Quel plateau technique pour quel rôle ? Quelle évolutivité pour quel hôpital ? Quelle marge pour l’architecte ? Eléments de réponse avec Sarah Caragiale, architecte associée de Behrend Centdegrés Architectures, agence d’architecture spécialisée dans le domaine hospitalier depuis plus de 30 ans.
Chroniques : Il se passe dix ans entre la conception et la construction d’un hôpital dans un domaine, la médecine, où l’évolution technologique va plus vite que le temps de mise en œuvre des projets. Quelle est la première qualité d’un projet hospitalier lors d’un concours ?
Sarah Caragiale : Quand on répond à un programme dans ce domaine, la clef est d’apporter une réponse évolutive car tout projet d’hôpital doit prévoir son évolution. Cela conduit à un changement des manières constructives, par exemple les cloisons en béton des années 70/80 sont devenues des cloisons légères qui permettent de modifier l’espace à n’importe quel moment, mais aussi à des évolutions dans la façon de réfléchir puisque les flux de fonctionnement déterminent désormais l’insertion des services, l’évolution de ces flux devant pouvoir être anticipée.
A Poitiers*, pour la salle de chirurgie interventionnelle, nous avons optimisé les services entre eux, créant un circuit fermé qui permet de passer directement de la salle d’opération à l’IRM per-interventionnel. A Péronne**, nous avons organisé les urgences avec une salle de soins qui articule autour d’elle tous les différents services. Ainsi passe-t-on directement de la consultation au court séjour, à la salle des plâtres ou à une sortie directe sur les autres secteurs. Ce n’était pas ce que nous avions imaginé en phase concours mais c’est une adaptation du programme résultant des consultations avec les utilisateurs.
En d’autres termes, le projet gagnant lauréat (rappelons que le candidat ne peut pas discuter en amont avec qui que ce soit, dans le cadre d’un concours Loi MOP. nda) n’est pas seulement un projet qui fonctionne bien mais un projet qui est choisi précisément pour sa capacité à être modifié et à évoluer en cours d’études. Le challenge est donc de garder l’image et l’esprit du projet tout en admettant une évolution***.
Quel impact sur l’économie des projets ?
La pression économique implique des différences d’approche. Les gestionnaires connaissent quels actes sont les mieux payés et cela conduit à une spécialisation des établissements de santé. Autre impact, l’autonomie croissante des hôpitaux amenés à gérer leur propre budget. Le constat est que le paiement à l’acte change complètement le programme. Par ailleurs, la diminution du temps passé à l’hôpital induit une augmentation du plateau technique. Avant, la partie hospitalisation était la plus conséquente, celle du plateau technique moindre, aujourd’hui c’est l’inverse. En effet, considérant que moins de gens seront soignés à l’hôpital puisqu’ils le seront à domicile, sachant d’ailleurs que les traitements à domicile sont plus sécurisants et moins source d’angoisse, l’hôpital de demain ne sera plus constitué que de plateaux techniques.
De plus, aujourd’hui, le traitement de certains cancers par exemple ne nécessite plus qu’une injection. Le patient se rend à l’hôpital et rentre chez lui immédiatement. Qui plus est, les technologies et la télémédecine permettront bientôt aux patients de se faire leurs propres piqûres. Autre exemple, si en 2015, il y a encore des espaces de ‘bobologie’ à l’hôpital, ils auront sans doute disparu en 2025. Ces évolutions auront évidemment un impact sur l’économie des projets. Ce qui induit une nouvelle réflexion : faut-il mettre le plateau technique au centre de l’hôpital ou le répartir dans plusieurs bâtiments ?
Le programme du concours permet-il cette évolutivité ?
L’exemple de la maternité est significatif puisqu’il faut désormais pour la femme enceinte prendre en compte la présence d’aides-soignants qui préparent au retour, prévoir l’espace dans la chambre pour le bain du bébé, etc. Cet accompagnement est désormais très important pour la mère et le bébé, qui restent moins longtemps à l’hôpital. Il faut donc trouver une nouvelle réponse pour que la ‘cellule’ soit aussi un lieu de formation ou encore autre chose à l’avenir. Dans ce cadre, pourquoi ne pas imaginer au sein de l’établissement un centre de balnéothérapie, ou un SPA pour la mère et l’enfant ? Surtout, demain, le sujet sera celui du dossier-patient. Comment anticiper quels espaces seront nécessaires quand il n’y aura plus besoin de banque d’accueil, qu’une borne de lecture de la carte vitale ou de la paume de la main suffira à diriger le patient directement vers le service concerné ?
Une difficulté en effet est que le programmiste récolte des informations qu’il traduit en besoins, un résultat qui, aujourd’hui, ressemble de plus en plus à un schéma directeur ; dit autrement, il fait le travail de la faisabilité. Ce faisant, il assure certes un maximum de compacité par rapport au fonctionnement mais il ne conduit pas un travail de réflexion quant à la qualité des espaces, la lumière, l’articulation entre les différentes fonctions. Aujourd’hui, c’est souvent dans ce cadre restreint que l’architecte doit s’imposer car l’architecture ne se limite pas à répondre à un assemblage de fonctions. Le programme est souvent inadapté, ce d’autant plus que la prise en charge ambulatoire encouragée aujourd’hui contraint par ailleurs à inventer dans l’hôpital des fonctions qui n’existaient pas auparavant.
Propos recueillis par Christophe Leray
* CHU de Poitiers – construction du centre Neuro-Cardio-Vasculaire, livraison fin 2016.
** Centre hospitalier de Péronne (80) – Construction du bâtiment court séjour de médecine et d’urgences, livré en 2014
***A noter que cette nécessaire évolution du projet disparaît avec la conception-réalisation. NdA.
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