Pour les recalés des ENSA via ParcourSup, il y a de la lumière en Belgique dont les écoles, exigeantes et réputées, forment des architectes français au sens propre sans barguigner pour l’admission. Une condition cependant : une fois l’impétrant dans la place, il lui faut tenir le rythme.
La réforme LMD (Licence-Master-Doctorat)* appliquée à l’architecture, initiée en France en 2002 par Ann-José Arlot, haute-fonctionnaire alors directrice de l’ancienne direction de l’Architecture et du Patrimoine (DAPA), se révèle aujourd’hui catastrophique pour la qualité de l’enseignement du métier d’architecte au sens propre, le plus récent ParcourSup en accélérant le déclin. D’ailleurs plus personne en France n’est certain de savoir ce qu’est un architecte tandis que les écoles dédiées crient misère – les étudiants d’architecture sont ceux qui coûtent le moins à l’État, lequel a diminué le taux horaire appliqué aux cours magistraux et travaux dirigés des enseignants depuis le 1er septembre 2024.**
Ceci expliquant peut-être cela, les écoles nationales supérieures d’architecture (ENSA) pourtant publiques se livrent impunément et sans retenue à une sélection qui, pour les jeunes bacheliers enferrés dans ParcourSup – une invention française qui a permis ces dernières années de mettre beaucoup de gaz dans l’usine – ressemble à un concours d’obstacles dont les conditions de participation sont obscures et les décisions jamais justifiées, ce qui est évidemment très académique.
Un article du Parisien Étudiant** (24 septembre 2024) raconte comment les choses se passent outre-Quiévrain dans les facultés d’architecture de Bruxelles, Louvain, Lièges et Mons, que rejoignent chaque année plus de mille de ces Français recalés des ENSA à l’issue de leur ParcourSup, ce malgré des résultats au bac satisfaisants. À propos, combien de ces recalés abandonnent tout simplement l’idée de s’intéresser à l’architecture ? En effet, quitter le confort connu jusqu’alors pour une aventure en Belgique demande aux jeunes gens un minimum de détermination et, sinon de moyens, d’imagination.
De fait, pour devenir architecte au sens propre en Belgique, il ne faut pas être manchot. Citée par l’article, une étudiante bordelaise en dernière année à l’Université libre de Bruxelles (ULB) explique : « en première année, nous étions plus de 500 élèves. Et directement, on nous a dit que dès la fin de l’année, seul un tiers d’entre nous serait encore là. Donc, même si c’est facile d’entrer, c’est beaucoup moins facile de rester ». Voilà pour les candidats une admonestation qui a le mérite de la clarté.
L’inscription à ces écoles francophones est libre et les frais de scolarités peu onéreux, toutes les universités affichent les mêmes droits d’inscription, 835 € pour une année d’étude en Bachelier (l’équivalent de la Licence). Prévoir cependant pour les immigrés académiques un budget de 10 000 €/an en comptant les frais de logement, de matériel et autres indispensables nourritures du corps et de l’esprit. Le diplôme est reconnu en France,et même plutôt bien reconnu, et les étudiants français forment désormais un tiers du bataillon de ces écoles d’architecture. En revanche, la sélectivité est étalée durant tout le cursus. Chaque année, tchac ! Dit autrement, devenir architecte – au sens propre – en Belgique n’est pas une sinécure mais personne n’a jamais dit que ce devait être facile d’apprendre à construire des bâtiments à 500 millions de dollars.
N’empêche, ces étudiants exilés vantent la qualité de l’enseignement, similaire et avec le même niveau d’exigence qu’en France, et un environnement de qualité à l’université et en ville. Toutefois, tout comme leurs équivalents français, ils ne manquent pas de se plaindre, évoquant « les charrettes, le peu de sommeil et des périodes de travail très intenses ». « On a beaucoup de pression, ce n’est pas plus facile qu’en France », précise dans l’article un étudiant en troisième année. « C’est même presque plus sélectif parce que chaque année, notre place est remise en jeu. Beaucoup abandonnent et redoublent en Belgique. Mais au moins, on a eu notre chance », dit-il.
À Paris, Architektôn, une école de prépa architecture, prévient d’ailleurs ses clients que les études en Belgique « demandent aux élèves beaucoup d’investissement et de travail personnel. Tous ne réussissent pas les examens de fin d’année et sont donc contraints de redoubler ou d’arrêter leurs études ». Le sens de la clarté disais-je ! Parce qu’en France, l’investissement et le travail personnel sont en option ?
De fait, il apparaît que les efforts entrepris pour vivre dans une autre ville d’un autre pays, avec les contraintes notamment financières que cela implique, ne nuisent certainement pas à la détermination des impétrants. Sans parler pour nombre d’entre eux d’une ouverture culturelle qu’ils n’auraient jamais imaginée en étant reçus à l’ENSA près de chez eux.
Apparemment, une fois diplômés, la plupart de ces recalés s’en sortent bien et n’ont pas, que je sache, de difficultés à trouver du travail ou à s’établir en France – leur formation est parfaitement identifiée, il leur suffit de s’inscrire à l’ordre comme tout un chacun architecte – quand d’autres sans doute poursuivent l’aventure au-delà de nouvelles frontières. Bref ceux-là même à qui les ENSA ont fermé leurs portes feront des architectes français parfaitement légitimes, parmi eux d’excellents hommes et femmes de l’art. « Ce ne sont pas forcément les bons résultats au lycée qui font qu’on sera brillant et qu’on pourra s’épanouir dans ces études », souligne dans l’article le vice-doyen de l’UBL. Ce n’est pas de l’ironie par rapport au système français, juste de la bienveillance à l’égard des naufragés qui traversent la grand-Place de Quiévrain à la nage.
Bref, chacun comprend bien comment marche le système en Belgique. Il faut payer, un peu, mais surtout bosser. En France, le manque d’argent public n’expliquant pas tout, la question est : comment donc fonctionne le systèmepour qu’il soit en train de devenir déliquescent malgré une sélection à l’entrée des ENSA sans cesse plus rigoureuse ?
Voyons : une sélection est un parti pris, pas loin souvent d’être idéologique, et il suffit d’instituer des critères précis qui, transformés en algorithmes, font en trente secondes tout le travail d’analyse, exactement comme pour les concours d’architecture. L’informatique impérieuse et supposée exacte opère donc avec tous les biais et les a priori des censeurs, avec le risque de l’endogamie dans le programme comme diraientles biologistes. Or ce n’est pas comme si l’architecture était une science exacte, d’où sans doute chez nous, à l’issue d’une sélection non naturelle, les nombreuses erreurs d’aiguillage vers les voies de garage des « nouveaux métiers de l’architecture » en vente à l’école de Belleville à Paris par exemple, laquelle propose désormais de former des architectes au sens figuré.**
Au moins, en Belgique, croit-on encore que ce métier d’architecte, au sens propre, peut être une vocation.
Christophe Leray
* Lire Architecture, un enseignement universel pour tous ?
** Lire Venu l’été, à Paris et à Rouen, Leconte est bon ?
*** Architecture : la Belgique, l’eldorado des étudiants déçus de Parcoursup (Le Parisien)