
Malgré les apparences, il ne faut pas désespérer de la politique. En témoigne un minuscule animal, l’éphémère, dont la présence sur la Seine est un signe de l’amélioration de la qualité de l’eau, ce qui tombe bien à l’heure où la baignade dans le fleuve est autorisée sur trois sites dès le 5 juillet 2025.
C’est Le Parisien (13/06) qui rapporte l’évènement : pour la première depuis des lustres, ce petit insecte préhistorique, aussi appelé mouche de mai, a été repéré entre la cathédrale Notre-Dame et l’Île-Saint-Louis. Un miracle ? « La mouche de mai est une espèce extrêmement sensible à la pollution qui vit habituellement dans les rivières les plus propres », explique le biophysicien Bill François qui a fait la découverte. « Ce qui est encore plus rassurant est de savoir que cette mouche est bien née dans la Seine et qu’elle n’a pas été poussée par le vent », précise-t-il. L’occasion d’apprendre que la présence sur terre de cet insecte est attestée depuis 300 millions d’années avant les dinosaures et qu’il fut, pour tout dire, le tout premier animal à voler. « Partout en France, on voit les eaux se dégrader, la Seine est le seul contre-exemple », souligne le scientifique.
La naissance de cet éphémère n’est pas une anecdote. Il n’y a pas besoin de remonter très loin dans le temps pour se souvenir de la Seine comme d’un cloaque. Une situation si malodorante pour une ville lumière que Jacques Chirac, alors maire de Paris, promet en 1988 de rendre à nouveau le fleuve propre à la baignade et de le prouver en nageant dans la Seine. Une promesse non tenue ? Voire… Certes il ne s’y baigna jamais et il fallut près de quarante ans pour que quiconque s’y risquât, jusqu’aux jeux olympiques de 2024 et qu’une ministre et une maire tombe ou se jette à l’eau. Personne n’est mort. Donc, autorisée la baignade. Les pêcheurs s’en félicitent qui trouvent dans l’eau du bain 36 espèces de poissons en 2024 contre 14 en 1990.
En vérité, la boutade de Chirac a enclenché une dynamique conjointe de l’État et de la Ville de Paris à tel point que le credo fut ensuite repris sans discontinuer par les maires suivants, de Bertrand Delanoë à Anne Hidalgo. En 2002, le premier met en place l’opération Paris Plages, pas question donc de s’y asphyxier ou attraper des boutons…
En 2015, un grand plan d’amélioration de la qualité de l’eau de la Seine et de la Marne « pour atteindre les niveaux requis pour autoriser la baignade » est engagé par la seconde avec l’État et ses opérateurs, les collectivités franciliennes et les acteurs de l’assainissement. Quatre grandes priorités sont établies pour la baignade grand public : l’amélioration des processus de traitement des stations d’épuration pour renforcer encore la qualité des eaux rejetées dans le milieu naturel, la résorption des mauvais branchements, la réduction des rejets des eaux non traitées en cas de pluie et le raccordement des bateaux aux réseaux d’assainissements.
Rien de très sexy en apparence mais rien qui ne fasse du mal à la nature ou à l’économie, au contraire ! De fait, avec les Jeux olympiques en guise d’accélérateur des bonnes volontés, six ouvrages d’assainissement ou bassins de rétention ont été construits, dont le VL 8, un collecteur de grande capacité d’une longueur de 10 kilomètres situé entre Essonne et Val-de-Marne.
De plus, pour en arriver là – aller se baigner à Paris sans autre danger que la noyade – il a fallu pour l’État, la Ville de Paris et nombre de collectivités locales en amont et en aval engager des chantiers colossaux qui se comptent ensemble en milliards d’euros et se déploient bien au-delà du centre de Paris, qu’il s’agisse du traitement des eaux ou de leur gestion, en aval comme en amont.
En témoigne en amont le barrage mobile de Vives Eaux (Seine-et-Marne) qui régule depuis 1928 les niveaux amont et aval du fleuve pour assurer sa navigation.* Exemple parmi de nombreux autres des ouvrages qui concourent à l’amélioration de la qualité de l’eau, il a été entièrement reconstruit et modernisé en 2018 pour 40 M€. Destiné à la sécurité de la gestion hydraulique au service de la navigation fluviale, il a d’autres vertus quant à l’usage de l’eau (eau potable, industries…), tout en améliorant les conditions de travail des agents d’exploitation. L’ouvrage est équipé d’une passe à poissons et d’une nouvelle passerelle publique reliant les villages des deux rives de la Seine, un point de vue devenu très couru. Bref, un investissement qui a atteint son objectif pour les prochaines décades.
« Au-delà de sa finalité fonctionnelle et technique, la reconstruction de ce barrage a fourni l’occasion d’une requalification générale du site naturel sensible de la vallée de la Seine où il s’implante », souligne ainsi Luc Weizmann (LWA) qui en signe l’architecture. « De par son dessin-même, le nouvel équipement intègre une valeur symbolique et devient un ‘ouvrage d’art’ au sens noble du terme. La nouvelle circulation publique sur la passerelle, à l’aplomb de la chute d’eau, forme à ce titre un élément précieux de valorisation de l’environnement », poursuit l’architecte. Ecologie en tout point positive donc, même si le barrage est coulé en béton… Et preuve en est qu’il y a de la place pour l’architecture !
En témoigne en aval la capacité des unités de traitement biologiques de l’usine d’épuration d’Achères Seine-Aval (Yvelines). Réalisées par LWA et LELLI Architectes et mises en service en novembre 2017, leur débit est égal à la moitié de celui de la Marne. Le chantier, gigantesque, a compté jusqu’à 1 200 personnes en même temps et duré 50 mois pour un coût de 777 M€. Ecologie punitive, vraiment ?
Ces exemples parmi d’autre prouvent qu’avec une approche globale, c’est tout le territoire jusqu’à Rouen qui bénéficie aujourd’hui d’une eau de la Seine somme toute de bonne qualité, pas seulement les bobos baigneurs parisiens. Sans même parler ici des vastes bassins naturels désormais préservés pour anticiper les inondations dans la capitale et ailleurs.
Il convient toutefois de noter que tout cet effort, au-delà de ses vertus écologiques et républicaines – gouverner, c’est prévoir – semble avoir en l’occurrence été pensé pour un usage de loisirs. Pour espérer un océan propre et accepter l’investissement nécessaire au ménage, faut-il que toute la croisière s’amuse ?
Comme l’indique Bill François, le biophysicien, partout en France les eaux se dégradent, sauf pour la Seine. C’est qu’ailleurs, ça ne rigole pas ! Pourtant il est possible, d’évidence, d’améliorer la qualité des eaux de nos rivières et de l’environnement qui leur est attaché quasiment sans même que nous nous en apercevions !
En tout cas, quoi qu’en disent les politiciens sans imagination, investir pour le bien du pays, en respectant l’environnement, avec des résultats économiquement, socialement et écologiquement certifiés durables, c’est possible, certes sur le temps long. Cette réussite est visible également avec les toutes nouvelles stations de métro et gares du Grand Paris. Les J.O. en sont une nouvelle démonstration, qui ont rapporté plus qu’ils ont coûté ! Mener à bien des projets utiles, c’est possible !
Que manque-t-il donc aujourd’hui à ce pays qu’il se retrouve empêtré à ce point entre petites autoroutes mesquines et privées et grandes bassines pour faire sécher l’eau du sous-sol, le niveau zéro de la pensée à l’échelle du territoire ? Bonjour l’ambition ! Il y a pourtant la place pour d’autres perspectives… A moins évidemment qu’un costume trop grand…
Pour autant, il ne faut pas désespérer de la politique. Après tout, pour la baignade dans la Seine, il s’en est fallu, il y a quarante ans ou presque, d’une promesse en l’air de l’impétueux Jacques Chirac qui – fait rare – a engagé toutes celles et ceux qui l’ont reçue.
Christophe Leray
*Lire Le barrage passerelle de Luc Weizmann ou l’élégance de l’ouvrage d’art