Dans notre article consacré au rapport Lemas* publié le 26 janvier 2021, nous indiquions qu’un autre rapport, celui du député Modem de la Haute-Garonne Jean-Luc Lagleize, avait été « enterré ». Enterré était sans doute trop vite dit, comme a tenu à nous l’expliquer le député. Ce n’est pas pour autant une bonne nouvelle. Explications.
Dans son rapport, consacré à La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction, l’auteur prône une vaste transformation des us et coutumes destinée à permettre à la collectivité publique de mieux maîtriser son foncier, notamment au travers des organismes de foncier solidaire (OFS) et d’une remise à plat de la fiscalité liée au logement. De fait le rapport n’est pas passé totalement inaperçu tant certaines de ses propositions ont été récupérées ici ou là.
Des propositions dispersées comme des aigrettes de pissenlit
Qu’on en juge. Ainsi, la proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français, déposée par le Groupe Modem en octobre 2019, en reprenait six mesures, dont la fin de la vente aux enchères et la dissociation du foncier à bâtir accessible à tous les Français, loi votée à l’unanimité de l’Assemblée nationale**.
La création d’un fond de 300M€ pour les friches, accessible dès fin 2020, et une prime aux maires qui densifient, avec un fonds doté de 350M€, disponible à partir de mars 2021, sont deux autres mesures à trouver cette fois dans le cadre du Pacte national Relance Construction Durable.
La loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE, reprend elle aussi des mesures [plutôt] techniques issues des préconisations du rapport. Tout comme la loi Convention citoyenne sur le climat bientôt en débat à l’Assemblée nationale qui reprend une proposition ayant trait à l’obligation pour les communes de réaliser et livrer en conseil municipal un bilan annuel sur l’artificialisation des sols.
Enfin, le projet de loi 3D (Décentralisation, Différenciation et Déconcentration) pour sa part reprend l’idée de l’extension des OFS pour qu’ils puissent délivrer des logements hors conditions de ressources, « la dissociation entre foncier et bâti accessible à tous les Français ». Un succès donc !
Succès qui ne se dément pas puisqu’il était déjà question de logement dans le Plan Pauvreté d’octobre 2020 et encore dans la loi ELAN évidemment (le logement mélangé avec le numérique !!!). De fait, entre droit de la construction, urbanisme, commande publique et privée, réglementation technique, logement, social, etc. c’est « un déluge », pour citer Le Moniteur, de textes réglementaires.
Dernière idée en date (du 15 février 2021) de la ministre du logement Emmanuelle Wargon, une aide de 1 000 € pour les jeunes qui commencent dans la vie professionnelle. Et encore, pour en bénéficier, le jeune devra remplir quatre critères. Pourquoi faire la charité simplement quand on peut faire la charité compliquée ? Comme si une aide royale de 1 000€ était le début du début de s’atteler aux problèmes de fond du logement des jeunes en particulier, des Français en général !
Sans oublier encore l’annonce le 15 février 2021 des lauréats du programme de recherche POPSU territoires sur les petites villes et les territoires ruraux lancé par Jacqueline Gourault, ministre de Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales (ouf !) et qui compte bien évidemment des volets logements. Il faut suivre mais au moins tout cela garde les ministres et sous-ministres occupé(e)s.
Bref alors même que Jean-Luc Lagleize, parmi tant d’autres, propose dans son rapport une vue d’ensemble cohérente, ses propositions sont éparpillées dans les ministères et sous-ministères façon puzzle. Ce qui est moyen comme gage d’efficacité. Le député le reconnaît : « Effectivement, chaque ministre ajoute une pierre à l’édifice, ce qui tend à encore plus complexifier le système qui doit être totalement repensé ». Ce n’est rien de le dire.
Une réforme de fond impossible au pays des propriétaires
Alors même que ce ne sont pas les idées et initiatives qui manquent***, plutôt qu’un saupoudrage pour donner le change, pourquoi une vraie réforme de fond du logement est-elle apparemment impossible ?
Toujours est-il que le député Lagleize s’est senti tenu de se rappeler à la mémoire d’Emmanuelle Wargon le 22 décembre 2020, près d’un an et demi après la remise de son rapport, avec deux questions adressées à la ministre, traitant pour la première du dispositif des OFS et du bail réel solidaire (BRS) et, pour la seconde, du financement de l’économie sociale et solidaire (ESS). L’élu de la nation ne réclame pourtant que « simplification de la procédure d’agrément, de financement et de communication ». À croire que les OFS, que le député défend ardemment pour permettre aux collectivités publiques de juguler la spéculation foncière, ne sont pas une priorité. Apparemment, leur financement sur le long terme non plus.
À cela, au moins deux raisons. La première est liée à la culture bien française de la propriété. Ce n’est pas une vue de l’esprit puisque dès 1977, la loi n° 77-1 du 3 janvier 1977 réformait le financement du logement social avec pour objectif premier « de favoriser la satisfaction des besoins en logements et en particulier de faciliter l’accession à la propriété ». L’accession à la propriété n’a jamais cessé d’être encouragée depuis.
Les effets pervers sont pourtant connus. Sans même parler du cas exemplaire de Grigny, seconde plus grande copropriété d’Europe, il suffit d’imaginer le nouveau chômeur dans sa région désindustrialisée qui, coincé par les traites de sa maison qui ne vaut plus grand-chose, ne pourra que traverser la rue devant chez lui dans un aller-retour sans espoir, sans jamais pouvoir déménager ailleurs dans une région plus propice à l’emploi.
Les locataires eux-mêmes se retrouvent pris au piège de la flambée des loyers en zone tendue : si pour des raisons personnelles ou professionnelles, ils partent un an ou deux ans dans une autre ville, ils n’ont aucune assurance de pouvoir revenir se loger au même endroit et aux mêmes conditions à leur retour.
Le gouvernement actuel, comme les gouvernements qui l’ont précédé depuis 20 ans, entend privilégier la mobilité des Français, mais à ne considérer le logement que sous forme de rustines à coller ici ou là en fonction des dernières urgences en date – comme les 1 000€ « offerts » aux jeunes – il ne fait jamais qu’enliser la crise un peu plus profondément. En attendant, les taux d’intérêt plancher, en resolvabilisant des pans entiers de la population, ont permis aux prix du foncier de s’envoler et aux propriétaires immobiliers de s’enrichir.
En symbole de cette impuissance, se souvenir que la ministre du Logement n’est en réalité que ministre déléguée auprès de la ministre de la Transition écologique, son poste une sous-rubrique en somme, comme l’architecture est une sous-sous-rubrique du patrimoine, lui-même sous-rubrique au ministère de la Culture.
Alors, axer une énième réforme du logement sous le seul angle des économies d’énergies et du développement durable – avec mauvaise foi en plus**** – c’est une fois de plus se garder d’interroger plus avant le fond de la crise du logement, tant en termes de quantité que de qualité. Sans compter évidemment que les décisions qui comptent se prennent à Bercy, sauf celle peut-être d’offrir mille balles aux jeunes pour se loger.
Sinon quand les ministres n’ont plus grand-chose à faire, surtout en fin de quinquennat, ils nous laissent pour mémoire des dispositifs de défiscalisation du logement : Robien, Borloo, Besson, Cosse, Pinel, Denormandie. Emmanuelle Wargon doit être sûrement en train de se pencher sur la question, histoire d’ajouter un élément supplémentaire au goulash administratif.
Français et députés insensibles à un sujet peu glamour
Quid des rapports bien intentionnés qui les uns après les autres alertent des difficultés – pour le dire gentiment – à venir et prônent une réforme cohérente ?
C’est la deuxième raison pour laquelle une vaste réforme en ce domaine n’est finalement jamais prioritaire : les députés et les Français eux-mêmes n’ont avec constance que peu d’appétence pour ce sujet. Les chiffres d’un sondage OpinionWay***** réalisé pour l’ADEME et rendus publics en novembre 2020 sont à ce titre révélateurs.
Dans le premier chapitre, dédié à l’importance accordée à l’effet de serre et au réchauffement climatique, à propos des « enjeux les plus importants pour la France », les Français et les parlementaires sont invités à choisir parmi 12 propositions celle « qui vous paraît la plus importante aujourd’hui pour la France ».
Surprise, pour les Français et leurs représentants, tout à fait d’accord en l’occurrence, le logement arrive en avant-dernier, juste avant les transports ! Ils ne sont que 9% des Français, encore moins de parlementaires, à placer le logement parmi leurs trois premiers choix ! 2% pour le premier choix ! C’est dire si ça intéresse !
Des chiffres confirmés année après année dans le baromètre annuel des représentations sociales publié par l’ADEME. Dans sa livraison de juillet 2020, le logement et les transports sont encore le cadet des soucis des Français en termes d’environnement alors même qu’ils sont une écrasante majorité à les considérer désormais comme des sources importantes d’émissions de gaz à effet de serre. Dit autrement, seul l’argument énergétique sembler percuter. Et dévier le regard ?
Il est paradoxal en effet que le logement ne soit absolument pas une préoccupation majeure des Français alors même qu’il est devenu pour une majorité d’entre eux leur premier impôt et la part du lion de leur budget.
Le député Lagleize veut pourtant y croire : « Prendre à bras-le-corps le logement, ce doit être un sujet de campagne présidentielle et un sujet dont s’empare le Premier ministre dès le début de son mandat », souligne-t-il. C’est en effet un vrai débat de société !
Il est cependant clair que sans pression des Français dans leur ensemble, quel gouvernement s’engagerait dans une réforme casse-cou pleine de chausse-trappes politiques ? Celui-ci croyait s’en tirer avec la loi ELAN ; deux ans à peine plus tard, la situation est pire qu’avant.
Enfin, et peut-être surtout, les politiques de très long terme semblent désormais difficiles à mettre en œuvre, dans un cadre démocratique, entre l’État et les collectivités locales.
La nation de propriétaires immobiles a donc de beaux jours devant elle et une quelconque réforme ambitieuse du logement devra attendre.
Christophe Leray
P.S. Le rapport du député Lagleize compte 232 pages d’une lecture souvent ardue pour le profane. En quoi est-il si important pour les architectes ? Toujours est-il que c’est un architecte, Philippe Chaix, qui l’a édité et imprimé (Editions PC). Intitulé Gagner la bataille du logement, l’ouvrage compte en sus deux préfaces signées par Emmanuelle Wargon et François Bayrou.
* Lire notre article Après le permis de faire, celui d’expérimenter ?
** Le texte devait être examiné au Sénat début avril 2020, pile-poil au début du second confinement. Puis il y eut le renouvellement du Sénat, les sénateurs devant alors se pencher sur le budget. Patience donc.
*** Lire notre article Conférence du consensus dédiée au logement : carte de vœux à la Prévert
**** Lire notre article RE2020 : l’ACV dynamique, c’est de la dynamite écologique et … politique !
***** Sondage réalisé auprès d’un échantillon de 1510 personnes représentatif de la population française âgée de 15 ans et plus, constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle, de catégorie d’agglomération et de région de résidence et auprès d’un échantillon de 201 députés et sénateurs représentatif des parlementaires.