Les Jeux Olympiques de 2024, c’est demain. Le Village Olympique se doit donc d’être une vitrine du savoir-faire français en matière de logements. Pourtant Dominique Perrault, auteur en septembre 2017 d’une étude à ce sujet, aborde le sujet avec beaucoup de prudence. Si gouverner c’est prévoir, qu’en est-il pour le Village olympique ? Voyons.
Le personnel politique est souvent pris au piège de sa propre communication. Dans un système compliqué et cadenassé par les règles qu’ils ont eux-mêmes édictées, les élus n’en demandent pas moins, avec insistance, aux architectes de faire preuve d’innovation.
Ainsi leur faut-il non seulement réinventer Paris, la métropole de Paris au Havre mais aussi les sous-sols et le pays tout entier et bientôt l’univers, qu’il leur faut aussi désormais répondre à une demande pressante d’évolutivité, de modularité, de flexibilité, de réversibilité, autant de critères qui sont aujourd’hui expressément exigés dans les règlements des compétitions. Très bien. Au boulot les architectes.
Ce serait trop simple.
Un promoteur raconte cette anecdote : «en 2005, nous avions proposé une énorme toiture végétalisée, je me souviens de l’hilarité générale. On nous disait que l’étanchéité serait impossible à réaliser, que les charges seraient monstrueuses pour l’entretien de ce jardin». Le projet n’est pas passé évidemment. Que savait alors ce promoteur que les immeubles auraient bientôt, à peine dix ans plus tard, vocation à être ‘végétalisés’ ?
Le temps de l’architecture pour les élus est celui des élections, pour les architectes c’est le quotidien, l’administration étant elle-même maîtresse du temps qui s’étire à l’infini. Il demeure que les mœurs ont fini par changer et les élus de tous bords, s’ils furent longs à la détente – la tour vivante de SOA a gagné le concours CIMBETON en… 2004 – s’arrachent désormais les parcelles d’agriculture urbaine. Il faut dire que, étonnamment, l’administration n’a pas de problème particulier avec une façade végétale ou des terrasses plantés, qui ne changent pas la destination du bâtiment.
Mais alors même que les élus et maîtres d’ouvrage n’ont que les mots modularité, flexibilité et réversibilité à la bouche, quelle est la réalité de ces concepts ? Les architectes sont pleins d’idées à ce sujet – avoir des idées est leur métier (voir notamment notre article Réversibilité, de la théorie à la pratique) – mais, le plus souvent, avant même de pouvoir être mises en œuvre, ces solutions rencontrent nombre d’écueils administratifs très, très, loin d’être résolus.
Prenons un exemple concret. Le futur village olympique est prévu pour «17 000 lits». Il comptera donc des studios et T1 par milliers, qui seront utilisés deux fois deux semaines en 2024. Qu’en faire ensuite ? La problématique, largement documentée, est si difficile à résoudre que le village olympique de Lake Placid, en Utah aux USA, a été transformé en prison !
Pourtant, une modularité bien comprise permettrait, une fois l’évènement passé, de pouvoir ensuite aisément réunir ces studios en trois, quatre ou cinq-pièces et en logements confortables. Ca tombe sous le sens ? Non ? De fait le comité olympique annonce que «5.000 logements neufs» (sans autre précision) verront le jour sur deux sites, le village olympique et le village des médias, au Bourget. Quel architecte ne serait pas capable de relever ce challenge ?
Ce serait trop simple.
En France, le permis de construire demande une déclaration hyper catégorique des typologies et de la destination de l’ouvrage : nombre précis, et immuable, de T1, de T2, de T3, etc. pour les logements. Pour chaque projet, il faut ensuite une adéquation exacte du nombre de parkings en fonction du nombre de tel type de logements ou de bureaux puis une fiscalité ad hoc. Alors imaginer en plus que d’ici que le village soit construit, des investisseurs souhaitent en transformer une partie en bureaux… Là, ce n’est même plus la peine.
Certes les élus ne sont pas les plus réticents à la modularité, surtout depuis que c’est à la mode, mais la réclamer aux architectes à tort et à travers et à tout bout de champs sans aucune vision prospective ne fait pas avancer le chantier pour autant.
C’est en effet à la préfecture, dont le rôle est de veiller au respect de la conformité des logements aux textes en vigueur, qu’incombe le contrôle de légalité. Et là le préfet doit se rendre à l’évidence, selon la loi, c’est Niet ! Fleur Pellerin a bien essayé avec son permis de faire. On a vu comment cela s’est fini pour elle !
La modularité et la réversibilité sont de vrais sujets et, depuis quelques années, des architectes poussent à la création d’un label ‘Immeuble à Destination Indéterminée’ (IDI), l’idée étant là encore de ne pas figer l’usage d’un bâtiment dès le permis de construire. De fait, l’architecte François Scali par exemple, qui développe des systèmes de logements modulables sophistiqués, s’est vu confronté (il n’est pas le seul) plusieurs fois à cette contradiction entre la demande des élus de logements modulables et le refus de ceux-ci au titre que, justement, ils sont modulables, ce qui est contraire aux règlements d’urbanisme.
Or, aujourd’hui, la loi ELAN n’évoque même pas ces difficultés et n’offre aucune piste, sinon un concept flou d’évolutivité pour tous les logements. Pourtant les Jeux olympiques sont pour bientôt. Chacun a déjà compris que les retards s’accumulent, en termes de transports notamment, mais pour le Village Olympique, puisque gouverner c’est prévoir, rien dans la loi ELAN ne permet aujourd’hui d’envisager une telle souplesse constructive et la réalisation de ses pieux objectifs de construction manifeste pour impressionner le monde, de Mars jusqu’à Jupiter.
L’étude urbaine dévoilée en septembre 2017 par Dominique Perrault offre certes «une grande flexibilité et permet la réversibilité des installations (piscines et terrasses flottant sur la Seine, microarchitectures ponctuant l’enceinte, équipements, etc.)» dont les détails seront sans doute discutés plus tard. Quartier réversible pourquoi pas mais quid du logement ?
L’architecte précise que le village olympique offrira, pour les délégations internationales, «l’occasion de découvrir le nouveau visage de la métropole capitale de la France». Nous savons ainsi qu’un nouveau bâtiment signal constitue l’élément phare du quartier, «marqueur symbolique de l’événement». Il s’agit d’une tour olympique, placée au nord sur le site Universeine qui «s’impose comme le pendant de la tour Pleyel». Il s’agit du seul bâtiment de grande hauteur présent sur le site, majoritairement envisagé en R+5 à R+6.
Dominique Perrault indique bien que «les logements sont pensés dès leur conception pour une transformation possible après les JO. Les habitations seront transformées en quelques 2 200 appartements familiaux et 890 logements étudiants».
Si le sujet est évacué en deux lignes, c’est aussi peut-être que l’architecte ne se fait pas trop d’illusions, ce qui expliquerait que même lui, l’auteur de l’étude et maître d’œuvre du projet global, ne peut s’aventurer aujourd’hui qu’à évoquer une transformation ‘possible’. Il ne donne d’ailleurs pas tout à fait les mêmes chiffres que ceux du comité olympique mais ne chipotons pas.
S’il faut au moins cinq ans pour construire le village (tant que ce n’est pas un EPR, les Majors devraient y parvenir), le dépôt du permis de construire ne saurait tarder. Nous en saurons plus alors de la modularité et réversibilité des immeubles. En tout état de cause, en l’état actuel de la législation et des normes toutes plus réglementaires les unes que les autres, la transformation de «17.000 lits» en 3 500 logements familiaux est quasiment impossible. Et rien dans la loi ELAN n’indique une quelconque réflexion en ce sens. A moins peut-être qu’un nouveau choc de simplification…
Il sera toujours temps sinon, après les jeux, comme les Américains qu’Emmanuel Macron aime à émuler l’ont fait, de transformer le village en prison. Ce serait pour le pays aux geôles surpeuplées l’apparition divine de 17 000 lits d’un coup, plus encore que les 15 000 places supplémentaires promises par le président en janvier 2018 dans le cadre de sa réforme pénitentiaire globale. Et ces places seraient déjà financées ! Que du bonheur.
Pour le coup, ce serait la parfaite démonstration d’un bâtiment réversible.
Christophe Leray