Le départ depuis Bourg-d’Oisans (Isère), après la frénésie de l’étape 12 et l’étape de repos soit au Festival des Cabanes, soit à la Maison Le Lac, assure aux suiveurs de retrouver une étape moins alpestre et plus propice aux baroudeurs ayant géré les dernières étapes depuis le gruppetto. Les sprinteurs pourraient cependant profiter de l’occasion de cette étape de 193 km somme toute sans difficulté pour régler le peloton à l’arrivée à Saint-Etienne (Loire). Allez un petit-déjeuner aux quatre fromages avec des noix et c’est parti !
Les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques prendront en effet dès le matin de l’avance sur le peloton pour atteindre Fontaine, dans la banlieue de Grenoble, et découvrir la halle de marché réalisée par l’agence TKMT en 2020, une réalisation nominée au prix de l’Equerre d’argent de la même année. Ce projet, symbolique de ce prix, porte sur une commande publique de faible amplitude, 450 000 € HT, et permet à de jeunes agences de proposer un projet construit sur une situation où une approche pragmatique était sûrement attendue.
La jeune agence déroule ici une approche assez représentative de son époque, entre frugalité constructive et maximisation du ratio budget / espace construit. A l’opposé des gimmicks régionaux assurant que n’importe quel projet local se voit bardé de liteaux verticaux posés à claire-voie, ce projet offre une architecture fonctionnaliste s’appuyant sur les capacités de franchissement du métal et son vocabulaire de modénature (tôle ondulée, polycarbonate, shed…).
La stratégie conceptuelle est loin d’être absente, bien au contraire, et met en place tout le vocabulaire de la halle fonctionnaliste : réduction des points d’appuis, lumière du nord, composition d’un plan libre dans la trame (le marché) et pérennité de la structure.
« La halle dessine des horizontales dans le paysage, traits d’union entre les bâtiments variés entourant la place (logements collectifs, pavillons, école primaire, etc.). Les façades claires renvoient aux falaises de calcaire du Vercors en arrière-plan, et leur aspect change en fonction du ciel et du moment de la journée », précisent les architectes.
Le projet témoigne de la capacité de l’architecture la plus anodine, du point de vue du commanditaire et de l’attrait des architectes, à fabriquer des espaces poétiques et opérants qui offrent à toutes et tous un lieu adapté, fonctionnel et baigné par une lumière maîtrisée.
De retour dans l’agglomération grenobloise les suiveurs iront découvrir un projet aperçu en reconnaissance dont les fondements sont à l’inverse exact du précédent : un commanditaire puissant et une des agences les plus importantes de France. Le nouveau siège de Schneider Electrique, Intencity, et l’agence Groupe 6 architectes. Ces deux situations antagonistes proposent tout de même un résultat convainquant et démontrent que, tout comme le vélo n’est pas qu’affaire de PMA et de WATT, l’architecture ne se réduit pas à la puissance du commanditaire, son budget et la capacité de ses architectes concepteurs.
L’arrivée sur le bâtiment par la piste cyclable qui le borde le long de l’Isère permet au suiveur de découvrir l’ouvrage par sa partie sur le parc en îlot ouvert où l’imposante façade se déploie avec subtilité et laisse à voir en filigrane un grand escalier, matérialisation d’une grande rue intérieure qui traverse le bâtiment longitudinalement.
Le bâtiment est assez grenoblois d’un point de vue de la hiérarchie de ses façades puisque les deux plus grandes s’adressent soit à la rue historique, classique (trottoir, piéton, voirie, transport en commun) soit aux nouveaux lieux du déplacement (piste cyclable, berge, parc). Ces deux façades, au statut soumis à deux types de regards et de mobilités, et malgré l’ampleur du projet, offrent des perceptions différenciées pour les habitants.
La façade située avenue des Martyrs, considérée comme principale dans le plan de la ZAC, étire le projet et sa trame au travers d’un jeu de composition subtil fait de nombre de niveaux, de retraits opportuns et d’écrêtements. Elle fabrique avec justesse le dessein du lieu, un siège statutaire dédié à l’innovation, une vitrine élégante et la perception de la maîtrise d’un savoir-faire. Schneider Electric propose des solutions permettant de mieux et de moins consommer d’électricité, le bâtiment IntenCity opère donc à la fois comme un showroom habité et un prototype à très grande échelle.
La frugalité a guidé la conception du projet et dépasse ici le simple ressort des matériaux pour se déployer jusqu’au réglage fin des technologies embarquées. A ce titre Xavier d’Esquerre, directeur des sites de Schneider Electric à Grenoble, explicite clairement l’approche : « le bâtiment a été livré fin 2020, il était prévu dès le départ qu’il nous faudrait deux ans pour le maîtriser et pour faire monter en puissance tout le système de gestion énergétique », dit-il.
Les suiveurs dépasseront ensuite rapidement le peloton pour se rendre à Vienne à la découverte de la Maison du Festival de Jazz, récemment livrée par DLD Architectes (Doucerain Lièvre Delziani). Le projet, inscrit dans un site complexe en besoin de réhabilitation à l’arrière des arènes, proposait un défi ardu qu’a su relever l’agence Lyonnaise.
« Pour nous, c’est un projet très important, nous avons une bonne expérience de la réhabilitation (…) Mais l’aspect éminemment culturel de ce projet était pour nous une chance incroyable de travailler dans un site comme celui-là », explique Pierre Doucerain.
Ce projet extrêmement singulier, qui compose entre existant, topographie et programme complexe, propose désormais au festival de bénéficier d’un lieu opérationnel inscrit entre histoire et modernité qui, à la manière de la musique à laquelle il rend hommage, est capable d’osciller entre pleine compréhension d’un héritage et revendication d’une inscription contemporaine résolument prospective.
« C’est une étape significative pour l’agence, du fait de la difficulté d’accès à la commande publique et de la renommée du festival », précise Pierre Doucerain. Nul doute que la qualité de l’agence déjà connue par les initiés se révélera au plus grand nombre au travers de ce projet, plus médiatique que les autres il est vrai.
Après l’arrivée des coureurs à Saint-Etienne, les suiveurs pourront finir la journée au restaurant Insens pour déguster, après ce retour dans les plaines, un filet de veau à la plancha, asperges et morilles à la crème, accompagné d’un verre de Condrieu Veauvignère Domaine La Roche Paradis. De quoi illustrer pour les rescapés des Alpes qu’après la montagne, il y a toujours une plaine, comme le soleil après la pluie.
Guillaume Girod (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018