En écho à la biennale de Venise 2018, Caroline Rigaldiès, architecte associée de l’agence Pargade, pointe une dimension de l’architecture hospitalière fondamentale: le bien-être. Dans un monde où le temps, l’espace et les moyens sont réduits de toute part : la prévenance ou générosité des lieux doit tenir compte des besoins et des désirs de tous ceux qui pratiquent les bâtiments et pas uniquement ceux du maître d’ouvrage*. Compte rendu.
Les mentalités changent, les modes de vie et de travail évoluent et chacun est aujourd’hui attentif à plus d’authenticité, de personnalisation et de collectif dans sa pratique de la ville. Alors comment concevoir un hôpital urbain, c’est-à-dire qui participe à la fabrication de cette ville plus humaine ? La coconstruction est un moyen collectif d’élargir le champ d’action de l’architecte et d’enrichir le projet pour qu’il crée des lieux d’opportunités de bien-être partagé, des espaces pouvant accueillir des usages mixtes à inventer collectivement.
La coconstruction dans le domaine hospitalier est un stimulateur de créativité qui fait le pari que la somme des énergies peut construire une ville plus agréable car l’hôpital de demain n’est plus un objet isolé ni une architecture à part.
La certification Well
Le bien-être à l’hôpital doit être pensé en regard de critères très différents, à la fois techniques comme la qualité de l’air ou de la lumière mais aussi subjectifs comme le confort, la nourriture, les vues, les espaces de détente pour des publics variés (patients, accompagnants, personnel, habitants du quartier). Il serait alors possible de s’appuyer sur la certification Well qui gagerait de sa qualité (certification avec laquelle nous travaillons sur nos projets avec des partenaires comme le bureau d’études environnemental Etamine). Cet objectif ambitieux constituerait un excellent moyen de communication pour changer l’image de l’hôpital
Le bien-être : vivre autrement
Comment concevoir collectivement cet hôpital du bien-être ? Nous avons pour cela relevé cinq domaines d’échanges :
– l’intégration urbaine ;
– la présence de la nature ;
– la qualité architecturale ;
– l’attention aux utilisateurs qu’ils soient patients, personnel, accompagnants ou habitants du quartier et La recherche d’un espace de travail confortable et valorisant pour travailler mieux et autrement ;
– l’innovation technique au service du confort et du respect de l’environnement.
Les fondements urbains : comment intégrer l’hôpital dans la ville
Il s’agit de rapprocher l’hôpital des familles dont la présence est considérée comme essentielle dans le processus de guérison, d’«apprivoiser» les lieux pour dédramatiser l’hospitalisation, de créer des liens de familiarité avec l’environnement hospitalier pour modifier notre vision de la maladie, de trouver une proximité avec la population. Gommer les limites de l’hôpital permet de minimiser son échelle.
Pour le nouveau CHU de Nantes par exemple, avec nos confrères Art&Build, nous travaillons en étroite collaboration avec la Maîtrise d’œuvre urbaine (Jacqueline Osty et Claire Shorter) ainsi que la SAMOA et Nantes Métropole pour créer ces continuités urbaines et faire en sorte que l’hôpital vienne dans la ville mais également que la ville vienne dans l’hôpital.
Un hôpital connecté
Ici, nous avons conçu l’hôpital comme un «hub» connecté à différents satellites organisés en plusieurs couronnes successives plus ou moins distantes : une première couronne, directement branchée sur ce cœur de l’hôpital (constituée des urgences, de l’imagerie et des blocs opératoires) accueille les pôles hospitalo-universitaires.
A proximité immédiate, l’université, un hôtel hospitalier, des écoles paramédicales, des prestataires assurant des soins post ou pré-hospitaliers se répartissent ainsi dans la ville en fonction de leurs besoins de proximité avec l’hôpital, jusqu’aux autres hôpitaux du territoire (grâce aux Groupements Hospitaliers de Territoire GHT). Tous partagent ainsi un projet médical commun et créent un réseau connecté.
Fluidité, porosité : le lien avec la cité retrouvé
Pour prolonger la vie citadine à l’intérieur de l’hôpital, ce dernier est traversé par des rues piétonnes et animé par des aménités, activités partagées dans les rez-de-chaussée : centre de conférence et de formation, hall général accueillant des boutiques (coiffeur, libraire, fleuriste…) et même des expositions, des animations de quartier, un restaurant sur les quais de Loire ou des espaces bien-être ou fitness pour se remettre en forme après une intervention ou pour se rendre après le travail…
Les fondements paysagers
Le végétal garantit la continuité avec les aménagements urbains et les espaces publics constituent un élargissement des possibilités de détente pour les utilisateurs de l’hôpital : le futur Parc de Loire ou les aménagements du quai Wilson offrent des lieux de promenades, des parcours sportifs ou des animations culturelles saisonnières pour se ressourcer et s’extraire de l’atmosphère hospitalière.
Inversement, les ‘pocket-parcs’ conçus par notre partenaire Signes Paysage au cœur même de l’hôpital sont ouverts aux habitants du quartier. Les allées et jardins permettent de se déplacer dans l’hôpital en plein air au travers de lieux habités par le mobilier urbain, par l’éclairage nocturne, par des totems informatiques.
Les toitures végétalisées constituent un continuum du paysage végétal, un tableau vivant vu depuis les chambres ou les lieux de travail comme ici sur notre projet du Pôle Scientifique et technique de Marne-la-Vallée
Les fondements architecturaux
Deux sujets essentiels d’intégration font l’objet d’une concertation avec Nantes Métropole depuis le concours. Le premier concerne l’échelle des bâtiments et le rapport aux volumes bâtis urbains du quartier pour gommer l’effet massif habituel des hôpitaux et se fondre dans la ‘Skyline’ de la ville. Le second est l’harmonie architecturale pour s’intégrer tout en affichant une identité d’équipement majeur dans la ville.
Pour partager ces enjeux et se forger une culture commune, nous avons établi des règles de composition qui unifient tout en laissant s’exprimer des bâtiments différents. Parmi elles : un socle continu, un rythme de façades qui peut être décliné, un motif commun (le quinconce) et un traitement des attiques communs qui fait oublier l’aspect technique de l’hôpital et garantit la géométrie simple et épurée des bâtiments.
Les fondements organisationnels
L’ambition est de faciliter le travail, susciter les échanges et favoriser l’ouverture aux autres. L’attention est donc portée d’une part sur la capacité de l’équipement à accueillir : les halls en premier lieu sont des lieux généreux, fluides, offrant un grand volume libre pour permettre, avec les associations locales, activités et programmations diverses. Et, d’autre part sur sa capacité à susciter les échanges, à rassembler, informer et permettre le partage d’expériences dans des espaces adaptés – une bibliothèque par exemple ou encore, pour se sustenter, une nourriture de qualité dans un lieu distrayant.
L’hôpital est par ailleurs aussi un lieu de travail difficile. Il est à ce titre indispensable de réfléchir avec les intéressés à comment y travailler autrement (Schémas NWOW)
Avec notre partenaire designer Saguez, nous réfléchissons aux ‘New ways of working’ ou comment travailler autrement. L’idée est de trouver de nouveaux rythmes dans la journée en concertation avec les maîtres d’ouvrage et pour cela concevoir les lieux de travail autrement autour de quelques principes, notamment :
– faire circuler les gens, c’est faire circuler les idées ;
– mettre en commun l’espace signifie plus d’espace et plus de diversité d’usage ;
– praticité et confort pour plus d’efficacité personnelle et collective ;
– apaiser / réconcilier la sphère privée et la sphère professionnelle grâce à des services de proximité.
L’idée est d’implanter des solutions «nouveaux usages» dans les espaces de travail du personnel médical et en particulier pour les bureaux médicaux : différentes typologies de salles de réunion, en fonction du temps à passer pour se réunir en petit comité mais aussi des tisaneries, des bureaux partagés, des espaces silence à l’acoustique renforcée pour s’isoler, etc.. Il s’agit de varier les façons de travailler
Les fondements techniques
Le digital n’est pas une fin en soi mais un facteur pour créer davantage de liens, de connaissances accessibles et partagées. Il doit être utilisé simplement comme un facilitateur de la vie du quotidien dans des sites de très grande taille accueillant des organisations complexes.
Il est d’abord utile et agréable : pour s’orienter, se repérer, s’informer, réserver une salle, commander son repas, organiser ses transports, se divertir, payer, organiser son parcours santé.
Il permet au patient d’agir sur son espace personnel en pouvant choisir, par exemple, l’intensité lumineuse de la pièce, la température, sa musique, ses heures de repas ou son programme de divertissement.
L’informatique est également au service de la fiabilité des soins : géolocalisation et ‘tracking system’, dossier médical, robotisation, opération à distance, simulations 3d…
Enfin, implantée dans les points focaux des parcours, par exemple les halls ou le parking, le digital, au-delà de sa fonction de vecteur de messages, peut ponctuellement devenir une expérience artistique et sensorielle.
Une conception technique innovante et respectueuse
Le bâtiment est économe en énergie car il utilise des énergies renouvelables et locales : géothermie sur nappe, réseau de chaleur nantais, capteurs solaires étudiés en concertation étroite avec les services techniques chargés de la conception du futur quartier. Il s’agit in fine d’un écosystème énergétique grâce à une boucle de récupération d’énergie entre les bâtiments producteurs de chaleur et les consommateurs.
Caroline Rigaldiès
*Ce texte est un compte rendu de la conférence donnée par Caroline Rigaldiès lors du 38ème Séminaire annuel de l’UIA – PHG (du 29 au 31 mai 2018 au Parc des Expositions de Paris-Porte de Versailles) dont le thème cette année était : «Hospital 21».
*Pour plus d’info sur le sujet de l’hôpital de demain, consulter nos articles :
– A l’hôpital digital ‘Phase IV’, demain c’est aujourd’hui
– Hôpital 3.0 : quelques clefs de conception
– Hôpital du futur : trois questions à Jean-Philippe Pargade
– Hôpital du futur : trois questions à Sarah Caragiale
– Au CHU de Poitiers, un centre interactif pour une prise en charge globale et plus rapide
– Hôpital du futur : trois questions à Thierry Courbis