
Le 6 quai de Stalingrad à Boulogne-Billancourt (92), en lieu de dent creuse inconstructible, est désormais l’adresse de treize logements sociaux locatifs en foyer logement. La « nanoarchitecture » de Jean Léonard et Martine Weissmann se révèle dans un contexte urbain particulier – parcelle étroite, seulement 7m de profondeur constructible – particulièrement bien adaptée.
Treize logements sociaux dans une parcelle de 13m de large et 12m de profondeur avec un droit de construire sur 7m d’épaisseur seulement, c’est ce que Jean Léonard appelle en riant de la «nanoarchitecture.». Pourtant, à découvrir la façade sur les quais de Seine à Boulogne-Billancourt, en bordure même du quartier monumental du Point du Jour conçu par Fernand Pouillon, rien ne laisse deviner qu’il s’agit là de logements sociaux, encore moins que ces logements se répartissent sur seulement 545m² SHON. «OK, c’est petit mais les logements sont traversant et il y a de la lumière naturelle dans toutes les salles de bains,» expliquent les architectes. Jean Léonard et Martine Weissmann s’en excusent presque mais c’est bien d’un travail d’orfèvres qu’il s’agit.
La mairie de Boulogne disposait d’un terrain de 150 m² resté longtemps vacant, très bien situé en bord de Seine, entre un immeuble de Fernand Pouillon et un bâtiment de logements au débouché du Pont de Billancourt. Le maire souhaitait permettre à des fonctionnaires de la commune de se loger dans de bonnes conditions financières. Le nouveau PLU a rendu constructible ce terrain (avant il fallait un minimum de 200 m²) sous la réserve de ne pas creuser de parking. C’est sur ce terrain orienté plein sud face à l’île saint Germain et aux coteaux boisés d’Issy-les-Moulineaux que s’installe l’opération de logements.
Destiné à loger les jeunes fonctionnaires de la ville de Boulogne, l’immeuble est constitué de treize petits logements – neuf studios et quatre deux pièces de 36m² – tous traversants. Implanté simplement à l’alignement sur le quai de Stalingrad, il fait lien entre les onze étages de l’immeuble de Fernand Pouillon au 5 quai de Stalingrad et les quatre étages avec toiture du 7 quai de Stalingrad. L’une des performances des architectes fut notamment de parvenir à ajouter un étage (R+6), ce que le maître d’ouvrage pensait impossible. Cet étage supplémentaire, qui ne compte qu’un studio, se révèle important en regard de l’échelle du bâtiment Pouillon et, surtout, traduit l’ingéniosité de la conception, que la coupe illustre parfaitement.

En effet, au nord, un immeuble voisin imposait une règle de prospect contraignante (ce qui explique les 7m d’épaisseur du permis de construire). En imaginant une circulation en façade sur cour par une succession de coursives en retrait les appartements traversants, Jean Léonard et Martine Weissmann ont ainsi pu décaler la ligne de prospect et ainsi bâtir un étage supplémentaire tout en augmentant la surface habitable. Qui plus est, dans ces petits studios ou appartements, cette coursive est un lieu d’appropriation pour une table extérieure ou un barbecue par exemple, un grand garage à vélos ayant été prévu au rez-de-chaussée.
Les deux façades répondent d’ailleurs aux logiques contextuelles du site. En effet, si au sud la façade sur le quai s’insère dans la continuité du front bâti existant, c’est là que se concentre le travail sur l’épaisseur et la densité que les architectes ont voulu pour le projet. Le maître d’ouvrage, sans surprise, souhaitait des balcons. Or, puisque passe au pied de l’immeuble une quatre voies qui file le long des quais, c’est la réglementation autoroutière qui s’applique en terme de nuisance sonore, soit une protection demandées de 38db. «A ce niveau, nous serions passé à un mur béton et aurions été heureux avec 30% de surface vitrée,» expliquent-ils. Or, «le premier atout du projet est la vue sur la Seine et les coteaux et son exposition plein sud ; il fallait donner un aspect solaire à cette façade».

La solution ? Etonnante puisqu’il s’agit d’un dispositif de loggias superposées derrière une première peau fixe de grands panneaux de verre, espacés et décalés les uns par rapport aux autres pour garantir, puisqu’ils ne sont pas fermés sur les côtés, une ventilation naturelle. Ce n’est pas son seul atout. En effet, les architectes sont parvenus à démontrer que cette façade assurait à elle seule une isolation phonique supérieure à 3db. Ce gain acoustique n’est pas anodin puisqu’il permit à Jean Léonard et Martine Weissmann d’installer en seconde peau une façade vitrée à 80% et, économie notable, d’utiliser des menuiseries intérieures coulissantes standards (35db).
Ces loggias font donc office de balcon tout en protégeant le locataire du bruit et des intempéries. Par ailleurs, cette peau non étanche pour les loggias crée un espace de transition qui encaisse les chocs thermiques. «Le fait que les appartements soient traversants permet une ventilation entre façade ‘froide’ et ‘chaude’ en été ; ouvrir une fenêtre est un truc très simple : n’est-ce pas là la vraie durabilité?» s’interroge Jean Léonard en souriant.
Enfin, ces deux peaux sont devenues «le support d’un travail sur la transparence et le reflet, la couleur et l’abstraction. Les deux principaux plans de verre, eux-mêmes fractionnés en strates, jouent des données variables de la perception de l’épaisseur et permettent d’obtenir une forme de brouillage, une sorte de perte de repères visant à suggérer la profondeur dans une épaisseur quasi pelliculaire. On a l’impression que le deuxième plan flotte, qu’il n’y a pas de vitrage,» expliquent-ils.

Impression vérifiée par les journalistes lors de la visite. A noter encore le léger décalage de 20cm sur les loggias (voir la coupe de nouveau) qui permet de grappiller encore de la surface utile. Enfin, les couleurs utilisées en façade sont un rappel au contexte, tous les bâtiments de Boulogne en quai de Seine se couvrant de pare-soleil jaunes, rouges et bleus en toute saison dès que le soleil apparaît. «Les matériaux verre et pierre en base de bâtiment, enduits en façade arrière sont les garants de la pérennité et de la bonne tenue des façades dans le temps,» assurent Jean Léonard et Martine Weissmann.
Quand la mairie de Boulogne a changé le PLU pour rendre constructibles de petits terrains, cette première parcelle avait valeur de test. Le bâtiment de Leonard&Weissmann devrait l’encourager à poursuivre l’expérience.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 9 janvier 2008