Et si les déclarations guerrières de la grande gueule de l’architecture française s’évertuaient à faire oublier que sa plus grande provocation, le Stadium de Vitrolles, est aujourd’hui derrière lui ? Chronique de Franck Gintrand.
Il s’en sera fallu de peu sans doute pour que Rudy Ricciotti soit l’homme d’une oeuvre et a fortiori, ce qui est plus rare, d’une oeuvre contestée. Le risque était d’autant plus réel que cette oeuvre, le Stadium de Vitrolles (Bouches-du-Rhône), plaçait d’emblée la barre très haut. Pour un premier coup, il était difficile de concevoir plus radical que ce monolithe noir et hermétique en guise de salle de spectacle.
Imaginer un bâtiment encore plus minimaliste et moins séducteur que cet énorme cube de béton ? Ricciotti ne s’y est même pas essayé. Bien sûr, il aurait pu produire d’autres cubes ou les juxtaposer en de savantes compositions maniéristes. Il aurait également pu emprunter une voie très différente. Simple concours de circonstances ou fruit d’un choix délibéré, l’architecte n’a choisi aucune de ces options. Il n’a pas fait plus radical que le Stadium. C’était quasiment impossible. Il ne l’a pas non plus dupliqué à la façon d’un Gehry.
Tout aurait été peut-être différent si le succès avait été au rendez-vous. C’est même probable. Mais Vitrolles ne fut pas le Bilbao de Ricciotti. Personne n’aime ce bâtiment. Roland Castro taxe le Stadium d’œuvre architecturale fasciste et l’accuse d’avoir fabriqué Mégret. De l’aveu même de Ricciotti, «au niveau local, les élus de gauche, de droite, les écolos… Même les ‘cultureux’ étaient d’accord pour détester cet endroit».*
Une architecture devenue consensuelle
Echaudé peut-être par les attaques dont sa salle fit l’objet et, pire que tout, par l’absence de soutien de ses confrères, sinon celui remarqué de Paul Chemetov, Ricciotti pourtant ne rompt pas publiquement avec le Stadium mais s’assagit. Le mot appliqué à une figure aussi turbulente que l’architecte de Bandol peut surprendre. Les oeuvres qui suivent le Stadium sont évidemment intéressantes à plusieurs titres. D’un point de vue technique, Ricciotti n’a pas tort lorsqu’il souligne l’exploitation intelligente du Ductal par la passerelle de la Paix à Séoul. Sur le plan esthétique, la salle de spectacle d’Aix-en-Provence et le Musée Jean Cocteau à Menton sont originaux pour l’époque.
De la même façon, nul ne conteste l’élégance de la verrière du Département des arts de l’Islam du musée du Louvre que Ricciotti et son partenaire comparent à une «aile de libellule» ou un «tapis volant» (sic). Et on veut bien croire l’architecte lorsqu’il présente le Mémorial du Camp de Rivesaltes comme «une proposition très exacte entre site, territoire et mémoire» ou lorsqu’il évoque la «féminité» méditerranéenne du Mucem. Ne serait-ce que pour ces oeuvres, Ricciotti mérite l’attention.
Mais l’esprit provocateur des origines, celui qui souffla avec le Stadium, n’habite en réalité aucun de ces ouvrages. Selon moi, l’architecte a beau faire comme si la radicalité initiale continuait de l’animer, il a beau s’employer à pousser des coups de gueule, se présenter comme un marginal en guerre contre le consumérisme ambiant, la réglementation stérilisante des normes en tout genre, la banalisation d’une architecture mondialisée, apolitique, sans racine et sans histoire, son discours rempli d’imprécations ne semble avoir qu’une fonction : dissimuler le caractère essentiellement sage de son oeuvre.
Non que le travail de Ricciotti manque d’inspiration et d’imagination. Au contraire. Mais lorsque tant d’artistes partent de la complexité vers une simplicité croissante, Ricciotti emprunte, un peu par la force des choses, un chemin rigoureusement inverse : il s’emploie depuis 1990 à complexifier la figure originelle du Stadium.
L’obsession nostalgique du Stadium
Quand il aurait pu se contenter de bégayer, d’euphémiser ou de se renier, il n’a de cesse de travailler «son» bloc comme on explore toutes les possibilités d’un motif élémentaire. Dans une vidéo peu connue**, tournée en 2008, Ricciotti ne renie rien. Au contraire, il s’emploie à présenter son bébé comme «un bâtiment éminemment culturel, éminemment cultivé…» La preuve, «tout est référencé… James Turell, Andy Warhol… Les trous de caisse sont des références à Gordon Matta-Clark, les garde-corps avec l’étoile perforée c’est la fleur d’Andy Warhol répétée qui parle du fait qu’on a un pied dans les deux cultures, culture anglo-saxonne et culture méditerranéenne, à la fois Andy Warhol et Moucharabieh… Propylaeum de le Corbusier, mise à l’échelle dans le temple antique… Les fleurs jaunes du patio qui ont été détruites sont une référence à Van Gogh. C’est le bâtiment le plus citationnel que j’ai fait. Je n’ai pas fait de meilleur projet depuis treize ans».
On ne saurait être plus clair : ce n’est pas parce que le Stadium est rejeté, et carrément abandonné désormais depuis octobre 98 après seulement quatre années d’activité***, qu’il ne reste pas la référence personnelle de l’architecte. La verrière du Louvre fait figure d’exception mais on ne saurait oublier sa double paternité, ni le contexte architectural spécifique dans lequel elle prend place. Pour le reste, l’exploration du Stadium relève de l’obsession. Après tout qu’est-ce que le Pavillon noir sinon un bloc qui s’ouvre, le Pavillon blanc, un bloc ouvert, le mémorial du camp de rivesaltes un bloc hermétique simplement ouvert vers le ciel ?
Ainsi que l’écrit Libération en avril 2013, «prenez le monolithe Stadium, puis les os du Pavillon Noir, ajoutez Marseille, la mer, le fort Saint-Jean, le mistral et, après dix ans d’un combat constructif et hors norme en équipe, vous aurez le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée».
Ainsi va Rudy Ricciotti : sachant que le meilleur est derrière lui, il ne cesse d’y revenir avec application.
Franck Gintrand
* Mouvement ; avril 2015
**Le stadium de Vitrolles : https://www.youtube.com/watch?v=3RC74ruBPnI
*** L’association, LE STADIUM DE VITROLLES, créée en 2015, a vocation de faire réouvrir le Stadium de Vitrolles fermé et abandonné depuis 1998 pour des raisons politiques. Elle compte aujourd’hui près de 600 membres, dont parmi beaucoup d’autres Gilles Perraudin, Jean-Philippe Vassal, Dominique Perrault, Patrick Bouchain, etc. En savoir plus : http://www.stadiumdevitrolles.com. Tel : 06.35.53.48.41