Chacun connaît la passion de l’architecte Dominique Perrault pour le sous-terrain à l’air libre. Un oxymore en apparence mais, comme l’indique la conférence proposée par son agence le 28 février 2020 à l’occasion de la présentation de Parking du futur, une étude réalisée pour Indigo, « leader mondial du stationnement et de la mobilité individuelle », l’architecte n’est pas rangé des voitures.
Depuis le temps que le sujet le préoccupe, Dominique Perrault est parvenu à construire un corpus, intellectuel et construit abouti. En témoignent notamment le jardin profond de la BNF, l’université féminine EWHA de Séoul et dans la même ville le Pôle intermodal de Gangnam (en cours), ou encore Aérog’art sur l’Esplanade des Invalides développé dans le cadre de l’appel à projets Réinventer Paris 2.
Pour le coup, ce parking revu par DPA est tout bonnement formidable tant il s’appuie sur tous les concepts à la mode : plate-forme multimodale au service des mobilités douces et offrant des services au quartier, comme une deuxième cave pour les habitants, des facilités logistiques, la gestion du dernier kilomètre, un espace d’agriculture urbaine, etc.
Serge Clémente, le président d’Indigo Group Indigo qui rien qu’à Paris gère 1,5 million de mètres carrés de parkings souterrains, « soit la surface cumulée de 13 tours Montparnasse », peut se féliciter. Dans des centres-villes saturés, il entend convertir ses parkings en lieux de culture alternatifs, en terrains de foot, zones de restauration rapide ou en hubs logistiques accueillant le public la nuit ou le week-end.
« Cette collaboration avec DPA vient enrichir toute notre dynamique d’évolution en profondeur des parkings actuels, vers de nouvelles fonctionnalités. Elle va permettre de montrer que le Parking de demain sera ouvert sur son environnement, au coeur des enjeux de mobilité et de services de la Smart city du futur », explique-t-il, la main sur le cœur, faisant aveu que, selon lui, « c’est la technologie qui sauvera la planète ».
Certes, du parking, Dominique Perrault convient qu’une large variété d’usages donne de la valeur à cette infrastructure et que la transformation de ces espaces, délaissés pour certains, est un signe de résilience de la ville. Mais le parking n’est finalement qu’un prétexte à la poursuite de cette passion qui l’anime et le conférencier s’occupe très vite de décliner à l’envi le Groudscape – alliage entre « Ground » et « Landscape » – ou le « Groundscaping » qui forment désormais la trame de ses stratégies urbaines et architecturales souterraines.
« Ce nouveau champ de recherche pour les architectes, concepteurs et urbanistes et cette forme d’architecture qui explorent les potentialités spatiales inscrites dans, et sous, la surface de nos villes, offrent une réponse résiliente, responsable, esthétique et durable aux nombreux défis urbains actuels », affirme Dominique Perrault.
‘GroundScape’ a vocation à « intensifier la vie en ville ». Dit autrement, Dominique Perrault ne propose pas seulement un travail de transformation du bâti existant mais bien une transformation de la ville elle-même. D’ailleurs, les quatre scénarios* qu’il a développés – le Parking réaménagé donc, la Place Épaisse, l’Avenue Épaisse et le Sol épais – s’inscrivent tous dans une vision de la ville qui va bien au-delà du parking.
Si le mot scénario évoque une fiction, il est possible d’en décrypter le script. A l’automne 2018, l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et Dominique Perrault ont lancé un MOOC (Massive open online course) sur l’architecture du ‘Groundscape’. Cet atelier de projet et de recherche en architecture a donné lieu à un concours intitulé “Groundscape Architecture Design Lab, Re-thinking cities underground” dont l’architecte Alexis Peyer est lauréat**.
Le projet d’Alexis Peyer invitait à redécouvrir la Place de la Concorde, « en dessous », avec l’ouverture de deux « tranchées » historiques formant des places à l’Est, à l’interface du Jardin des Tuileries. « Le sol s’ouvre, la lumière s’infiltre, les lignes cardo / decumanus sont révélées », explique-t-il.
Il décrit le cheminement au travers de la méthode proposée dans le MOOC. « J’ai aimé aborder le projet par la fiction, on s’approche peu à peu du sujet, l’urbanisme est pensé par le site, pas par le programme. Le projet était déjà dans le plan d’origine de 1748 pour Louis XV, il suffisait d’excaver pour laisser apparaître les façades d’une grande galerie du nord au sud reliant l’hôtel de la Marine aux deux musées, de l’Orangerie et du jeu de Paume ». Racontée comme cela, l’architecture souterraine n’a pas l’air compliquée. Au sud de la galerie, le visiteur arrive sur la Seine
Dans ce projet, Alexis Peyer ne touche à rien en surface, le patrimoine mondial demeurant intact. « Le sous-sol permet l’exploration », poursuit-il. En regard du récent projet pour les Champs-Elysées présenté par Philippe Chiambaretta***, qui ne s’occupait guère de cette place loin des préoccupations des locataires de l’avenue haute, en lieu de simples aménagements, cette proposition offre à ce patrimoine incommensurable une nouvelle dimension loin de l’image d’Epinal du ‘bistrot parisien’ ou d’une avenue transformée en podium à selfies.
Cette galerie deviendrait une destination en soi, ce que la Place de la Concorde n’est jamais. Surtout, trait d’union entre les Tuileries, les Champs-Elysées et deux stations de métro, elle pourrait s’inscrire dans un réseau souterrain plus large : le Grand Louvre, les Halles, Les invalides (projet Perrault), les sous-sols de la place de l’Etoile. Certes, le vocabulaire est celui de Perrault – Alexis Peyer évoque un « système racinaire » dont parlera Dominique Perrault dans les mêmes termes lors de sa conférence – mais, en l’occurrence, ce projet est la démonstration qu’une fiction venue de nulle part peut tutoyer, voire accrocher le réel.
Tout cela pour montrer que les stratégies urbaines développées par Dominique Perrault sont en elles-mêmes d’une grande faculté d’appropriation et d’adaptation. C’est évidemment là que commencent les difficultés. « Il faut des opérateurs du sous-terrain », souligne-t-il, appelant de ses vœux « un PLU des sous-sols ». Pour le coup, Serge Clemente, le président d’Indigo, ne peut que confirmer : « [dans les sous-sols], il y a toutes sortes de propriétaires, c’est très compliqué d’avancer », dit-il. La preuve, personne ne sait à qui appartient la Place de la Concorde. « En plus les propriétaires ne se parlent pas entre eux », insiste Dominique Perrault.
Il prend pour exemple le concours Réinventer Paris 2, celui des sous-sols****. « La compétition ne portait que sur les terrains, limités, de la ville alors qu’ils sont contigus à d’autres et qu’une discussion entre propriétaires donnerait plus de valeur à la parcelle », dit-il. Deux ou trois connexions changent en effet radicalement la nature de ces éléments enfouis. Et le potentiel du système racinaire dont il parle, au moins à Paris, est en effet déjà là !
La question va donc bien au-delà du parking : « sans consommer d’espace en surface, on crée de la densité qui ne se voit pas. Ce n’est pas seulement une réflexion d’infrastructure, c’est une réflexion citoyenne », souligne l’architecte. Aller se baigner dans la nappe phréatique au niveau -11 ? La fiction permet aussi de rêver.
« Le souterrain n’est pas un milieu hostile, c’est un lieu de ressources porteur de régénérescence de la ville », soutient Dominique Perrault. Et de citer la station Villejuif du Grand Paris Express, à ciel ouvert à 50 m de profondeur et ventilée naturellement, dont il a entrepris la réalisation. « Une telle profondeur sans système de désenfumage, on espère que cela fera jurisprudence », conclut-il.
La réalité aura alors rattrapé la fiction.
Christophe Leray
* Voir notre article Parking du futur – Les quatre scénarios imaginés par DPA
** Voir notre article Concours Groudscape : les projets lauréats
*** Voir notre article Aux Champs-Elysées, plan de campagne pour l’Avenue des Marques du Comité
****Voir notre article Réinventer les dessous : un défilé 2019 tout en séduction