La formule n’est pas un programme architectural ou un règlement intérieur. C’est un ajout, une application de quelque chose d’immatériel multiple et inséparable du lieu construit.
Je me souviendrai toujours de l’émotion ressentie à Olympie face à la piste des premiers Jeux Olympiques. Il ne restait presque rien, juste une ligne et pourtant l’émotion était immense, intense. La pensée, la mémoire, l’histoire, le récit à eux seuls constituaient pleinement le lieu à la manière d’une grande architecture. Une émotion architecturale peut-elle s’exprimer dans l’absence de construit ? Au-delà ou en deçà d’une forme matérielle ?
Arthur Rimbaud déjà invitait à « Trouver le lieu et la formule ». Et si la formule participait à faire le lieu ? Quoi qu’il en soit, elle s’y inscrit ; et ensemble, simultanément, lieu et formule orientent ou organisent l’environnement, (de) la vie. Ils augmentent un milieu.
Difficilement définissable, une formule est toujours plurielle. Elle relie les temps. Elle juxtapose ou combine à la fois explication, composition, description, incantation, procédé (recette), suggestion, fonctionnement, réglage. Elle facilite le bon usage du lieu et permet aux habitants (gestionnaires, occupants, visiteurs) qui le souhaitent de mieux écouter ou agir sur l’architecture, de la transformer, l’adapter, réguler l’atmosphère ou tout simplement jouer avec.
La formule n’est pas un programme architectural. Il ne s’agit pas de définir l’usage général d’un espace qui est souvent connu en amont de la conception (des bureaux, des logements, un hôpital, une école, etc.). Elle n’est pas un règlement intérieur, qui s’instaure indépendamment de l’architecture. C’est un ajout, une application d’immatériel inséparable du lieu construit et multiple : possiblement mémoire, règle, mode d’emploi, rituel, supplément d’âme. Elle aide à le faire mieux fonctionner, le transformer, se l’approprier et parfois aussi à le sacraliser. C’est un « modus opérandi » de l’n-spaces en relation avec les environnements intérieurs et extérieurs ; une écriture qui instruit, documente, guide, agit.
Outil indispensable au bon fonctionnement et à l’appropriation de l’architecture en tant qu’instrument d’environnements, elle peut aussi participer à construire une part de surprise et de magie, aussi infime soit-elle, nécessaire à tout bâtiment. La formule active l’âme sculptée par l’architecture, elle complète une identité, ajoute un guide, façonne une fable, chorégraphie une part du cadre de la vie qu’elle accueille et qui parachève l’œuvre – toujours une œuvre d’architecture se finalise par la vie de ses habitants.
Histoire
A Olympie, l’histoire, les récits anciens et leurs mises en valeur résonnent, colorent, formulent. Certains bâtiments du passé : les temples, mausolées, édifices religieux ont leurs embryons de formule pour tout visiteur qu’il soit croyant ou non – seule la résonance change –, les habitats aussi. Les formules varient. Ces ancêtres des formules telles que nous allons les décrire sont, dans ces cas, davantage attachés à une typologie de monument ou à une géographie (édifice de telle croyance ou histoire, habitat de telle culture), qu’à l’architecture ou au bâtiment lui-même.
Pour les lieux plus communs, il existe des « formules » plus anecdotiques, souvent conventionnelles, identiques partout et rarement exprimées. Ce sont des us et coutumes ou des rituels souvent liés au passage d’un seuil comme l’interdiction de toucher, d’écrire sur les murs , la nécessité de quitter ses chaussures, de se découvrir, etc.
Aujourd’hui, avec la multiplicité des arrangements, configurations et dispositifs à la fois relationnels, spatiaux, lumineux, climatiques, mémoriels ou spatio-digitaux, à l’aune des nouvelles techniques et de l’ère numérique, la conception de chaque bâtiment comme instrument d’environnements élargit les champs d’actions possibles. En conséquence, une formule plus étoffée devient nécessaire pour expliciter, simplifier, accroître des performances écologiques et participer, davantage encore que dans le passé, à l’esprit du lieu.
Associée aux n-spaces, la formule inscrit un corpus de règles physiques, sociales, digitales ou d’usages, à la fois descriptives, prescriptives et génératives qui animent le bâtiment et orientent une partie de la vie qui s’y déroule.
En partie performative, son écriture agit dans le réel : sur la matière (construite), la manière (de l’habiter) et surtout sur les relations créées ou entretenues entre l’architecture et d’une part les environnements, d’autre part les vivants. Elle peut décrire certains effets, formuler les modes d’utilisation de l’instrument et proposer certaines compositions ou scénarii.
Combinant procédés, moyens, explications ou règles confidentielles ou partagées, la formule façonne le lieu : son usage, les modes vie ou son environnement construit, ses relations. Elle contient des parties fixes qui suivront le bâtiment durant toute sa durée de vie, traçant la continuité des usages, de l’histoire, des vies, et des parties variables, ajustables, modifiables à différentes échelles de temps, améliorant la réappropriation du lieu, par transformation de certaines consignes d’utilisation, ou de certaines réactions de son environnement.
Une formule à énoncés multiples
La formule est une écriture composite et complexe. Elle contient plusieurs énoncés plus ou moins privés, plus ou moins accessibles selon la nature de la personne qui souhaite les consulter. Ils peuvent nécessiter une connaissance préalable à l’entrée dans le lieu.
La formule s’apparente à un code en partie ouvert, en partie caché. Elle instruit à la fois l’habitant sur la manière d’utiliser l’instrument et l’instrument par amélioration de son autofonctionnement. Elle regroupe des énoncés divers dont nous allons identifier des typologies :
Typologie d’énoncé n° 1 : un mode d’emploi qui explicite fonctionnement, adaptabilité climatique et usage
Le manuel d’utilisation de l’architecture (instrument d’environnements) est une sorte de mode d’emploi de l’instrument, à destination de l’habitant, usager régulier. Il dévoile des astuces, indique des moyens et manières, par exemple des actions propres à transformer le lieu en fonction des usages et besoins.
(A suivre)*
Eric Cassar
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*Ce texte en quatre parties est le troisième d’un triptyque :
– Du champ de traces au chant des traces
– L’ar(t)chitecture est un instrument d’environnement