L’histoire, passée et contemporaine, investit l’univers des geeks 3.0 qui se doivent désormais d’être cultivés et c’est l’architecture qui le leur impose. NADK – prononcer Enadeka, de ena, en grec, du premier art, l’architecture, à deka, le dixième art, le jeu vidéo – donne vie dans les mondes virtuels à l’architecture iconique et aux projets non-construits. Les architectes ont tout à y gagner.
Nous passons 90 % de notre temps dans des milieux construits, une partie de ce temps d’ailleurs au sein d’espaces imaginaires, qu’il s’agisse auparavant de littérature, aujourd’hui de jeux vidéo, de films, de publicités, etc. À vivre ainsi dès notre naissance dans le déjà bâti, chacun s’imprègne d’une logique spatiale cohérente qu’il s’attend à retrouver dans ces espaces imaginaires.
Au début, les jeux vidéo, comme le cinéma d’ailleurs, n’avaient pas prétention à être réalistes. Que l’on se souvienne du Pong, l’un des tout premiers jeux, sorti en arcades en 1972 et dans les foyers avec la première console en 1975. Pourtant, les joueurs « se sentaient » jouer au tennis ou au ping-pong, ce manque de réalisme étant la porte ouverte à l’imaginaire.
Puis les jeux ont évolué, avec le focus sur les joueurs soit en First Person (on voit à travers leurs yeux) soit en Third Person (la caméra suit le personnage) mais les décors sont longtemps restés flous ou stylisés. Sauf qu’aujourd’hui, les jeux sont devenus réalistes au point de devenir des miroirs de la vraie vie. Ou presque. En effet, quid du décor, des bâtiments et des lieux ?
Les éditeurs de jeux vidéo portent-ils une responsabilité quelconque dans le fait qu’ils contribuent à forger l’imaginaire de millions de personnes immergées ? De fait, en créant des mondes virtuels, les développeurs de jeux enfilent la peau d’un architecte ou d’un urbaniste. Les studios de jeux vidéo ont des enjeux très proches des créateurs du monde réel et font appel régulièrement à des historiens, des sociologues et des architectes. C’est là qu’intervient l’architecte DPLG Vincent Barué, créateur avec Julien Barbier de la société NADK à l’aube des années 2020.
« Les architectes ont une culture de l’espace, de l’histoire, de l’art, de la créativité et les créateurs d’univers virtuels sont désormais en demande d’un background culturel qui est justement celui qu’acquiert tout architecte durant ses études. Pour un univers de science-fiction par exemple, il faut une création cohérente et les architectes du monde réel ont désormais avec NADK la possibilité de participer, voire de créer, ces mondes virtuels », explique-t-il lors d’une rencontre avec Chroniques.
???
Vincent Barué assure que ce sont justement les limites de l’intelligence artificielle (IA) qui offrent cette nouvelle opportunité à tous les architectes du pays et du monde.
Juste quand l’IA affole la planète ?
« L’IA va être utilisée pour faire des économies et générer des mondes », convient-il. « Mais l’IA génère de la répétition et une perte de repères : à Paris, d’aucuns se déplacent d’un endroit à l’autre différemment que dans une ville américaine ou subsaharienne. Le monde réel est organique quand l’IA est procédurale par définition. L’humain fait immédiatement la différence entre un visage humain et un « faux » visage digital. Il en est de même de l’architecture et de l’urbanisme dans l’environnement des jeux où même le mobilier cloche », dit-il.
Convaincu que les projets d’architecture non construits sont des chefs-d’œuvre sous-employés et peuvent apporter « du cachet, de l’intérêt, de l’intrigue, du jamais-vu, de la narration », Vincent Barué, architecte et gros joueur, a trouvé le moyen de réconcilier ses deux passions.
Le principe semble une évidence. Tous les architectes conviennent que la masse des concours perdus représente une monumentale bibliothèque de matière grise vouée aux oubliettes, la plupart de ces projets finissant par prendre la poussière dans des cartons ou stockés sur des disques durs. Il y en a des milliers, une mine invraisemblable et incomparable du génie créatif des architectes !
« Ce sont souvent les projets les plus ambitieux qui restent inertes, demeurant à l’état de croquis et de plans conservés dans des archives. Un projet d’édifice religieux de Léonard de Vinci, le Cénotaphe de Newton d’Étienne-Louis Boullée, La Basilique Sainte-Baume de Le Corbusier, les Immeubles cratères de Claude Parent, le Théâtre Jeita Grotto de Jorn Utzon, la Tour sans fin de Jean Nouvel et tant d’autres projets emblématiques sont souvent méconnus et parfois sur la voie de l’oubli ».
Plus maintenant puisque le catalogue d’architecture non construite de NADK est au service des créateurs de jeux vidéo et, plus largement, d’espaces imaginaires quel que soit l’écran. « Il existe une forte synergie entre les univers virtuels et les projets non construits. Les premiers ont besoin de s’enraciner dans l’histoire, de puiser dans la culture et de proposer des expériences singulières. Les seconds sont des chefs-d’œuvre issus de toutes les époques, avec leurs histoires et conçus par des créateurs talentueux qui véhiculent leur notoriété, leurs univers esthétiques et même des imaginaires collectifs », poursuit l’architecte.
NADK, dûment certifiée IP (Intellectual Property) ready – c’est-à-dire que tous les points de droit sont réglés – propose aux éditeurs ou réalisateurs deux sections principales : le portfolio et les collections, le portfolio présente le projet à partir de la documentation existante fournie par les créateurs (croquis, plans, coupes, perspectives, images, modèle 3D si existant) quand les collections présentent des projets dont la modélisation a été prise en charge par NADK et sont disponibles directement pour les secteurs de l’audiovisuel. Aux architectes, NADK propose une nouvelle vie à leurs projets non construits, contre rémunération s’entend, avec des commissions significatives si l’agence s’engage au catalogue, comme l’ont déjà fait par exemple parmi d’autres des agences aussi différentes que Christian et Élizabeth de Portzamparc, Brenac & Gonzalez ou Béchu & Associés.
Trop beau pour être vrai ? Et pourquoi personne n’y a pensé avant ? « Il y a dix ans, ce projet n’aurait pas été possible mais aujourd’hui la technologie permet l’interopérabilité des systèmes et en ce sens, le jeu vidéo est bien devenu le 10ème art puisqu’il mixe la musique, le cinéma, la scénographie, l’architecture, etc. », poursuit Vincent Barué. De fait les studios de jeux vidéo deviennent de plus en plus des studios d’animation, les personnages des jeux devenant héros de leur propre long métrage, comme Mario Bros. Le Film en 2023.
D’évidence, ces studios cherchent dorénavant à valoriser leurs mondes virtuels en développant une sensibilité culturelle qu’ils tentent de mettre en avant ; il existe désormais, parfois, un mode ‘Exploration’ qui permet de quitter le mode ‘Gamer’ et de simplement se promener pour découvrir l’environnement du jeu. Des ‘extracts’ d’Ubisoft ont rejoint les musées. Dans le domaine de la pub également, les sociétés sont à la recherche d’un univers culturel authentique qui réponde à l’ADN de la marque. Le cinéma aujourd’hui n’hésite plus non plus à mixer décors virtuels et réels.
Certes il ne s’agit pas de philanthropie mais « les studios sont eux-mêmes valorisés, ils participent à la préservation du patrimoine, à la création contemporaine tout en présentant un univers graphique crédible, et pour cause, ancré dans une histoire et pour autant jamais-vu ! », relève Vincent Barué.
Loin d’une simple image 3D, chaque bâtiment de chaque concours perdu est en effet porteur de l’imaginaire d’un projet complet, unique, détaillé, né d’une narration comme disent les ‘story-boards’ des concepteurs de jeux. Aujourd’hui les premiers contrats de NADK sont en cours d’exploitation.
« Il est parfois nécessaire de modifier une séquence clef à cause de la puissance du projet d’architecture », relate l’homme de l’art, d’où la nécessité d’expliquer le projet, ne serait-ce que pour comprendre comment insérer un héliport par exemple. C’est bien le moins considérant qu’un jeu prend plusieurs années à développer. GTA 6 a demandé un milliard de dollars d’investissement et dix ans de travail pour recréer Miami. Le 7 décembre 2023, sa bande-annonce a reçu 120 millions de vues en 24 heures et fait exploser YouTube.
GTA 5 a été vendu à 200 millions d’exemplaires, Fortnite, jeu gratuit compte 500 millions de joueurs dans le monde et le marché potentiel pour un jeu est désormais estimé à trois milliards de joueurs. Vertige ! Pour autant, plus de 15 000 jeux sont sortis en 2023, il y a donc de la place, beaucoup de place, pour les concours perdus du catalogue de NADK et des architectes auront ainsi peut-être l’opportunité de découvrir leurs projets, qui sait, dans le dernier Alien ou pour une pub bien-être !
Ce d’autant que l’intégration au catalogue est pour eux gratuite.
Pour conclure, noter que le trésor ne se limite pas aux œuvres oubliées de l’architecture contemporaine mais permet de redonner vie à des œuvres légendaires, les grandes institutions culturelles désormais convaincues de la portée de la mission de NADK.
Dit autrement, le geek 3.0 sera cultivé ou ne sera pas. L’idée de Vincent Barué, née de ce besoin identifié des studios, démontre que la créativité humaine va prendre une importance nouvelle justement grâce à l’IA procédurale, obtuse et limitée. Quelle excellente nouvelle !
En tout cas, pour les architectes, le marché des jeux vidéo, un ‘game changer’ ?
Christophe Leray
Pour en savoir plus : https://www.nadk.io/