Les trucs bizarres ont-ils une signification ? Voyez la page (en anglais) Wikipedia Prix de l’Equerre d’argent* au 26 novembre 2013, soit une semaine après l’annonce des lauréats de cette année. Wiki a dûment noté chaque année le nom et le bâtiment du lauréat. Du moins depuis 1986 – Adrien Fainsilber ‘for the’ Cité des Sciences de la Villette – jusqu’en 2007 – Nathalie Franck and Yves Ballot ‘for the restructuration-extension of the Nuyens school in Bordeaux’.
Tiens, notons au passage que, parmi tous les lauréats, l’Equerre de Franck&Ballot est la seule qui n’a pas, sur cette page, de lien de renvoi.
Surtout, plus étonnant, le relevé minutieux des ‘Award winners’ du Prix de l’Equerre d’Argent s’arrête justement en 2007, l’année Franck&Ballot ! Décidément ! C’est marrant mais le RIBA n’a pas ce problème (à noter cependant une précédente interruption entre 1987 et 1994, entre l’Institut du monde arabe et le Stade Charlety respectivement).
Bref, voici que la liste English Wiki consacrée à l’Equerre d’argent redémarre soudain en 2013 ! ‘Award winners’ : Sanaa.
Il aurait donc fallu Sanaa pour que d’aucuns, Anglo-saxons, s’inquiètent de mettre à jour la page consacrée à ce ‘French architecture award, given annually by Le Moniteur group for a French building, completed in the past year’ ?
Pourtant, de 1986 à 2007, ils sont tous là : Nouvel, deux fois, Portzamparc, deux fois, Renzo Piano, Rem Koolhaas, Dominique Perrault, Valode&Pistre, Henri Ciriani, etc. Marc Mimram aussi, en 1999, ‘for the Solferino Bridge’. Le même a reçu, en 2013, le Prix Aga Khan, pour un autre pont. Il était nominé à nouveau à l’Equerre 2013, pour une école à Strasbourg.
Bref, si l’on comprend pourquoi elle a repris cette année, que s’est-il passé en 2007 pour que la liste Wiki s’arrête soudain ?
Cela signifie-t-il que les Anglo-saxons n’en ont rien à secouer de Frédéric Druot et Lacaton & Vassal (2011), Pascale Guédot (2010), Bernard Desmoulin (2009) et Marc Barani (2008) que Wiki in English cesse de compter ?
Cela en dirait long sur la portée ‘internationale’, désormais, de ce prix.
Jacques Guy, ancien directeur général du Moniteur, en vantait pourtant, en 2007 justement, la «dimension internationale». Le règlement du concours 2013 indique pourtant, quant à lui, «une perspective internationale».
Guillaume Prot, directeur général du Moniteur, rappelait ainsi en novembre 2012 que l’Equerre est «un prix apprécié des architectes», d’autant que «c’est fait à un coût raisonnable».
C’est vrai que ni Kazuyo Sejima, ni Ryue Nishizawa themselves ni quiconque de chez Sanaa ne s’est déplacé à Paris pour apprendre la bonne nouvelle. Le maître d’ouvrage s’est quant à lui félicité de l’annonce. Je ne sais pas lire le Japonais et je ne peux donc pas vous en dire plus de la page Wiki-Japon consacrée aux ‘Equerre Awards France’ mais j’imagine que cette page est datée du 18 novembre dernier.
Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa viendront-ils recevoir leur prix le 21 janvier prochain ?
Et si Sejima ne vient pas, même toute seule ? Que cela signifierait-il ?
Tiens, au fait, puisque nous en sommes aux bizarreries. Le règlement 2013 indique que «12 réalisations maximum [sont] éligibles pour chacun des prix» du Moniteur. Il n’y a pourtant que huit nominés à l’Equerre 2013.
Si on oublie Sanaa, il n’y aurait donc pas 11 bâtiments construits en France en 2013 dont «[les] qualités de conception et de réalisation et la collaboration avec le maître d’ouvrage» méritent d’être notées par un jury d’experts ?
Pas étonnant en ce cas qu’à l’étranger ils s’interrogent… D’ici que d’aucuns y voient un camouflet aux maîtrises d’ouvrage et architectes français…
Reprenons. Autant qu’elles peuvent avoir signification quelconque, dans le dossier de presse du Moniteur de l’annonce des nominés pour l’Equerre 2013, il y a encore une autre bizarrerie. ‘Liste des opérations Nominées à l’Equerre d’argent’* est-il indiqué.
Paf, direct dans le titre (quasi) de ce document de deux pages, un astérisque. Quid ?
Voyons donc en bas de page :
(*) Le MuCEM à Marseille et 87 logements ‘Eden square’ à Chantepie (Ille-et-Vilaine) ne figurent pas dans la liste des nominés aux Prix d’architecture du Moniteur 2013 après que leurs architectes et ayants droit respectifs ont exprimé leur volonté de ne pas en faire partie.
Ah bon ?
Telle nomination ne fait donc pas plaisir aux ayants droit respectifs ?
Certes, en cette note de bas de page, les architectes ne sont pas nommés mais d’aucuns les auront reconnus. D’ailleurs, nous en savons d’autres qui ont exprimé la même volonté.
Certainement, normalement, les gens, fussent-ils architectes, sont contents, sinon heureux, d’être nominés à un prix, surtout «international», surtout pour un prix qui fut suffisamment prestigieux de 1986 à 2007 que les Anglo-saxons en prenaient note. Non ?
Et là, les ayants droits disent Niet ! Voilà qui est étonnant…
Que s’est-il donc passé en 2007 ?
Ah oui, la French Touch s’est soulevée cette année-là. Six ans déjà ! En 2013, les dents ont fini de grincer et l’optimisme a cédé à la détermination. Demeurent quelques rancoeurs sans doute mais ce n’est pas la French Touch qui a, depuis 2007, empêché les Anglo-saxons, voire les Japonais, de s’intéresser aux lauréats de l’Equerre jusqu’à ce qu’arrive Sanaa en héraut de l’excellence en notre pays.
Toujours est-il – et je ne sais plus si c’est ou non une autre bizarrerie – qu’Aurélie Filippetti, ministre de la Culture, s’apprête à remettre, le 16 décembre prochain, les ‘Prix Femmes Architectes 2013’. What ? ‘3 lauréats, 2 mentions spéciales, 12 nominées’ indique le communiqué. «Ce prix a pour but de mettre en valeur les oeuvres et les carrières de femmes architectes françaises, d’encourager les jeunes femmes architectes par l’exemple de leurs ainées et de promouvoir la parité dans la profession».
A priori, pas d’ambition internationale ; nous ne nous offusquerons donc pas si les Anglo-saxons et les Japonais ne se font pas l’écho de l’évènement. A moins bien sûr que, pour l’une des mentions spéciales, Kazuyo Sejima peut-être…
Quand même, qu’il faille aujourd’hui encore ajouter un prix aux prix, que s’est-il donc passé en 2007 ?
Rien sans doute puisque l’indépendance du jury du Moniteur ne peut être mise en cause. De quoi sinon Franck et Ballot seraient-ils le nom ?
Demeurent ces bizarreries – le hasard sans doute – qui feront la joie des exégètes.
Retour donc à cette Equerre qui nous occupe aujourd’hui. Ce qui frappe au final est peut-être son manque d’élégance : mettre sur un même plan Sanaa et quelques logements de la SIEMP, c’est comme mettre sur un ring Mike Tyson et mon petit frère. Sept maîtrises d’ouvrages et sept (pas onze) architectes français (pas tous) : sept sparring-partners ?
Même Fuksas n’a pas tenu un round.
Il fait comment le jury ?
Sanaa, ‘of course’.
Le buzz des moineaux et les Anglo-saxons qui prennent bonne note sont bons sans doute, et encore, pour la communication ‘corporate’ mais, vraiment, quel jury aime qu’on lui torde ainsi le bras ? Personne n’a d’ailleurs misé sur les petits frères.
Alors oui, Ricciotti aurait dû boxer dans cette catégorie là – ne serait-ce que pour solder 2007 – mais il a refusé ce combat, fut-il gagné d’avance.
Bref, de quoi cette Equerre 2013 est-elle le nom ?
Et qu’en pensent les Anglo-saxons ? Et les Japonais ?
Christophe Leray
* Lien : http://en.wikipedia.org/wiki/Prix_de_l%27%C3%89querre_d%27Argent
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 27 novembre 2013