
Dans un contexte d’une absolue minéralité, patchwork banalisé de béton, d’asphalte, d’enrobé, ce bâtiment avec une peau en Ductal «se développe comme une pièce emboutie venant prolonger la surface de béton de l’aire de stationnement,» expliquent les architectes Emmanuel Combarel et Dominique Marrec. Il est aussi plus que cela. Découverte.
«Nous avons gagné le concours sur un programme de bureau mais Philippe Isenbeck, le maître d’ouvrage (pour la RATP) nous a dit : ‘ce n’est pas du tout ça, ce dont nous avons besoin est d’un lieu de vie’,» se souvient Dominique Marrec. De fait, dans un bâtiment qui a pour vocation d’accueillir 24h/24 personnel de service et administratif et conducteurs, soit près de huit cents personnes pour lesquelles ont été aménagés des espaces de vie et de détente, et qui compte cinq entrées, «ce ne sont que des flux,» explique-t-elle. Elle rend grâce au passage à la qualité de l’échange et l’adhésion au projet du maître d’ouvrage : «une confiance s’est instaurée et tout a bien fonctionné.»
Cette confiance est palpable la veille de l’inauguration, fin juin 2007. Dans le joyeux capharnaüm inhérent à ce genre d’occasion, quand mille détails semblent encore devoir être réglés alors même que le bâtiment est déjà en exploitation depuis quelques jours, la connivence entre Philippe Isenbeck, l’architecte et les entreprises est manifeste. «Le plan n’a pas de trame prédéterminée et a pu évoluer en fonction des aspirations des utilisateurs,» souligne Dominique Marrec. Pari largement tenu. En quelques jours à peine, le personnel de service s’est manifestement approprié l’ouvrage et Philippe Isenbeck fait semblant de pester que les bureaux des secrétaires «sont encore mieux» que le sien.

La RATP souhaitait réaliser ce nouveau Centre, en remplacement d’un bâtiment ancien, afin de regrouper, en mutualisant les espaces, ses différents services et activités. L’opération visait également à augmenter la capacité de remisage des autobus en créant une aire de stationnement en prolongement de celle existante. Enfin, elle devait donner la possibilité de repenser les services annexes et une partie du traitement paysager du site en incluant un poste de gardiennage et de contrôle des accès, un local deux roues et un traitement des espaces extérieurs à proximité du nouveau bâtiment.
«Ce projet est un travail sur la minéralité des sites industriels,» expliquent Emmanuel Combarel et Dominique Marrec. Entièrement recouvert d’une peau en Ductal, ce «monolithe» développé sur deux niveaux, de plan carré (35 m x 35 m) aux arêtes arrondies, sinon polies, s’inscrit en prolongement de la chaussée et émerge sur un plateau comme une «déformation par emboutissage» de son contexte. Cet épiderme de 3 cm d’épaisseur affiche une seule et même texture de picots en relief à la façon d’un jeu de LEGO (24 mm de diamètre x 7 mm de hauteur, calepinés suivant un pas de 12 mm) et crée une «homogénéité entre le bâtiment et son support au point de les confondre,» offrant une identité visuelle caractérisée au site.
«La conjugaison du concept du projet et des performances du matériau a inscrit le bâtiment dans son environnement, en jouant du contraste entre la haute technicité du béton à ultra-hautes performances du Ductal qui vient napper la carcasse d’un programme composite et la minéralité affirmée et souvent peu qualifiée des zones industrielles,» disent-ils. Il en résulte un «bâtiment dense, inerte, sourd, énigmatique comme la coque d’un sous-marin russe affleurant dans les eaux de Mourmansk.»

L’image est forte mais ne traduit pas véritablement les réussites de ce projet. En effet, des percements découpés à la lame, incisions chirurgicales générant des volumes en négatif laissent apparaître des jeux de miroirs colorés sous la fine croûte de béton. Les couleurs primaires (le bleu, le vert, le jaune, l’orange) – issues de l’environnement immédiat de zone industrielle et commerciales, un «clin d’œil aux années 70» – qui animent ces échancrures invitent d’emblée l’imagination loin de l’atmosphère confinée d’un sous-marin (souvenez-vous de la tragédie du Koursk) et signalent encore, même s’ils sont invisibles de l’extérieur, les puits de lumière et le patio qui inondent de lumière ce monolithe.
«Les murs rideaux et fenêtres en bande affichent quant à eux des vitrages colorés en VEC (verre extérieur collé), traités avec une argenture de points miroirs déclinés de cette trame qui boostent la couleur des films et les rendent résolument réfléchissants. Reprenant les teintes des vitrages, voiles béton et stores intérieurs en arrière-plan se confondent,» ajoutent Combarel et Marrec. Dans un environnement périurbain, constitué de bâtiments, hangars de grandes enseignes commerciales, de larges boulevards et de noeuds routiers, qui semble tout droit issu de la guerre froide, le bâtiment est remarquablement chaleureux quel que soit le côté d’où on le découvre puisqu’il n’a pas de devant et derrière stricto sensu. Au point d’en faire oublier l’extrême rigueur nécessaire à sa conception, ne serait-ce que pour dessiner les 97.000 picots identiques malgré les déformations de la trame imposées par les courbes et contrecourbes de certaines plaques

Paul Ardenne, critique d’architecture, est pareillement emballé. «Une esthétique incomparable s’allient à une fonctionnalité parfaitement calibrée. Poésie et souci de l’usage se superposent ici selon une logique agrégative où le travail de l’architecte condense tout à la fois une quête de création pure et l’impératif catégorique de l’efficacité architecturale. Un bâtiment juste,» écrit-il.
Un mot pour finir sur la réalisation des plaques en Ductal puisque c’est la première fois que ce matériau est utilisé en tant qu’enveloppe, revêtement et élément de liaison sol-mur. C’est à la société Betsinor, entreprise spécialisée dans la préfabrication de produits béton, que Lafarge et la RATP ont confié la création des 192 modèles nécessaires à la réalisation des 378 plaques formant les 12.000 m² de peau minérale enveloppant le Centre-bus de Thiais. Il s’agissait en effet, d’une part, d’obtenir une surface parfaite et, d’autre part, de trouver un système de fixation simple pour les plaques formant la peau de béton, ce qui fut acquis avec l’utilisation d’un système couramment utilisé dans le domaine du verre ou de la céramique (des micro douilles en inox).

«Le travail sur le béton, les bétons, induit un travail réflexif qui, au-delà des performances techniques du matériau, met en jeu des critères d’usage culturels, temporels qu’il convient, suivant les projets, de toujours réévaluer. S’agissant de l’inédite dématérialisation plastique de Ductal, tout est à préméditer. On devine à peine où cette préméditation du béton va nous mener…,» concluent Combarel et Marrec.
Christophe Leray

Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 27 juin 2007