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Françoise Raynaud a livré fin 2024 la réhabilitation de la Géode, à Paris une œuvre mythique conçue dans les années ‘80 par Gérard Chamayou ingénieur et Adrien Fainsilber architecte. Avec son revêtement en inox poli reflétant le ciel, la sphère, qui emprunte son nom à la géologie (1), engouffre les paysages et, tel un astre posé sur un miroir d’eau, impose son rayonnement.
De ses dix-sept ans passés chez Jean Nouvel, lesquels n’ont pas altéré sa bonne humeur, (ils se parlent toujours !), Françoise Raynaud garde l’empreinte du temps passé en Asie (Tour Dentsu à Tokyo, Tenaga Tower en Malaisie, Centre des Arts du spectacle à Tokyo…) où elle découvre le shintoïsme, les connexions avec la nature, la présence des forces bienveillantes ou malveillantes – et l’importance des interactions humaines. Ces rencontres avec le vivant et l’inanimé, incomprises ou méprisées dans nos cultures occidentales, étiquetées à la rubrique Élégies (2) – « Objets inanimés avez-vous donc une âme (3) » – toutes ces relations complexes fondent un mode de vie et de pensée…
« Si nous faisons l’effort de penser appartenir à la nature et non l’inverse, que la nature nous appartient, nous sommes amenés à nous comporter très différemment », dit-elle.
Loci Anima est le nom inspiré qu’elle donne à l’agence fondée en 2005 avec Jonathan Thornhill, architecte britannique, lui aussi ex-Ateliers Jean Nouvel. L’âme du lieu… Un « statement », mot anglais pour déclaration. À l’écouter, son architecture commence par une philosophie, un regard, une posture et une pratique globale revendiquée qui place toute création dans une chaîne de sensations, de rencontres et de cohésions, mais aussi de responsabilités dans la chaîne universelle.
La Géode arrive dans sa vie comme une récompense. J’ai extrait du programme trois gestes essentiels qui nous amèneront presque naturellement au projet sur le sable. Ils concernent le grand hall d’accueil, jadis encombré par quatre escaliers mécaniques prégnants (deux montées et deux descentes) qui emmenaient le visiteur jusqu’au dôme et à la salle de cinéma.
Le premier geste agit comme une révélation, un travail d’archéologue : en supprimant les escalators d’origine, l’espace dégagé se déploie et révèle la puissance de sa structure arborescente de béton : un champignon renversé reposant sur une pile centrale de 4 m². C’est plus qu’une impression visuelle, c’est une découverte, un ressenti, Atlas (4) supportant la voûte céleste… Les forces de compression se dévoilent comme une musculature de géant, comme si les piles portaient véritablement la Géode-Monde. « Fainsilber a utilisé différentes techniques très avancées sur le béton mais aussi des structures géodésiques en acier très sophistiquées, il est autant Brutaliste et High Tech » explique-t-elle.
Le second geste majeur consiste à descendre jusqu’au sol l’ancienne corniche qui supporte la sphère extérieure. Le nouveau mur périphérique devient un écran sur lequel sont projetées en continu des images inspirées de science-fiction, avec un son spatialisé, annonciateur du dôme-écran géodésique. Le spectacle commence là…
Le troisième geste est la suppression des deux anciens ascenseurs encloisonnés dans des piliers et la mise en place de deux ascenseurs panoramiques qui projettent le visiteur dans le volume, changent la perception de l’accès en métamorphosant la sensation de montée lente en ascension spatiale. La perception de la verticalité est ainsi modifiée. Tout est fait pour envoyer le public dans l’espace et préparer la découverte technologique et visuelle. Un coup de force – l’esprit des lieux mis en lumière…
Je rencontre Françoise Raynaud à six mois de la livraison de la Géode, à une fête d’architectes, et tout de suite je suis conquise par ce quelque chose d’indéfinissable qui rayonne et rend heureux autour d’elle. Première femme à construire une tour à New York – la très chic Greenwich Tower (5), 2021, 30 étages, toute de briques vêtue – je suis tout de même impressionnée.
Elle accepte dans l’instant et avec enthousiasme de participer à l’expérience Archisable, concevoir et construire un projet sur le sable, entre deux marées.
« Une horloge céleste », dit-elle.
Bien avant la naissance d’un dessin ou d’un projet, la démarche de Loci Anima s’enracine dans une histoire fondamentale : « Nous savons depuis longtemps que l’histoire de l’univers est notre histoire, que nous sommes constitués des mêmes particules élémentaires que les premiers filaments cosmiques interplanétaires », dit-elle.
Sur la plage cependant, il ne s’agit pas plus de bienveillance (un mot galvaudé) que de poétique (un mot démodé). Les moyens sont rudimentaires et rudes. Faire avec.
Justement… « C’est ici sur l’estran, ce petit morceau de territoire alternativement couvert et découvert par la mer orchestrée par la volonté de nos astres, que quotidiennement, l’effet des forces d’attraction des planètes entre elles nous donne à voir l’horloge céleste », souligne l’architecte.
La poétique existe naturellement dans l’exploration des mécanismes de l’univers et la fascination dans la précision horlogère de leurs représentations.
L’horloge céleste de Loci Anima – Françoise et Jonathan – est un projet 100 % scientifique, prémédité, millimétré… C’est de là qu’il tire son indicible magie. Comme les sphères armillaires, astrolabes, comme le mystérieux nocturlabe (6), et tous les instruments scientifiques qui rendent compte des rouages de l’univers.
Jamais le Laboratoire Archisable n’aura autant mérité son nom qu’avec ce projet. Le tracé au sol est une construction graphique de la voûte céleste un 20 juillet 2024 à marée basse, à 17 h 52 exactement. C’est une représentation d’un cadran temporel dans laquelle les astres tournent autour de l’étoile polaire. En voici le dessin préparatoire, le récit scientifique préalablement décrit, comme une épopée interstellaire…
Ils écrivent, ils dessinent, ils construisent. Leurs mots sont étourdissants, magnétiques, puissants. C’est de l’univers qu’il s’agit. Il n’y aura pas d’autre commentaire…
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L’étoile polaire est le centre du cercle d’un diamètre de 30 m représentant la voûte céleste.
Le tracé des quatre points cardinaux divise le cercle en quadrants du ciel (Nord, Est, Sud et Ouest). L’axe nord/sud est à 40° par rapport à la ligne du rivage. L’étoile polaire est implantée à 60 m de la ligne de la mer à marée basse.
Un cercle temporel de 25 m représente la course de la lune à travers la voûte céleste.
La lune figure emblématique par son influence sur les marées est sculptée en grand, positionnée au moment de la marée basse à 6° par rapport à la plage, derrière l’horizon.
Un deuxième cercle de 20 m est tracé pour représenter le ciel visible le 20 juillet à 17 h 52 tangent au cercle de l’horizon de la voûte céleste au sud.
Le soleil est représenté à quatre moments temporels dans la journée, au lever, au zénith, au coucher et localisé à 17 h 52. Le tracé de la course du soleil est déterminé avec à l’aide de « SunEarthTools ».
Les 31 autres astres les plus visibles sont eux aussi localisés en fonction de leur positionnement à l’heure de la marée basse. Mercure et Venus se retrouvent respectivement à 36° et 23° par rapport au sud et 60° par rapport à l’horizon. Jupiter et Mars à l’ouest juste au-dessus l’horizon, tandis que Saturne est derrière l’horizon au nord.
Les autres astres sont également représentés…
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« Ce qui était compliqué était de reproduire à une bonne échelle la voûte céleste visible », raconte-t-elle dans un sourire.
De la planète Géode aux étoiles, un jour, sur une plage normande… Mystère et nécessité des connexions et des trajectoires…
« Quelle est cette drôle d’idée de l’Homme de penser qu’il peut être immortel… Tout a une fin. Toutes les civilisations. Toutes les espèces », dit-elle.
Loci Anima, Françoise et Jonathan, merci…
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Tina Bloch
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(1) Géode : formation rocheuse creuse de forme sphérique ou ovoïde. Une fois ouverte, la cavité est tapissée de cristaux
(2) L’élégie est un genre poétique caractérisé par la mélancolie et la tristesse
(3) Alphonse de Lamartine 1790-1869 Milly ou La Terre natale
(4) Dans la mythologie, à la suite de sa défaite dans la guerre des Titans contre les dieux de l’Olympe et Zeus, Atlas est condamné pour l’éternité à porter la voûte céleste sur ses épaules
(5) Lire l’article Avec Greenwich West, Françoise Raynaud fait la tour de New York
(6) Le nocturlabe est un ancien instrument utilisé pour déterminer l’écoulement du temps en fonction de la position d’une étoile dsans le ciel nocturne
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