La vaccination comme l’architecture ? Quelles normes pour les 90 super congélateurs nécessaires ? Combien de pages pour le référentiel ad hoc ? Dans le cahier, de fait, les charges pèsent de tout leur poids sur les agences !
Au 3 janvier au soir, il y avait eu trois cent trente-deux vaccinations en une semaine. Malgré la pesanteur administrative, c’est déjà pas mal, presqu’un exploit compte tenu du système. Les ordinateurs du ministère tournent à fond et prévoient la vaccination totale de la population française d’ici trois mille ans…
Une dizaine des super frigos nécessaires pour la conservation du vaccin à moins quatre-vingts degrés attendent toujours, quelque part, leur validation par les services de l’Etat. Cette petite dizaine sur la grosse centaine nécessaire pour congeler l’ensemble des doses de vaccins prévues attendent les tests nombreux de la logique particulière qui fait le sel si singulier de notre génie administratif.
La validation dépend de facteurs complexes tel quel la rédaction de PV des différents services concernés et, sans doute parmi eux, la valorisation des résultats relatifs au programme d’étude sur la pathologie des ouvrages d’assainissement des hôpitaux, précaution indispensable, ainsi que la validation des tests antisismiques des piétements au regard du degré de dureté des sols potentiels !
Aujourd’hui, on doit être en train de nommer une commission pour choisir le paramètre qui convient à l’étude des différents sites possibles pour la disposition de ces super congélateurs car, naturellement, entre les officines de pharmacie et les hôpitaux, les normes ne sont pas les mêmes. Donc, quel type de norme allons-nous choisir ? Vickers, Brinel, Knoop, Shore ou Barcol ???
Si c’est Vickers qui est retenu par la commission, ce sera plus simple, les normes sont déjà pratiquement toutes écrites :
EN ISO 6507-1 : Matériaux métalliques – Essai de dureté Vickers – Partie 1 : Méthode d’essai
EN ISO 6507-2 : Matériaux métalliques – Essai de dureté Vickers – Partie 2 : Vérification et étalonnage des machines d’essais
EN ISO 6507-3 : Matériaux métalliques – Essai de dureté Vickers – Partie 3 : Étalonnage des blocs de référence
EN ISO 6507-4 : Matériaux métalliques – Essai de dureté Vickers – Partie 4 : Tables des valeurs de dureté
La présidence de la République s’est émue de cet état de fait. C’est pourtant notre quotidien, notre manière de faire, le résultat notable de plusieurs siècles de prise de pouvoir du monde administratif sur tous les autres, finalité ultime de la bureaucratie lentement polie par plusieurs siècles d’amélioration successive de la sphère réglementaire.
Le plus étonnant est la surprise du Président, comme s’il feignait d’ignorer l’embonpoint du système qui engourdit la « Startup Nation » et annihile toute tentative de transgression de l’appareil administratif. Peut-être ignore-t-il le théorème de Durkheim (cf Bureaucratie et leasing administratif ou la collusion des données) qui voue toute tentative de simplifier les procédures à l’effet strictement inverse ?
La bonne nouvelle est la création d’une nouvelle agence. On doit en être à la discussion des statuts et de la relation avec le ou les ministères de tutelle, et de sa liberté quant à l’utilisation du code des marchés pour l’acquisition des quatre-vingt-dix frigos à venir non encore acquis pour cause d’application des procédures de mise en concurrence.
Il faut que le fournisseur puisse faire état de la fabrication de seize mille frigos pendant la dernière période triennale et l’inscrire sur son CERFA DC2, attendre les 28 jours pour écoulement des délais légaux de la mise en concurrence et soumettre sa réponse sur le site choisi par l’Etat, sans doute AWS, et faire bien attention à la version de java script utilisée, correctement mise à jour pour éviter les bugs d’un téléchargement tronqué préjudiciable à la compréhension de la puissance publique chargée de l’analyse des offres.
Cette Agence va commencer par créer une commission de validation autorisant la nomination d’une délégation chargée de recruter les membres administratifs chargés de la gestion des conclusions du comité des trente-cinq citoyens tirés au sort, afin de rédiger un rapport final soumis aux deux chambres (député et sénateurs) qui devront valider les conclusions préalablement agréées par la commission.
Santé Publique France s’est dotée d’un établissement pharmaceutique, placé sous l’audacieuse autorité du Directeur de Santé Publique France (celui-là même qui a détruit 10 millions de masques la veille de la pandémie).
Dans le cadre de la vaccination contre la COVID-19, l’agence est l’un des principaux opérateurs logistiques de l’Etat. Elle assure, en lien avec le ministère de la Santé et ses partenaires, le pilotage opérationnel des circuits logistiques (réception, stockage et distribution des doses de vaccin acquises) qui la concernent. Nous voilà rassurés, c’est bordé.
Mais ce propos liminaire n’est qu’un balbutiement de café du commerce dans le juste combat contre l’hydre de la réglementation bouleversant la pensée dans des conditions qui franchissent la barre de l’indécence et du surréalisme, sinon de l’écœurement.
C’est paniquant quand cette difformité obèse du surpoids administratif s’applique au COVID mais c’est vertigineux quand on lit un référentiel sur les immeubles collectifs rédigé par une direction de la maîtrise d’ouvrage en application des recommandations d’Action Logement.
Pour les non-initiés, et pour faire simple, il s’agit d’agences (comme celles de la vaccination – pas rassurant !) émettant un cahier des charges relatif aux prestations que doit exécuter un architecte pour produire un immeuble de logements sociaux. C’est édifiant.
Entre hall traversant proscrits (pourtant bien agréables), considération architecturale castratrice et l’imposition de matériaux (« …Les cloisons de distribution entre pièces seront réalisées en cloisons sèches alvéolaires à parement en plaque de plâtre type Placopan ou équivalent d’épaisseur 50 mm… »), le référentiel contient cent soixante-seize pages de recommandations aussi saugrenues que stériles, rédigées par des bureaucrates jaloux et peine à jouir qui considèrent l’ignorance et l’incompétence de l’architecte comme une donnée fondamentale de l’Art de la ville.
Pire encore, pour l’usager, c’est une sorte de nivellement par le bas imposant un modèle sans possibilité d’apporter la touche de plaisir que permet, justement, l’architecture comme un Art de la Ville.
Interdit de trop kiffer d’utiliser un hall traversant (imaginez-vous voir le jardin de la rue !!!), impossible de jouir de passerelles à l’air libre pour distribuer les appartements : des couloirs, s’il vous plait et de 1,20m de large, ni plus ni moins.
Certes ces référentiels réglementaires ne sont rien à côté du péril pandémique, on risque moins la mort, sinon peut-être de mourir d’ennui…
François Scali
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