A Montrouge, les architectes Emmanuel Combarel et Dominique Marec (ECDM) ont livré à l’automne 2016 un nouveau programme de bureaux. Sobrement baptisé «White», un bâtiment plus blanc que blanc. Visite.
A l’instar d’autres petites villes périphériques de la banlieue parisienne, Montrouge est en train de vivre une mue urbaine, le paysage industriel, souvent encore imbriqué dans la trame résidentielle, s’effaçant peu à peu du paysage au profit de l’industrie tertiaire. C’est ainsi qu’en juillet 2013, les Nouveaux Constructeurs et AG Real Estate France, dans le cadre d’un partenariat de co-promotion achètent à Montrouge une immense parcelle de 130 mètres de long, à l’angle de l’avenue Verdier et de l’avenue de la Marne, dans un quartier résidentiel certes mais bien situé entre deux stations de métro, proche du périphérique parisien et non loin du nouveau pôle tertiaire élevé par le Crédit Agricole. Au programme, 23 000m² de bureaux en blanc. Emmanuel Combarel et Dominique Marrec ont pris ce programme au pied de la lettre.
Lors de la conférence de presse du 13 septembre dernier, Stéphane Le Moël, directeur délégué immobilier d’entreprise chez Les Nouveaux Constructeurs, a notamment expliqué que la crise économique de 2008 a transformé la conception de bureaux, de nouvelles générations optant pour des solutions de plus en plus minimalistes. Il ose même le parallèle avec l’architecture japonaise : «dans un pays en crise depuis 20 ans, l’architecture se fait de plus en plus blanche et de plus en plus minimaliste», dit-il. Dont acte.
En guise de quoi, Dominique Marrec note le paradoxe d’un projet destiné a priori à produire un cadre de vie générique qui soit en même temps sécable, modifiable et adaptable puisque les maîtres d’ouvrage ne seront pas les utilisateurs finaux. La réponse d’ECDM est justement de dépasser le cadre générique de la question posée. «Travailler sur le paysage, c’est travailler sur la désaturation et le spécifique», souligne l’architecte. Le paysage ici est de deux ordres.
Celui de la rue d’abord où il fallut s’approprier un vaste trou de plus de 7 000 m² sur quatre niveaux de sous-sol dans une ville très dense. «Nous avions affaire à une parcelle historique dans un tissu urbain déjà constitué par une trame industrielle», poursuit Dominique Marrec. «Il s’agissait pour nous architectes de mettre en place un paysage qui se connecte à l’existant», dit-elle. Surtout pour un projet qui offre une façade de 130 mètres de long.
Toujours est-il que de la rue, à R+5, l’immeuble s’inscrit parfaitement dans le gabarit du quartier entre les hauteurs des bâtiments voisins et les maisons adjacentes. Ce d’autant plus que les grandes fenêtres en bandes toute hauteur affirment pour ce bâtiment une filiation avec l’histoire industrielle de la ville.
Si le dessin d’ECDM s’est imposé grâce au plan-masse «qui rayonne» et son jardin intérieur, nous y reviendrons, c’est la façade blanche et immaculée en Corian, un matériau habituellement utilisé en aménagement intérieur, qui interpelle. De fait, la façade fut plus difficile à faire passer auprès des maîtres d’ouvrage, lesquels, dans le tertiaire, ne sont généralement pas des aventuriers. En effet, d’une part Emmanuel Combarel et Dominique Marrec étaient à la recherche du «blanc absolu», lequel se devait de garder longtemps son éclat et d’être d’un entretien aisé. D’autre part, à l’inverse de ces peaux désolidarisées qui font l’ordinaire des immeubles de bureau, ECDM affirme sans ambiguïté la fonction structurelle de cette façade avec ces grands panneaux qui sont autant d’éléments d’un Tétris géant.
La mise en œuvre de cette résine de synthèse ne constitue pas pour autant une première et les architectes et les maîtres d’ouvrage de souligner être allés constater sur place le succès de sa mise en œuvre à Bordeaux sur l’hôtel conçu par l’Atelier King-Kong. Par ailleurs, des panneaux de plus de 5 mètres de haut avaient déjà été utilisés pour la Cité de l’environnement, signée Fassio-Viaud Architectes, qui a vu le jour en 2015 à Pantin, également en banlieue parisienne.
Face à ce long linéaire de façade, s’imposait la question de l’entrée. «Nous avons proposé une inflexion qui intrigue et capte les passants ; en décentrant l’entrée, nous avons fait une politesse à la rue», indique Emmanuel Combarel. Ce léger renfoncement, doté d’un auvent de 40 mètres, permet en effet d’apporter du recul sur l’artère étroite qui la borde mais c’est surtout toute la rue et l’espace public qui y gagnent en confort.
L’entrée donne dans un vaste hall blanc immaculé qui offre soudain un nouveau paysage dans une altimétrie autre que celle de la rue. En effet, il met tous les niveaux de bureaux directement en relation avec un vaste espace paysagé extérieur, deux niveaux sous celui de la rue. Ce jardin patio, permet par ailleurs de mettre en lévitation les maisons et jardins individuels qui le jouxtent. De fait, les architectes ont à cet effet choisi de ne pas tirer l’immeuble jusqu’à sa limite constructive. Au contraire le jeu des terrasses des étages de bureau, en partant de R-2, permet de s’inscrire dans une échelle pas oppressante pour les riverains situés à l’arrière du bâtiment. Le restaurant d’entreprise, prévu pur 1000 couverts, quant à lui donne directement sur ce jardin.
Sinon, l’immeuble offre des plateaux de 3 500 m² entièrement modulables ainsi que des volumes spacieux et lumineux, avec des paliers d’étages éclairés naturellement tandis que les grandes fenêtres permettent à la lumière de pénétrer amplement partout. Au sommet, une magnifique et vaste terrasse, accessible en de multiples endroits, court sur toute la longueur du bâtiment et maintient la relation avec le paysage de la ville tout autour. A noter que conçu pour 1 800 utilisateurs, le programme ne propose que 410 places de parking, un autre signe de l’évolution vers un usage raisonné de la voiture dans les nouveaux bâtiments tertiaires.
Malgré le coût supérieur du Corian, les maîtres d’œuvre ont apparemment su rester dans le cadre d’un budget prévu puisque Stéphane Le Moël parle aujourd’hui «d’une opération heureuse qui se passe bien de A à Z». De fait, la totalité des espaces a déjà trouvé preneur. Il est en effet prévu que, en juillet 2017, l’INSEE quitte le tripode gonflé d’amiante qu’elle habite depuis quelques décennies, pour rejoindre, avec option d’achat, ce nouvel espace répondant aux exigences environnementales de la RT 2012 -15% et référencé Breeram. Bien joué donc de la part des investisseurs d’avoir opté pour une «architecture minimaliste et blanche» et bien joué de la part d’ECDM pour ce projet intriguant qui n’a plus rien de générique.
A l’issue de la conférence de presse avait lieu dans le jardin la soirée d’inauguration. Le sourire était sur toutes les lèvres. Ultra-white le sourire !
Léa Muller