Dans notre série* « Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture », Françoise Nyssen, Franck Riester et Roselyne Bachelot, passagers en seconde classe de la Macronie, font fort pour ne rien faire.
Avec Françoise Nyssen suspectée un moment de conflits d’intérêt et victime de ses déboires avec le code de l’urbanisme, Franck Riester, anguille politique, discrètement exfiltré du gouvernement entre deux confinements, et Roselyne Bachelot, au franc-parler de Madame Sans-Gêne, que Jean Castex appelle « Ma lionne », la Macronie offre le pauvre bilan de son peu de zèle pour la culture et de son inaction en matière d’architecture de la part des trois ministres successifs.
Françoise Nyssen (17 mai 2017 – 16 octobre 2018)
Fille du fondateur d’Actes Sud, petite maison d’édition créée en 1968 à Arles par Hubert Nyssen, essayiste, poète et écrivain belge naturalisé français en 1976, Françoise Nyssen étudie en Belgique la chimie et la biochimie et, en même temps (ce qui la prédestine au macronisme) l’urbanisme au sein du réputé Institut Saint-Luc de Bruxelles. Son diplôme lui ouvrira un accès à la direction de l’architecture du ministère belge de l’Environnement et du cadre de vie.
En 1980, elle rejoint son père à Paradou, village provençal sur le versant sud des Alpilles et prend peu à peu les responsabilités, en les diversifiant, de la maison d’édition paternelle. Elle reçoit en 1991, le prix Veuve Clicquot de la femme d’affaires de l’année ! Champagne !
Son engagement politique se limite alors à la signature, en 2007, d’un manifeste de femmes de lettres en faveur de Ségolène Royal.
Sa nomination au poste de ministre de la Culture, c’est la surprise du chef. L’une des premières tâches, ingrate, de la nouvelle locataire de la rue de Valois sera de veiller, pour ce qui relève de l’architecture, à l’application des décrets de la loi sur la liberté de la création, l’architecture et le patrimoine (loi LCAP) adoptée sous la législature précédente. Loi rebaptisée avec malice « Loi SCALP » par Chroniques d’Architectures, eu égard aux conditions féroces du limogeage de Fleur Pellerin qui l’avait portée devant le Parlement.
Françoise Nyssen sera confrontée à un texte plus conflictuel, la Loi ELAN, destinée soi-disant, à « faciliter la construction de nouveaux logements et à protéger les plus fragiles ». Un thème récurrent depuis belle lurette ! Cette fois-ci, ce texte, contesté et contestable, provoquera chez les architectes une grande journée de mobilisation le 17 mai 2018 et une tentative inattendue de la ministre pour déminer le terrain : « Créer un DÉSIR d’architecture ! »
Le législateur nous avait habitué ces dernières années à donner des noms d’oiseau à des suppositoires législatifs : ainsi la loi ALUR de Cécile Duflot, censée favoriser (déjà) l’accès au logement ; en 2015, la Loi de Mobilisation pour le logement et de Lutte contre l’Exclusion, dite loi MOLLE, correspondait à la présidence « normale » de François Hollande. Avec Françoise Nyssen, la Macronie donnait au DÉSIR D’ARCHITECTURE, une dimension freudienne inattendue susceptible néanmoins de rassembler quelques nostalgiques de l’École des Beaux-Arts qui avaient fait l’ascension du Mont Bouduglan, point culminant du Talviékistan, lieu de pèlerinage très prisé par les architectes de l’ancienne école, source d’inspiration inépuisable, pour ceux qui connaissaient alors les six couplets du « Pompier ».
Françoise Nyssen, rue de Valois, aura bien d’autres sujets de préoccupations et de contestation, de plus en plus vive, de son action. Le sérail fera courir le bruit qu’elle est « un caillou dans la chaussure du Président ». Mais curieusement, c’est l’architecture, encore, plus que les conflits d’intérêt liés aux subventions dont bénéficie Actes Sud de la part du Centre National du Livre, qui sonnera le glas de son passage express rue de Valois : en l’occurrence, la construction sans permis en 2012, dans l’Hôtel d’Aguessau (ISMH) d’une mezzanine de 150 m², révélée par le Canard Enchaîné. Le Canard établira que ce n’était pas un coup d’essai puisqu’Actes Sud avait fait précédemment d’importants travaux, à Arles, sans consulter l’A.B.F. Décidément, une marotte et un point final à sa carrière politique.
Franck Riester (16 octobre 2018 – 6 juillet 2020)
Le coulommiers est un fromage de lait de vache à pâte molle, non pressée et non cuite. En quoi se distingue-t-il du Brie de Meaux ou de celui de Melun, il faut toute la souplesse politique d’un élu du terroir, tel Franck Riester (diplômé de l’ESSEC) pour le comprendre.
D’abord dans le sillage de Guy Drut, député-maire de Coulommiers, il le trahit lorsque ce dernier est nommé ministre de Chirac, et devient maire en 2008 sur sa propre liste. En 2012, grâce à une intense activité locale, il conquiert un second mandat sous l’étiquette UMP (qui deviendra Les Républicains en 2015). Il vote néanmoins pour le mariage pour tous et soutient la PMA annoncée par les socialistes. Lors de la primaire à droite, il rejoint Bruno Lemaire en 2016 et fustige à l’occasion Emmanuel Macron dans des tweets incendiaires. En 2017, il résiste à la vague macronienne et adhère aussitôt au groupe Les Républicains constructifs UDI et Indépendants, qu’il co-préside. Il crée AGIR l’année suivante, rejoint la majorité présidentielle à l’occasion du remaniement du 16 octobre 2018 et s’installe rue de Valois avec le maroquin de son choix.
Concernant l’architecture, Franck Riester ne fait pas dans la litote. Il veut tout simplement : « déconstruire les idées reçues sur l’architecture et les architectes ». Au secours Derrida !
On relève dans ses déclarations des engagements peu conciliables : d’une part, contribuer à la neutralité énergétique du bâti en usant des connaissances sur les matériaux ; d’autre part, savoir réutiliser le bâti existant « pour préserver les sols et l’environnement naturel ». En filigrane, c’est le concept de « ville-ressource » qui se dessine : « Je vous encourage à investir les centres urbains. L’un des enjeux des municipales est de repenser les centres-villes, surtout dans les villes moyennes et intermédiaires ».
Pour une fois, le sens politique du ministre est pris en défaut car la pandémie aura changé l’ordre des priorités. Pour comble de malheur, il est le premier membre du gouvernement à être diagnostiqué Covid-19 le 9 mars 2020, sans conséquences lourdes.
On l’a vu, c’est un politicien surdoué. Au point d’être reconduit par Jean Castex (juillet 2020), ministre délégué chargé du Commerce extérieur et de l’Attractivité (sic). Un poste attractif, sans doute….
Roselyne Bachelot (6 juillet 2020 – …)
Fille de Jean Narquin, chirurgien-dentiste, ancien résistant et député gaulliste, Roselyne est docteure en pharmacie, femme politique, animatrice de radio et de télévision française. Écologie et Développement durable avec Raffarin sous la présidence Chirac, Santé et Sport, puis Solidarité et Cohésion sociale avec Fillon et Sarkozy, elle les a tous bluffés par une faconde adaptée aux hommes et aux circonstances. Ainsi apprend-on que dans son collège de bonnes-sœurs (Retraite du Sacré-Cœur à Angers), une religieuse s’était prise d’amour pour elle en terminale. Elle lui envoyait des mots doux, des lettres enflammées. La religieuse appelait Roselyne Bachelot « mon petit masque courageux ».
Un faux blaze prémonitoire lorsqu’elle sera attrapée par la Covid-19, le 20 mars 2021 et sortira de l’hôpital le 1er avril (sic) ! On apprendra aussi qu’elle pratique le piano depuis l’âge de trois ans et demi et le chant jusqu’à l’âge de vingt ans. Sa passion pour l’opéra date de son premier voyage à Vérone. Cette complaisance vis-à-vis d’elle-même, trait de son caractère, la poussera même à livrer quelques pseudo-confidences dans un ouvrage de circonstance (paru en 2019 chez Glénat) piloté par Guillaume Gomez, cuisinier de l’Élysée, aux côtés de Philippe Faure et Jean-Robert Pitte, au titre ronflant : Les Cuisiniers de la République française. Hélas sa plume n’est pas taillée à la dimension du propos et se limite à quelques anecdotes de sous-préfecture.
En 2012, elle rend son tablier, publie À feu et à Sang sur la campagne présidentielle 2012 de Sarko (petite cuvée par rapport à la suivante) et s’engage dans l’animation à la radio et à la télévision. Elle demande même une carte de presse ! On la voit dans des émissions de divertissement et d’information, avec Fogiel sur RTL, LCI et aussi avec Cyril Hanouna sur Europe 1 (Les pieds dans le plat, en 2014). Elle passe ensuite (2015 – 2020) chez Laurent Ruquier dans Les Grosses Têtes. En mars 2018, elle joue avec Myriam El Khomri et Marlène Schiappa une représentation de Les Monologues du Vagin au théâtre Bobino. Les bénéfices du spectacle vont au Collectif féministe contre le viol.
Roselyne Bachelot, langue de vipère dans un rôle de composition où elle excelle, a été condamnée le 6 novembre 2017 à 500 euros d’amende avec sursis et 10 000 euros de dommages et intérêts pour avoir accusé le joueur de tennis Rafael Nadal de dopage.
Son retour en politique le 6 juillet 2020, alors qu’elle avait déclaré à plusieurs reprises ne pas l’envisager, est moqué sur les réseaux sociaux où l’on ne se prive pas de rappeler quelques-unes de ses saillies dont la plus sulfureuse pour une ancienne ministre de la santé, est gratinée : « la guerre c’est comme la coke: c’est bon au début, mais ensuite, ça détruit ».
Et aussi, plus en phase avec l’actualité : « gérer une crise sanitaire, c’est conduire une Ferrari sur une route verglacée ». Et encore, ce qui lui valut le prix de l’humour politique en 2008 : « le bobsleigh, c’est comme l’amour : on hésite au début, on trouve ça très bien pendant et on regrette que cela soit déjà terminé après ».
Son comique est un mélange de cuistrerie et d’humour potache qu’une commère des Grosses Têtes appelle le « Bachelotage ». Dans le genre bourgeoise pas du tout effarouchée elle sera dépassée par Blanche Gardin, moins gauloise et pimbêche dessalée. Dans les Grosses Têtes, elle poussera la parité homme-femme jusqu’à rivaliser avec Jean-Marie Bigard et ses histoires de cul au premier degré.
Elle est revenue, une fois ministre, voir ses anciens camarades et les a quittés en leur disant « il faut me garder ma place au chaud ! » La suite de sa « carrière » est donc assurée. À 75 ans, Roselyne protège encore ses arrières !
Si son arrivée rue de Valois a été parfois bien accueillie, donnant l’illusion de défendre les artistes, elle a dénoncé la méfiance des professionnels du cinéma « critiques envers la politique gouvernementale alors qu’ils reçoivent d’importantes subventions et aides liées à la crise ». Elle glapit : « ce sont des problèmes de riches », soulevant un tollé chez les intéressés.
En matière d’architecture, la nouvelle locataire de la rue de Valois a trouvé une pétition de 200 signatures sur son bureau, émanant des enseignants et chercheurs des écoles d’architecture. Quelques discours, de vagues promesses, aujourd’hui son bilan est maigre, même si le discours est gras. Elle s’est exprimée en janvier dernier dans une pastille vidéo de 6 minutes en clôturant les vœux 2021 du CNOA par une séance de calinothérapie dont cette institution a bien besoin alors que la Cour d’appel a confirmé le 15 octobre 2020 la condamnation de l’Ordre des architectes pour pratiques anticoncurrentielles à 1,5 million d’euros d’amende. Pas sûr que les mots doux de Roselyne aient la moindre influence sur la Cour de cassation qui devra confirmer ou non la condamnation.
Syrus
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*« Il n’y a rien de mieux pour flinguer une carrière politique qu’un poste de ministre de la Culture » – La série
– Le premier volet parcourt la période allant d’André Malraux à Maurice Druon.
– Le second, sous Giscard, revient sur les passages express au ministère de la Culture de Michel Guy et Françoise Giroud.
– Dans le troisième épisode, De Michel d’Ornano et Jean-Philippe Lecat, un seul meurt dans son lit.
– 1981–1993, les années Mitterrand : à la Culture, chassé-croisé Lang – Léotard
– Décennie 1993 – 2002 : Douste et les catherinettes, ce n’est pas Toubon
– 2004 – 2012 : rue de Valois, trois mignons, et coquins avec ça, et une mignonne
– 2012 – 2017 : Trois ministres de la Culture normales ?
– 2017 – 2021 : En Macronie, un bilan de la culture si maigre qu’il en est anorexique
Fin (provisoire)