Des bâtiments ont la faculté de résumer, malgré eux, toutes les incohérences des lois urbaines et architecturales qui régissent la construction. C’est encore plus flagrant quand il s’agit de la première tour de logement construite à la Défense depuis 30 ans. Elle a surgi du crayon de Louis Paillard en dialogue constant avec Bouygues Construction pour la partie technique. Visite d’une opération dans laquelle seul Ubu y retrouverait ses petits, difficilement.
«L’occasion de construire des logements à La Défense reste rare. D’autant plus une tour de logements», souligne Louis Paillard. En matière d’architecture et d’urbanisme, La Défense tant décriée reste paradoxalement pour bon nombre d’architectes un eldorado habité de formes géométriques très simples aux couleurs froides. Ramener de l’humain aux pieds de la Grande Arche semblait être une arlésienne aussi tenace que celle qui racontait qu’un jour Jean Nouvel pourrait avoir sa signature sur la dalle. Pour les deux, le mythe est proche de devenir réalité. Mais laquelle ?
Depuis quelques années déjà l’Etablissement Public d’Aménagement de La Défense Seine Arche (Epadesa) cherche à réhumaniser cet espace urbain complexe en densifiant les quelques dents creuses restantes par la construction de logements*. Face aux tours glaciales de la Société Générale, le long de la promenade suspendue par Paul Chemetov et au-dessus des voies ferroviaires, dans une alcôve appartenant à la ville de Puteaux, se dresse donc désormais fièrement l’ouvrage signé Louis Paillard pour Nexity, abritant 168 logements étudiants en partie basse et 112 logements en accession à partir du 10ème étage.
La parcelle est trapézoïdale. Sachant que la grande largeur de la parcelle est orientée au nord et que, côté́ sud, il était interdit d’ouvrir des baies, l’enjeu était d’y faire entrer dignement 11 000 m² de surface habitable. Pas simple, d’évidence.
La façade septentrionale est légèrement décollée du volume haut des logements en accession. «Cet écran protecteur fragmenté et ouvert au droit des loggias/balcons joue aussi un rôle de signal fort et de marqueur à l’échelle du paysage grandiose formé par l’axe et la Grande Arche de la Défense», poursuit l’homme de l’art.
L’ouvrage est soutenu sur neuf niveaux par une colonnade monumentale, rappelant les fameuses cathédrales gothiques vantées par Le Corbusier en son temps, ici en forme de triangle, de cercle ou encore de croix à la Mies van der Rohe. Cette colonnade est traitée comme un véritable «salon urbain», lieu de passage, de rendez-vous galants… identifiant fortement l’entrée et l’adressage du hall d’entrée double hauteur des logements en accession.
«Pour trouver la forme idéale, nous avons appliqué la méthode ‘Take Zoning as a Design Guideline’ en l’adaptant au site par le biais de multiples maquettes en volume et en 3D», raconte Louis Paillard. Ou quand l’architecture naît littéralement de la ville. «L’idée que nous poursuivions était de permettre d’optimiser les ouvertures côté́ sud tout en proposant une forme forte unitaire facilement identifiable», dit-il.
La vêture en aluminium anodisé perforé de carrés signe le bâtiment et anime chichement les façades aussi bien de loin que de près. L’édifice brille et varie à la manière d’une peau photosensible changeant d’aspect tout au long de la journée tout en reflétant et démultipliant pour les absorber les édifices proches. Certes, ce ‘Skylight’ ne réchauffera pas le parvis de la grande Arche mais sa sobriété aura le mérite de ne pas jurer avec sa forme alambiquée.
Parce qu’il fallait au moins faire tenir l’immeuble debout. Construire au-dessus des tunnels de l’A14, au-dessus du RER, sur une dalle urbaine hors sol et à quelques mètres/centimètres d’une école elle aussi en construction (conçue par Franklin Azzi, également pour Nexity) a nécessité un dialogue technique avec l’entreprise qui s’est avéré, selon l’architecte, «précieux et efficace».
Le bâtiment repose tel un portique, ses fondations débordant d’ailleurs sur l’école. «Grâce à un élément articulé en sous-oeuvre, les deux bâtiments se soutiennent l’un et l’autre, se renvoyant les charges», explique l’architecte.
La prouesse technique réglée, les questions d’urbanisme se sont imposées. «Effectivement, à La Défense, il est possible de construire à moins de huit mètres d’une autre construction», souligne Louis Paillard. D’accord, mais tout de même.
Les deux programmes ne pouvant pas bénéficier d’une entrée commune, il aurait pu être opportun d’en créer une sur la façade «principale», la plus dégagée. Sauf que le PLU l’interdisait puisque, un jour, il sera possible de construire dans cette nouvelle dent creuse. Dans cette perspective à relatif long terme, il s’avérait difficile de positionner les baies des chambres étudiantes en partie basse. Sauf à reculer la façade de quelques dizaines de centimètres et de marquer les planchers. Ce fut chose faite et c’est ainsi que Skylight gagna en attique un retrait de façade et des lignes de caillebotis horizontaux, témoins plus que symboliques des planchers des logements étudiants.
Vu de l’extérieur, le bâtiment de Louis Paillard transcende les contraintes techniques et urbaines du lieu pour livrer un édifice quelque peu élégant. Malheureusement, il lui a été plus difficile de se jouer avec autant de brio des normes PMR, d’autant plus importantes qu’il s’agit ici de logements.
C’est ainsi que durant la visite, au printemps 2017, pour accéder aux appartements du 18ème étage il faut passer un couloir en épingle à cheveu, qu’un deux-pièces en duplex se retrouve avec deux cuisines – une à chaque niveau… ! -, que des studios sont affublés de salles de bains qui occupent un tiers de la surface habitable. Aberrations des normes handicapées ? Si les vues sont sublimes sur la ‘skyline’ des villes alentour, elles peinent à faire oublier que les espaces de vie, malgré des surfaces généreuses, paraissent bien difficiles à meubler et à habiter.
Avec Skylight, Nexity s’adresse à une clientèle plutôt aisée, moyennant un coût au m² au moins égal à celui des voisins parisiens. A ce niveau de prestige, il est bien décevant de croiser, encadrant une vue si magique, des baies en PVC gris carton ou des balustrades de si mauvaise facture. Car si le revêtement de sol a pour lui une espérance de vie relativement brève puisque les futurs occupants auront vite fait de le décoller, la balustrade ou la montée d’escaliers, elles sont bien là pour durer. Qui ces résidents exigeants pourront-ils blâmer ? Que sauront-ils de l’architecte qui, comme d’autres, a peiné à faire valoir ses ambitions architecturales.
A quelques encablures de la Grande Arche, l’opération Skylight signée Louis Paillard pousse à s’interroger sur le fait de gâcher toute cette surface habitable bien prestigieuse. Les normes, lois et codes en tout genre, chaque jour un peu plus complexes, se contredisant parfois, ne s’annulant jamais, s’imposant partout sans distinction de contexte, ne laissent guère de place à la créativité. Alors quand en plus les résidents doivent se contenter d’une pauvre qualité des prestations finales…
Ici comme dans chaque opération de logements qu’ils soient sociaux, en accession, ou spécifiques, nulle mauvaise foi de la part des architectes qui doivent se borner, c’est la loi, à appliquer les règles, celles de l’Etat et celles des Marchands. Le marché de la construction de logements, en cet été 2017, est semble-t-il reparti à la hausse. L’occasion peut-être de s’interroger sur la nécessité d’améliorer, pour tous, les lieux de vie.
Léa Muller
*Voir également à ce sujet notre article Farshid Moussavi, Little Big Architect