Des dizaines de lapins occupent en permanence le terre-plein de la place de l’Europe à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Ainsi commence « La traversée de Bondoufle », dernier livre de Jean Rollin qui relate ses vagabondages sur une bonne partie du tour du Grand Paris. Ce livre ne sert à rien.
La description surprend : des lapins sur un terre-plein herbeux au milieu d’arbres faméliques voisinant avec des épis de blé non coupés donnant l’impression d’une nature saugrenue au milieu des échangeurs, des voies de bus et au sein du trafic automobile parmi les plus élevés de la région parisienne. Dans la majeure partie du livre, l’auteur oppose la description de paysages tentant un retour timide à l’état naturel en pleine désertification industrielle à des scènes parfois humaines….
Ce livre ne sert à rien, il n’est d’aucune utilité autre que la description laconique et pseudo « perécienne » des lieux résidus de la lutte acharnée de l’anthropocène au sein du monde naturel qui s’acharne à vouloir vivre malgré les agressions d’une urbanisation forcenée et aberrante de désuétude après plusieurs décennies de déshumanisation à marche forcée.
Rappelons que l’anthropocène est la dernière époque géologique du Cénozoïque (qui est la troisième ère géologique du Phanérozoïque et la plus récente sur l’échelle des temps géologiques). Après le paléocène, l’éocène, l’oligocène, le miocène, le pliocène, le pléistocène et l’holocène, l’anthropocène se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.
Le terre-plein d’Aulnay-Sous-Bois n’a plus connu de modification géologique depuis fort longtemps, l’anthropocène aurait cédé la place à une urbanocène, celle-ci était reconnue au titre des ères de modification géologique.
Hélas, outre la menace atomique redevenue hantise, la menace climatique est à l’aube de saisir d’effroi les deux à trois générations à venir. Est-ce la seule ? La chronique du mois précédent terminait le propos par un point d’orgue en forme d’alarmante interrogation quant à la sécurité informatique qui contribuerait à la transformation du monde en une dystopie orwellienne.*
Il paraît important de revenir sur ces propos alors que des dizaines de lapins s’égayent place de l’Europe à Aulnay-Sous-Bois : l’inflation des contrôles, mot de passe, vérification à double authentification, et autre privation du droit d’errer sur la planète informatique ne peuvent pas se restreindre mais, bien au contraire, au titre de la sécurisation à outrance de la société et de son avatar informatique, les entraves à la libre circulation sur des sites de plus en plus fliqués est imminente. Nous avons vu le mois dernier * que les accès aux plateformes et autres appels d’offres sont une incitation à ne plus jamais répondre à aucune sollicitation dématérialisée.
Une idée se profile, celle du grand remplacement de l’anthropocène par la numéricène où les modifications géologiques du Cénozoïque sont dues, non plus aux humains mais aux produits informatiques mis au point par les humains et qui, au nom de l’Intelligence Artificielle, prennent le pouvoir pour asservir l’humanité dans un premier temps, et la planète dans un deuxième.
Non pas selon les images de science-fiction, visions enfantines de l’an 2000 d’Isaac Asimov, d’Albert Robida et d’André Franquin mais selon quelque chose d’immatériel, de plus perfide permettant de s’affranchir en mode ‘open bar’ de toute limite dans une lutte sans merci pour un pouvoir qui échappe aux humains. Lequel, d’une façon insidieuse (dites-moi si je fantasme) contrôle 100% de nos activités sur les réseaux pour nous asservir à un mode de consommation piloté par Big Brother, qui par une sorte de « zorglonde **» fallacieuse, sitôt que l’on regarde sur l’ordi un site de couverts de cuisine, nous abreuve matin midi et soir d’images subliminales de couverts et affidés.
Le pire est que, pour atteindre le nirvana facebookien de ce niveau d’asservissement, il y a en plus la torture liée à la sécurisation de ce grand pillage, où l’on ne peut se faire trousser qu’en l’échange d’accès complexes et de flicages quotidiens.
A quand un mot de passe pour franchir un passage piéton ?
François Scali
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*Lire Aventure à contre-temps en réseau dystopique
** La zorglonde est une invention du génie maléfique Zorglub qui agit directement sur les neurones pour obéir aux ordres dispensés par Zorglub ou ses complices d’aller acheter du dentifrice ou de renverser une république sud américaine…