
L’agence française AND Studio, fondée en 2012 par l’Italien Duccio Cardelli et le Chinois Ning Wang* après douze années passées chez Christian de Portzamparc, est lauréate du Grand Prix AFEX** 2025 pour un remarquable Centre culturel construit à Chengdu, en Chine. Rencontre avec Duccio Cardelli.
L’agence est une habituée de l’AFEX, une première fois sélectionnée en 2020 pour Yangtze River Delta Roadshow Center à Shanghai, la reconversion d’une friche industrielle en un centre culturel de 15 400 m², opération composée de douze bâtiments dont un espace de coworking, des galeries d’art, restaurants, salle de conférences modulable et studio de diffusion.
Une deuxième fois en 2023, pour le Tibetan Thangka Art Museum, au Tibet, un musée de 8 658 m² dédié à l’art sacré, situé dans un environnement montagneux, au pied du mont Penbu, composé de six volumes radicaux, murs inclinés disposés le long de la pente. Du béton enduit blanc et une hiérarchie de masses empilées reprenant les codes de l’architecture religieuse tibétaine.
Jamais deux sans trois, et la troisième est la meilleure, l’agence a été couronnée du Grand Prix AFEX 2025 pour le projet Chengdu Tianfu City Planning Hall, encore un projet culturel qui ici incarne le nouveau paradigme de la « ville de croissance naturelle ».

Chroniques d’architecture – Le Chengdu Tianfu City Planning Hall est un bâtiment de 1 200 m² dans une zone dite « ville expérimentale ». Qu’est-ce qu’une ville expérimentale ?
Duccio Cardelli – Les grandes villes comme Shanghai ou Chengdu construiront toujours. Expérimentale correspond à l’idée d’une moindre densité que dans les grandes villes chinoises et d’une autre façon de concevoir la ville. Dans la ville chinoise type, il y a des règles d’ensoleillement très strictes, standardisées à l’échelle nationale, obligatoires dans les logements collectifs, qui créent de grandes barres résidentielles parallèles, uniformes, avec des distances et des hauteurs calculées pour un ensoleillement donné par jour.
Expérimental signifie exactement le contraire, c’est l’idée d’une ville traversée par des espaces verts. Il ne faut pas rêver, cela reste un plan-masse dense, et nous savons que les gens des campagnes vont continuer de se déverser dans les villes.
Cependant vous avez construit un bâtiment pour le ciel… Solitaire, au sommet d’une colline entourée de forêts. À la fois fort et diaphane…
Le maire n’était pas convaincu par les différentes propositions reçues. Quand nous avons été appelés, quand nous avons découvert la beauté de ce site, nous n’avions nulle envie de répondre au programme, de construire ici le premier bâtiment « moderniste » de la ville, soit une structure bien ancrée au sol, le phare d’un nouveau développement, etc. Nous avons donc dessiné un projet qui en est exactement le contraire ! Nous voulions faire avec la nature et avons proposé un bâtiment qui se lève du sol. Le jury n’en voulait pas mais le maire a compris le projet. Cette relation privilégiée avec la mairie nous a permis de convaincre les urbanistes que la meilleure ville expérimentale serait… la préservation du site. Aujourd’hui, le projet de « ville » qui en fait était un quartier, est arrêté, en tout cas le master plan a été revu à la baisse. Notre bâtiment a eu un vrai impact. C’est une chance inouïe. 50 % du métier d’architecte tient à la chance…

Il s’agit d’une structure d’éléments encastrés et chevillés issue d’un savoir-faire ancien typique de l’architecture du Sichuan rural. Une réappropriation de l’archétype de la pagode ?
Nous n’avons pas cherché à faire une pagode, notre intention était de rendre la façade invisible tout en utilisant des techniques locales ancestrales. Nous ne voulions pas non plus que le paysage se reflète dans le bâtiment, il n’y a pas de verre en façade donc mais un mur-rideau de verre nervuré, caché pour fermer, mais qui, invisible, ne laisse voir que la nature. Un filtre de bambou pour libérer les ailes et une ossature bois qui ne porte pas le toit, comme l’ossature tendue d’un oiseau. Nous souhaitions faire passer les champs, les lacs. La nature, la colline, le vol des oies sauvages qui atterrissent là, ont été nos sources d’inspiration. Le bâtiment s’envole grâce à cette structure bois et acier autoportante, hypertendue, hyperlégère. À l’intérieur, une cour centrale laisse passer la lumière et fait de l’espace un lieu propice aux expositions d’art. La pagode peut-être mais sans aucune intention religieuse.
Une agence française, un associé chinois, une antenne à Shanghai et 80 % de vos projets en Chine…
Nous intervenons comme architectes mais aussi comme urbanistes. En Chine, l’identité d’un quartier est importante, la ville est pensée dans sa globalité. En France la fabrique de la ville est fragmentée. L’urbaniste donne des règles, qui sont souvent court-circuitées par une pléiade d’acteurs : économie, pouvoir politique, promoteur, urbaniste et, tout à la fin, architecte…

Racontez-nous ce qu’est un projet d’urbanisme en Chine.
Parlons alors de Yanqi Lake Eco-Village. Il s’agit d’un projet d’aménagement urbain et d’architecture à 60 km au nord-est de Pékin qui vise à créer une communauté écologique, à proximité de la Huairou Science City, un grand pôle scientifique de plus de 23 000 chercheurs. Le master plan repose sur un principe de trois archipels urbains, chacun ayant une forme et une fonction spécifique, du résidentiel, du culturel et de l’éducatif, du commercial et des services. Une trame qui dialogue avec une trame verte de parcs et de paysages naturels. Une symbiose du bâti et de la nature. L’ensemble a été conçu avec une approche durable, intégrant des matériaux locaux et des technologies respectueuses de l’environnement. Actuellement nous travaillons sur un projet d’île artificielle initié par Christian de Portzamparc il y a des années. Le projet fut annulé… puis repris par des architectes chinois, annulé encore… et finalement il a été fait appel à nous il y a deux mois !
Pourtant le marché chinois a régressé. La dénatalité en est-elle la cause ?
C’est un fait acquis que la démographie a baissé mais ce n’est probablement pas la seule cause du ralentissement immobilier. L’accès au crédit pour les promoteurs s’est drastiquement réduit, beaucoup de projets ont été gelés. L’incapacité de livrer les logements a engendré une crise de confiance chez les acheteurs et les investisseurs. Le modèle économique d’avant, fondé sur la valorisation du foncier, s’est profondément modifié. Les logements étaient trop chers et il y a une baisse de la demande.
La dénatalité a aussi plusieurs causes, dont évidemment l’héritage des politiques passées telle l’enfant unique mais pas seulement. Le mode de vie urbain a changé, les Chinois veulent la meilleure réussite pour leurs enfants. L’éducation, les écoles, la santé coûtent cher, c’est un énorme investissement. Les gens travaillent beaucoup, beaucoup plus qu’en France. Les femmes aussi, et elles occupent des postes à responsabilités. Tout cela influe sur les choix de vie. C’est pourquoi dans les grandes villes, les gens choisissent le plus souvent d’avoir un seul enfant pour assurer le niveau de vie qu’ils souhaitent. La dénatalité ne s’arrangera pas. Comme quasiment partout… D’ailleurs, en Europe, les pays sont sauvés par les dynamiques migratoires.
Pourquoi la Chine engage-t-elle une agence européenne pour des projets souvent traditionnels comme celui-ci… qui vient de gagner le Grand Prix AFEX ?
La Chine s’ouvre au monde et elle veut dialoguer avec d’autres cultures, approches et sensibilités différentes ; les croisements entre tradition et innovation sont des valeurs ajoutées. L’ampleur des projets et des diversités urbaines donnent de la place à tout le monde…
Du mythique musée d’histoire de Ningbo du premier en tuiles et briques récupérées au très futuriste Harbin Opera House du second dans la Mandchourie profonde, la « révolution » Wang Shu et la contre-révolution MAD n’ont-elles pas tout changé ?
Bien sûr mais il y a un Wang Shu, et tous les autres… il y a encore de l’espace pour les Européens et nous savons nous inscrire dans la culture locale, créer des bâtiments modernes mais profondément enracinés dans leur contexte en redécouvrant les techniques traditionnelles de maçonnerie et menuiserie. Notre agence est une somme de cultures franco-sino-italienne ! C’est notre valeur ajoutée. Nous pensons que les collaborations sont souvent plus fructueuses, que plusieurs têtes, plusieurs façons de penser apportent de meilleures réponses. Nous nous appelons AND Studio…

Seriez-vous un architecte heureux ?
Le Grand Prix de l’AFEX est un vieux rêve. Christian de Portzamparc l’avait reçu pour la Cité de la Musique de Rio de Janeiro. Depuis j’ai la chance de côtoyer tout ce groupe d’architectes. Et même si nous sommes tous différents, nous sommes aussi tous ensemble dans une passion commune pour l’architecture. C’est un prix magnifique. Il me rend heureux.
Propos recueillis par Tina Bloch
* Lire aussi Chroniques de sable – Vivre ensemble (AND Studio)
** L’AFEX, Architectes Français à l’Export, est une association crée en 1997 pour promouvoir l’architecture française dans le monde, valoriser le savoir-faire français à l’étranger, accompagner les agences françaises dans leur développement à l’export, organiser des évènements à l’international et surtout représenter la profession auprès des institutions publiques. Elle est dirigée par Madeleine Houbart Secrétaire générale depuis 1998 et Reda Amalou Président depuis 2022. Tous les deux ans, le Grand Prix AFEX récompense une agence d’architecture française pour un projet construit hors du territoire français. Les projets retenus pour leurs qualités de conception et de réalisation, et surtout dans le respect du contexte local, sont présentés à la Biennale d’architecture de Venise (du 10 mai au 23 novembre 2025).