Avec Valery Giscard d’Estaing, la culture descend d’un cran. Malraux était ministre d’État, à ce titre numéro 2 du Gouvernement. Sous Giscard, Michel Guy, horticulteur de formation, et Françoise Giroud ne seront que secrétaires d’État. Place aux duettistes de la rue de Valois, qui tiendront 26 mois pour le premier, sept mois seulement pour la seconde.
Second volet de notre série « Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture ».*
Michel Guy
La loi sur l’architecture défendue en 1973 par Maurice Druon n’avait pas réussi, devant l’opposition farouche des architectes, à aller au-delà d’une première lecture au Sénat. Pierre d’achoppement, le paiement demandé à la profession d’une taxe destinée à financer une aide architecturale gratuite en contrepartie d’une intervention obligatoire partielle pour l’établissement de certains permis de construire.
L’élection de Valéry Giscard d’Estaing avait été suivie de l’arrivée d’une nouvelle équipe au ministère de la Culture confié à Michel Guy, secrétaire d’État, encadré par le Corps des Ponts et Chaussées (Pierre Richard, secrétaire général de l’Elysée, Pierre Mayet (Dafu) et Antoine Givaudan) qui allaient bientôt lui imposer un nouveau projet de loi.
Un Conseil restreint du 15 juillet 1975 sur l’architecture, tenu à l’Elysée, décidait de ne rendre obligatoire l’intervention de l’architecte que pour les constructions publiques et proposait de créer un conseil d’architecture dans chaque département, consulté pour tout projet élaboré sans architecte, financé par une taxe complémentaire de 0,2 % à la taxe locale d’équipement. Ultime provocation lapidaire du relevé de décision : « L’Ordre des architectes sera supprimé ». Il est à noter que la suppression de l’Ordre n’a jamais fait partie, contrairement à ce que certains ont écrit, des 110 propositions du candidat François Mitterrand !
Les services de la rue de Valois, dirigés par Alain Bacquet (directeur de l’architecture) et Jean Jenger, restaient assez largement attachés, pour leur part, aux principes posés en 1973 et avaient l’oreille de l’Hôtel Matignon, où Jean-Pierre Bady était resté en place. L’Union nationale des syndicats français d’architectes (UNSFA), qui avait à sa tête Alain Gillot, contre-attaqua aussitôt : 4.000 architectes manifestaient au Palais – Royal le 23 septembre 1975 aux cris de « Michel Guy démission ».
Une guerre de tranchées s’installa à l’automne 1975 entre la Culture et l’Équipement dont l’épisode le plus étonnant fut la présentation le 9 décembre par le ministre de l’Équipement d’un amendement à la loi de finances rectificative pour 1975, destiné à créer une « taxe additionnelle de 0,2 % à la taxe locale d’équipement » pour financer les conseils d’architecture (les futurs CAUE) qui, dès lors, seraient passés sous la tutelle des DDE. (Voir Secrets d’Architecture du 3 mars 2020 : Michel Charasse : « J’ai mis Fernand au garage »)
En juin 1976, au Congrès de l’UNSFA à Villeneuve-lez-Avignon, Michel Guy accepte in extremis d’amender plusieurs points essentiels du projet pour éviter une bronca. Le 28 août, après la démission de Jacques Chirac, il est remplacé par Françoise Giroud. Après son départ du gouvernement Michel Guy ne regagnera pas son activité initiale d’horticulteur mais bénéficiera de quelques présidences de festivals et de fondations culturelles. Bientôt sa santé se dégrade, on le voit plus guère au restaurant Louis XIV, une rôtisserie qu’il affectionnait sur les boulevards.
Homosexuel, Michel Guy meurt du sida en 1990 sans que la presse ne mentionne la cause de son décès. Catherine Tasca, qui lui succède un quart de siècle plus tard, loue un « ministre opiniâtre, imaginatif et novateur », ayant « légué l’esprit et fixé le cap » d’un ministère de la Culture redéfini. Elle visait, à l’évidence, ses initiatives en faveur du cinéma et du livre, plus que sa gestion du dossier de l’architecture.
Françoise Giroud
Françoise Giroud, fille d’un réfugié politique d’origine turque, née Léa France Gourdji (comme le rappelait inélégamment Le Figaro à sa mort), a été la seule femme à être patronne d’un groupe de presse en France et à avoir dirigé le ministère de la Culture. Il faudra attendre un demi-siècle pour voir à ce poste une éditrice, Françoise Nyssen.
Bien qu’ayant appelé à voter pour François Mitterrand, elle est d’abord nommée secrétaire d’État chargé de la condition féminine auprès du Premier ministre Jacques Chirac de juillet 1974 à août 1976. Il lui sera ainsi épargné de siéger au Conseil des ministres en même temps que son ancien patron (et plus encore) de l’Express, Jean-Jacques Servan Schreiber, nommé ministre des Réformes le 27 mai 1974, écarté quelques jours plus tard, le 9 juin, par le nouveau Premier ministre Jacques Chirac – qui le surnomme « le turlupin » – en raison de son opposition à la reprise des essais nucléaires.
S’appuyant sur des groupes de travail thématiques créés en 1974 (ruralité, discriminations juridiques, emploi, problèmes de couple, sport, place des femmes en politique), Françoise Giroud sait que ce travail ne portera ses fruits que sur le long terme « Il n’y a pas de secrétariat d’État aux miracles », dit-elle à propos de son bilan.
Madame pipi remplace Monsieur caca
Du 27 août 1976 au 29 mars 1977, elle est secrétaire d’État à la Culture et n’a que le temps, en sept mois, d’entériner des décisions prises avant elle : loi sur l’architecture, création des DRAC.
Pour saluer, à sa façon, l’arrivée de Françoise Giroud, rue de Valois, Charlie Hebdo publie une photo où elle se trouve face à Michel Guy, lors de la passation de pouvoirs, légendée : Madame pipi remplace Monsieur caca !
Françoise Giroud devra donc défendre le projet de loi sur l’architecture élaboré par Michel Guy, au Sénat d’abord, puis à l’Assemblée à l’automne 1976. Auparavant, une enquête par téléphone auprès des parlementaires élaborée au sein d’une officine actionnée par l’UNSFA, avait fait apparaître une majorité de députés favorable à l’intervention obligatoire des architectes, résultat publié à la une par Le Figaro.
Françoise Giroud, agacée, avait été amenée à répondre avant le débat à cet article du Figaro. Cela explique le mauvais souvenir qu’elle a gardé de cet épisode dans La Comédie du Pouvoir paru chez Fayard en octobre 1977, alors que la direction de l’Architecture venait d’être rattachée à l’Equipement. A moins que ce ne soit l’intervention en séance publique au Sénat d’un élu du Rhône qui s’était écrié pour stigmatiser l’inexistence de la formation des maîtres d’ouvrage : « Madame le Ministre, si vous voulez des Boticelli, donnez-nous des Médicis ».
À sa sortie du gouvernement, L’Express vient d’être vendu à James Goldsmith. Raymond Aron, éditorialiste au magazine, s’oppose à sa réintégration. Elle signe des chroniques dans le JDD et en est licenciée pour avoir critiqué le fait que Paris Match trahisse le secret de l’existence de Mazarine, fille cachée de François Mitterrand.
Candidate aux élections municipales de 1977 (dans le XVe à Paris) à la demande de Giscard et d’Ornano, elle est accusée d’usurper, dans sa profession de foi, la médaille de la Résistance. Scandale !
Djenane Gourdji, sœur de Françoise, a bien reçu la médaille pour avoir créé et animé un des premiers mouvements de résistance à Clermont-Ferrand en 1941 puis avoir été internée au camp de Ravensbrück. Christine Ockrent et Laure Adler volent au secours de Françoise en prétendant qu’une lettre reçue par leur mère prouverait que cette médaille aurait été attribuée aux deux sœurs, Françoise ayant rejoint le mouvement de sa sœur en 1944, mais que celle-ci ne serait pas allée la chercher ! L’affaire fait de beaux titres dans Le Canard Enchainé.
Ce scandale entraîne son retrait des élections parisiennes et son absence du nouveau gouvernement de Raymond Barre. Au bénéfice du doute, le procureur classe l’affaire en 1979.
Entre dépressions, malgré une analyse conduite auparavant avec Jacques Lacan, et travaux d’écriture, dont une chronique TV dans L’Obs pendant 20 ans accordée par Jean Daniel en 1983, la vie de Françoise Giroud perd de son éclat. Jusqu’au jour où, sortant d’une première le 16 janvier 2003, en compagnie de Florence Malraux, elle fait une chute la tête la première dans le grand escalier de l’Opéra-comique (et non du Casino de Paris!). Elle meurt le 19 janvier 2003.
Après le Grand Prix spécial du Festival d’Angoulême, Charlie hebdo a reçu mercredi 29 janvier 2015 le Prix de défense des libertés par le jury du prix Françoise Giroud. Gérard Biard, rédacteur en chef de Charlie hebdo, était présent pour recevoir l’œuvre d’Annette Messager, intitulé pour l’occasion « Je suce Charlie ». Sa seule réaction a été : « Je ne vois pas ce que je peux ajouter ».
Syrus
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* Le premier volet parcourt la période allant d’André Malraux à Maurice Druon. La prochaine chronique évoquera Michel d’Ornano et Jean Philippe Lecat, à nouveau ministres, qui n’auront plus à gérer seuls les questions liées à l’architecture récupérée par le ministère de l’Equipement. Nous examinerons les conditions de leur retour à la vie civile, tragique pour l’un, nébuleux pour l’autre qui s’intéresse à la toison d’or !