‘DVVD – Ingénieurs – Architectes – Designers’, est-il indiqué sur la porte de verre. Derrière, tous les espaces sont occupés à tel point qu’aucune salle de réunion n’est disponible. Fin juillet 2016, nous retrouvons donc Daniel Vaniche, l’architecte fondateur de DVVD, dans un troquet près de ses bureaux situés dans le nouveau quartier de la rue des Frigos dans le XIIIe arrondissement de Paris. Conformément au nom de l’agence, c’est l’ingénieur qui s’exprime en premier. Portrait.
Parlant de ses années d’enseignement aux Ponts & Chaussées Daniel Vaniche explique que ce qu’il souhaitait était de faire passer l’idée que les élèves ingénieurs ne soient pas engoncés dans des méthodes du type ‘recherche du point optimum pour ce site’.
«On construit mal le paysage et la ville avec seulement des calculs. C’est une erreur de pousser à l’extrême le côté optimisation des choses car cela conduit à des aberrations comme de construire une autoroute à 40 m du sol dans un village. Mais enseigner aux élèves ingénieurs de mettre de la sensibilité dans leurs opérations est difficile car il faut expliquer qu’il n’y a pas une seule réponse à leurs équations mais une infinité de réponses», dit-il. Mais c’est là déjà sans doute l’architecte qui parle, lequel entend insuffler de la poésie dans ses projets, «même si c’est une lutte permanente».
Dans un sens, Daniel Vaniche a toujours tout mélangé, la musique, l’électronique, le sport, le modélisme, l’écriture. Enfant, élevé dans une famille pieuse, il dessinait et fabriquait des avions qu’il faisait voler. «A 17 ans, je suis allé voir tous les fabricants», se souvient-il. Maths sup, maths spé, etc. Il n’y avait pas pour lui d’alternative aux études, si possible prestigieuses. Puis il découvre qu’il faut 15 ans pour concevoir un avion avec une équipe de 15 personnes. Il se souvient d’un boulot que lui avait proposé Airbus : déterminer la position des réacteurs sur l’aile, un projet à deux ans…. «La part de créativité est très très faible», souligne-t-il.
De l’avion aux montres, il s’enthousiasme pour l’industrialisation de la swatch, mélange de technique, d’esthétique et de design qui révolutionne l’horlogerie et déplore que le Raymond Loewy* des années 50 «n’existe plus». Voire, peut-être aujourd’hui est-il architecte.
Les avions ? Inspirés du biplan de Roland Garros, les éléments de la toiture rétractable du projet de rénovation du Court central du stade éponyme à Paris sont «tels des ailes d’avion tant dans leur forme, leur matériau que leur structure». Et cela n’a rien à voir avec la volonté de Foster de faire voler les immeubles. La musique ? La mécanique des structures lors de la modernisation en cours de la salle Pleyel à Paris apparaît comme un objet de désir. Les ouvrages d’art ? Chacune des passerelles de l’agence est un évènement. La poésie ? Elle transpire dans le design du lampadaire solaire Sunflower et dans la structure des têtes géantes tressées au pied d’Euralille. C’est le mariage de tous ces centres d’intérêt qui fait la subtilité acquise pour chacun d’eux, voir les nouvelles circulations de l’institut du monde arabe.
En 1992, Daniel Vaniche effectue un stage chez Marc Mimram. «Je n’ai pas vraiment de boulot pour toi mais je te prends quand même», lui indique Mimram. Daniel Vaniche partage dès lors son temps entre ses études d’ingénieur aux Ponts et polytechnique, celle d’architecture à Belleville et charrette tous les week-ends pour Mimram. Un stakhanoviste ? Sans doute. «Je fais beaucoup de vélo, l’effort est une valeur importante pour moi», offre-t-il en guise d’explication. «L’intuition ou la bonne idée sont nécessaires mais il faut encore beaucoup, beaucoup, de travail», insiste-il. La passion rend les choses sans doute plus faciles cependant.
L’informatique, une autre passion élémentaire, a failli lui procurer une autre vie. Entre 1999 et 2004, le succès d’une joint-venture avec un éditeur de logiciel le conduit outre-Atlantique. Quinze puis 400 puis 40 000 employés en cinq ans au fil des rachats. Mais cette passion se révèle éloignée de ses aspirations premières : «les millions ne m’intéressaient pas», dit-il. Le spectre d’une vie oisive s’accorde mal avec une existence placée sous le signe de l’hyperactivité.
C’est en ouvrant son agence en 2005 à Paris qu’il revient à sa «vraie vie». Celle de l’ingénierie, de l’architecture et du design donc. Il redémarre seul puis, très vite, à deux avec Vincent Dominguez, lequel apportait quinze ans d’expérience acquis chez… Mimram. La passerelle piétonne d’Evry, livrée en 2007 et multi-primée, sera leur laisser-passer. «Ce n’est pas tant une géométrie qu’une poésie, elle a l’air compliqué mais elle fut très facile à fabriquer», s’amuse son concepteur. Pour la rénovation du POPB, DVVD est parvenu à augmenter le nombre de sièges sans pousser les murs – un exploit technique qui lui valut de gagner le concours – mais c’est l’agence qui a également dessiné ces sièges. Un pylône à haute tension, design ou architecture ? Peu importe l’échelle du détail, Daniel Vaniche ne choisit pas et se moque des étiquettes, sauf peut-être à les multiplier.
Aujourd’hui, en 2016, il continue de partager son temps entre toutes les activités de l’agence tandis qu’il élargit encore le champ de sa propre géographie. Non seulement DVVD construit en son nom propre ouvrages d’art, logements, équipements publics et privés, en France et à l’étranger, mais collabore volontiers avec nombre d’architectes dans le cadre de différentes missions et sous toute forme d’association, de MVRDV à Encore Heureux, de Nouvel à Wilmotte, d’Anthony Béchu à Philippe Madec ou Stéphane Maupin ou Caractère spécial et NP2F. Grand écart ? «Travailler avec d’autres agences nous permet d’échanger avec d’autres professionnels et d’explorer des matières nouvelles et des solutions alternatives», explique-t-il. Du lampadaire à la tour D2 à La Défense, il n’y a donc qu’un pas. Il parvient encore à dégager du temps pour sa famille – il a cinq enfants – et le vélo. Il dort peu, dit-il.
Sans même parler de la sensibilité d’une structure ou d’une façade, Daniel Vaniche regrette que les écoles d’architecture «glissent» un peu trop sur les aspects techniques d’un projet et il note que la culture de l’ingénieur est plus forte à l’étranger. C’est dit sans amertume car il relève dans la foulée «que c’est la curiosité qui compte, le réel s’apprend à l’agence». Avec beaucoup de travail sans doute.
Le paradoxe est que l’architecture atteint aujourd’hui un tel niveau de technicité que l’architecte cistercien qui faisait tout tout seul a beaucoup de mal à s’y retrouver. Le Corbusier, dont les bâtiments appartiennent aujourd’hui au patrimoine mondial de l’humanité, ne pourrait pas aujourd’hui concevoir en totalité le projet du couvent de la Tourette : gestion de l’électronique, l’acoustique extrême, l’environnement extrême, le courant faible, etc. C’est la raison sans doute pour laquelle, dès la création de l’agence en 2005, Daniel Vaniche et Vincent Dominguez, et, très vite, Bertrand Potel, se sont attachés à mettre en commun leurs savoir-faire tant dans le domaine de l’ingénierie que de l’architecture et du design afin de conserver la maîtrise des projets, qu’il s’agisse de leur structure, de leur économie ou de leur expression. Dit autrement, chez DVVD, la complexité est une aubaine autant qu’un défi.
Cela n’obère en rien une saine distance intellectuelle. «Le niveau de confort attendu dans un bâtiment est très au-delà de ce qu’il était il y a 20 ans mais est-ce que le toujours plus vaut la peine de toute cette débauche d’énergie ? L’évolution de la construction, avec des maisons pilotées à distance, doit-elle être parallèle à celle du smartphone? Faut-il accepter de vivre avec moins, dans un confort moindre, et partager plus ? Quel est vraiment l’intérêt de l’usager au final ?». Bonnes questions. Daniel Vaniche forme le souhait que son architecture puisse offrir avec élégance plus d’usage avec moins de moyens et d’énergie. C’est en tout cas l’un de ses axes de recherche.
Cela écrit, même DVVD ne peut plus, seule, posséder toutes les compétences et savoir-faire particuliers nécessaires à l’exécution d’un projet. Et Daniel Vaniche de mettre encore «le dialogue» en exergue. «C’est tout l’enjeu de la discussion entre le client et l’architecte, entre l’architecte et l’ingénieur, entre l’architecte et l’architecte, entre l’architecte et l’entreprise», reprend-il. «Lors d’un concours, les architectes travaillent en aveugle par rapport à l’utilisateur et la mauvaise interprétation d’un programme conduit à de mauvaises réponses. En revanche, l’échange est très riche, notamment avec celui qui va utiliser le bâtiment pour les prochains 30 ans. Un vrai dialogue avec l’utilisateur final permet de trouver des marges, y compris sur les normes. C’est l’échange qui peut donner naissance à un truc incroyable».
Bref, à l’instar de son fondateur, l’agence est ouverte à la conversation et doit bientôt déménager dans le XIe arrondissement pour de plus grands locaux.
Christophe Leray
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