je continue de citer (je n’ai pas mis en exergue ces projets, ce sont ceux distingués par le communiqué de presse de la ville de Paris) : «nouveau service de locaux et de vélos partagés». Les Vélibs par exemple, dont la ville vient de changer de fournisseur ? «Monuments participatifs en réalité augmentée ou autres halls collaboratifs», etc. Bref, des projets bardés de bonnes intentions mais d’évidence un peu courts, voire frivoles, en regard des «grands défis».
De fait, la reconquête des quais, les piscines écologiques flottantes, l’îlot vert «démonstrateur flottant écologique», la société des loisirs – la promesse de Jacques Chirac de se baigner dans la Seine enfin tenue -, etc. sont autant d’éléments qui proposent une vision radieuse de la ville, sans doute avec beaucoup de loisirs et certainement beaucoup de vertus écologiques. Tout le monde il est beau tout le monde il est gentil comme dirait Jean Yann.
Cela signifie-t-il que pour Anne Hidalgo et une grande partie de ceux qui participent au concours – dont pléthore de professionnels (pour 243 projets, plus de 500 architectes au moins ont travaillé gratuitement avec enthousiasme, imaginez si tous avaient bossé pour un seul grand projet commun ?), un jury pléthorique, un collège d’experts plus volumineux encore – c’est donc de cette vision bienheureuse de la ville dont procèdent les projets de ‘Réinventer etc.’ ? Bienvenue chez les Bisounours ?
Une communication autour de l’accessoire et du futile qui d’ailleurs est presque dommageable pour les quelques projets lauréats s’inscrivant réellement à l’échelle urbaine voire métropolitaine. Encore que… Le fameux «modèle économique inédit pour densifier et valoriser le tissu pavillonnaire» par exemple n’a rien d’innovant puisqu’un projet de recherche ‘BIMBY’ (abréviation tirée de l’expression anglaise ‘Build In My Back Yard’) a déjà été lancé par dix partenaires publics** en… 2009 ! Bref, reparlons-en dans dix ans…
En tout cas, puisque c’est d’actualité, que le pays semble de plus en plus irrémédiablement divisé, qu’une grande partie de la population exprime une colère sourde, la question demeure : une politique urbaine claire, ambitieuse, cohérente et globale, fut-elle socialiste, ne serait-elle pas plus utile qu’une énième collection d’idées, fussent-elles chacune bonne en soi, et d’objets architecturaux disparates ? Sinon, à ce titre Jeff Koons ferait parfaitement l’affaire (mais il est plus cher…).
Certes, le rôle des mairies est aussi de divertir leurs administrés et il est vrai que l’extrême droite a fait long feu à Paris, mais c’est Jean-Luc Mélenchon, lequel au soir du premier tour a fait la démonstration qu’il n’a rien d’un tendre, qui arrive en tête dans tout l’est parisien. Et le modèle où l’on cultive dans sa cuisine les asticots pour transformer nos déchets en compost naturel risque de s’avérer bientôt dérisoire face à la colère, voire la violence, qui s’expriment désormais ouvertement. Demander à Poutine ou à Trump ce qu’ils en pensent des asticots pour le compost. Alors, un trampoline pour les insoumis…
A moins bien sûr que les résultats de ce dernier concours ne soient la dernière preuve en date que la ville de Paris n’a plus les moyens de mener une politique à l’échelle de la ville. Les contraintes de tous ordres sont immenses sans doute et peut-être que ne demeurent plus alors que ce type d’interventions ponctuelles, l’image et la communication faisant le reste. Qui sait, peut-être l’histoire retiendra d’Anne Hidalgo le pont trampoline gonflable qui portera son nom…
Christophe Leray
*En partenariat avec la Ville de Paris, le projet est soutenu par l’Ordre des architectes en Île-de-France, les écoles nationales supérieures d’architecture de Paris Belleville, Marne-la-Vallée, Val-de-Seine et Versailles, des industriels, des acteurs de l’immobilier et de la nouvelle économie. FAIRE s’appuie également sur un réseau d’experts internationaux en particulier Carlo Ratti (Senseable Lab, MIT, Boston), Ricky Burdett et Richard Sennett (LSE Cities, Londres) qui contribueront à enrichir les expérimentations.
** Les Communautés d’Agglomération de Rouen et de Saint-Quentin-en-Yvelines, le CAUE de l’Eure, les ENSA de Paris-Belleville, Rouen et Marseille, le LATTS (ENPC) et le RIVES (ENTPE), le CETE Normandie Centre (pilote du projet) et le CETE Ile-de-France (co-pilote).