Fredder, Maria, Rotwang et John Freddersen s’étaient donné rendez-vous le 28 novembre dernier dans l’auditorium de la Maison de la Radio, fraîchement livré par AS Architecture-studio. Pour une projection du ciné-concert de Métropolis, la bande-son était sous forme d’une improvisation à l’orgue de Thierry Escaich. A la sortie, un constat s’impose. Pour beaucoup d’architectes, ce chef-d’œuvre reste un mythe car peu l’ont vu en réalité. Pourtant, il a largement contribué à la création de l’imaginaire autour de la ville du futur.
Le film de Fritz Lang, dans sa version restaurée de 145 min, retrouvée in extremis en 2008, était projeté dans un lieu hors du commun. L’acoustique claire servait on ne peut mieux la performance de l’organiste, seul au milieu de la salle. En revanche, il faut bien constater que l’auditorium de la Maison de la Radio n’est pas une salle de cinéma ordinaire et que l’écran, petit et lointain, ne servait pas le bal de la salle des machines. De même, le dessin de la salle en cercle s’y prête peu, obligeant les organisateurs à supprimer un tiers de la jauge, qui n’offrait pas la vue.
Metropolis est avant tout un film musical et l’expérience valait quand même le détour ! Pour plus de 500 millions d’euros, Radio France s’est donc offert une sobre mais non moins splendide salle de concert symphonique de 1 461 places, toute de bois revêtue et agrémentée d’un orgue monumental spécialement créé par Herhard Grenzing. Le spectateur pourrait regretter que l’auditorium remis au goût du jour ne soit pourtant pas 2 en 1 pour la projection cinématographique. Charlie Chaplin, qui se verra par la suite projeté en ces lieux, est d’ores et déjà prévenu.
Seul un chef-d’œuvre pouvait rivaliser avec la grandeur de la salle et la puissance de l’orgue à ses pieds. Une salle conçue par des architectes servait alors d’écrin à un film qui a amplement contribué à façonner l’image d’Epinal de la ville du futur, avec ses images de gratte-ciel, que tous les architectes de France et de Navarre ont en tête.
D’ailleurs, il est intéressant de noter que si l’intrigue très romantique, au sens artistique du terme, a pris un petit coup de vieux, sa plastique n’en a pour le moins pas pris une ride dans sa force esthétique. Comme le décrivait Luis Buñuel, à la sortie du film en 1927, «si à l’anecdote nous préférons le fond ‘plastico-photogénique’ du film, alors Metropolis comblera tous les vœux, nous émerveillera comme le plus merveilleux livre d’images qui se puisse composer. (…) Mais, en revanche, quelle enthousiasmante symphonie du mouvement !»*. Excusez du peu pour un long-métrage qui fêtera en 2017, son quatre-vingt-dixième anniversaire.
La grande modernité de la ville imaginée par Fritz Lang se trouve dans la mise en scène urbaine et des infrastructures. Si les buildings hauts semblent illustrer la force que la ville productive engendre, elle dépasse sans aucune mesure les lois de la physique. Le réalisateur aurait raconté dans une interview que «le film est né de [sa] première rencontre avec les gratte-ciel de New York City lors de [son] voyage en octobre 1924», ajoutant que «les immeubles [lui] semblaient être comme un voile vertical, scintillant et très léger, dans un décor luxueux, suspendu dans un ciel sombre pour éblouir, distraire et hypnotiser». N’oublions pas que les 381 étages de l’Empire State Building furent achevés en 1931. En aurait-il vu aussi les dessins et le chantier ?
En tous cas, une chose est sûre. Ce film ultra-référencé dirige comme autant d’acteurs les grands courants artistiques et d’urbanisme des années 20, dévoilant dans une vison de la ville de 2026 les fondations et les idéaux des idéologies d’avant-garde qu’il côtoyait alors.
Plus que la forme urbaine, Metropolis, met en scène d’une façon très spatiale les circulations de voitures et de piétons. Il regarde tantôt vers les villes-tours d’Auguste Perret, tantôt vers le plan voisin signé Le Corbusier ou se tourne vers Ludwig Hilberseimer, un architecte membre du Bauhaus qui théorisa la Höchstadt (ville verticale), séparant les flux de circulations grâce à des passerelles.
De toutes ces utopies, Fritz Lang en retint la ville en mouvement, avec voitures volantes bien avant que Blade Runner ou qu’Enki Bilal et Luc Besson s’emparent de la question. Dans chacune de ces théories, le futur passe par la séparation des flux. La ville ne se contente pas de séparer les machines et les humains, elle sépare les classes sociales, les forces productives, répondant aux idéologies de sa scénariste, Thea vont Harbou, qui plus tard se tournera vers le fascisme, prônant aussi la santé et l’hygiène par le sport. L’Ecole de Chicago et Sullivan n’étaient pas si loin.
Néanmoins, la ville et ses trottoirs ne disparaissent pas, comme les bâtiments restent sagement alignés, héritage des tracés orthonormés des nouvelles villes américaines comme Chicago et NYC, venus tout droit de la Grèce antique et d’un des premiers urbanistes, Hippodamos de Milet. C’est donc un panorama des plus larges sur les avant-gardes urbanistiques qu’offrait Fritz Lang à ses contemporains. Ne figure-t-il d’ailleurs pas au milieu des gratte-ciel une cathédrale gothique ?
Si Metropolis a tant marqué les cinéastes, c’est grâce à ces effets de textures, de matières, de contrastes et de lumières qui reprenaient aussi les discours expressionnistes ou encore futuristes d’une époque décidément bien riche ! Pour leur rendre le plus esthétique des hommages, Eugen Schüfftan imagina lui-même des effets spéciaux inédits, mimant les méthodes d’architectes avec croquis, maquettes et dessins. A l’aide d’un appareil photo sur une balançoire, il sut donner tout le mouvement nécessaire à la ville, créant par ailleurs ‘l’effet Schüfftan’ où il s’agit de mélanger, dans une même prise de vue et grâce à des miroirs, des décors de tailles réelles et des maquettes pour donner l’illusion d’un décor continu.
Ce film raconte dans sa forme l’histoire de l’architecture et en est du coup, indissociable de toute interprétation. De Wong Kar-wai (2046) à David Fincher, de Schwittens à Bilal, d’Orson Welles à Aldous Huxley, des Pink Ffloyd à Giorgio Moroder, et pourquoi pas de Rem Koolhaas à Jean Nouvel, Metropolis a fait des émules ! Metropolis, un film d’architecte ?
Léa Muller
* Luis Buñuel, dans « la Graceta Literaria », Madrid, 1927-1928.