Le logement du futur est annoncé ! Dans l’émission de France culture Art et Création du 11 novembre 2020, les architectes Flavien Menu et Frédérique Barchelard ont présenté « Proto Habitat », décrit comme un logement « nomade, écologique, modulable » et tous les ‘…ables’ qui vont avec !
Puisque ces mots s’affichent en étendard comme dans un prospectus de chez « COUGNAUD » (les bungalows de chantier qui se montent et se démontent), qu’y a-t-il de si innovant dans le nomadisme, le modulable et l’écologie pour qu’ils deviennent des concepts abstraits illuminant une vue de l’esprit et obscurcissant la pensée ? Que peuvent évoquer ces mots qui sonnent bien dans l’air ambiant – air pollué, rempli de particule fine, irrespirable – et nous renvoient au pays de la fantasmagoria écologique ! Après les réfugiés climatiques, les nomades urbains des temps nouveaux !
En effet, le mot nomade est emprunté du grec et du latin, nomas et ados, signifiant « qui paît, qui pâture » puis « qui change de pâturage et qui erre à la façon des troupeaux ». Par métonymie, vivre à l’état nomade se dit d’une personne qui a un mode de vie itinérant. Les nomades des régions sahariennes avec leurs campements et leurs tentes ne possèdent ni domicile fixe ni résidence fixe, ils arpentent une étendue territoriale sans ni limite ni frontière.
Le nomadisme est à la fois fonctionnel et structurel : fonctionnel, parce que le voyage permet l’organisation sociale avec ses codes, et structurel, parce que le voyage autorise l’adaptabilité face aux conditions climatiques éprouvantes. L’objectivité du voyage (le fait de voyager) est à distinguer de la subjectivité du voyage (le fait de se sentir voyageur) et c’est bien cette subjectivité du voyage qui participe de la construction identitaire du nomade. Un voyageur, même s’il ne voyage pas, reste nomade. Par opposition, le sédentaire c’est le gadjo, celui qui est attaché à la terre.
Le voyageur nomade se distingue des ‘gens du voyage’, une notion administrative créée en droit français pour désigner la communauté de voyageurs qui ne dispose pas de domicile fixe. Cette législation définit le cadre d’exercice des activités ambulantes et le régime applicable aux personnes circulant en France.
A priori, le logement du futur a introduit le nomadisme vers la mode futuriste, sans doute grâce au Covid 19 et au télétravail. Soit, les marchands de caravanes et de camping-cars peuvent se frotter les mains, le logement sur roues retrouve son engouement d’antan !
Et puis, il y a le logement modulable, il sera futuriste lui aussi ! Du latin modulus « mesure, règle », le module est ce qui sert à établir des rapports, des proportions et par extension le mètre devient le module des longueurs. Tout le monde a en mémoire l’homme universel de Le Corbusier – le Modulor – qui, poussant la notion de mesure à son paroxysme, décida que bras levé nous mesurons tous 2.26 m. Le début du module en tant qu’élément répétitif voit le jour, la standardisation du type suivra, aidée par la préfabrication de la reconstruction de l’après-guerre.
L’industrialisation et la standardisation font du module ‘le mètre à penser’ de la paupérisation de l’espace. Le logement ne se pratique plus, il se consomme. Il devient le standard de la normalisation des pratiques et des usagers. La reproduction du module devient très vite la reproduction du modèle, soucieux de produire des logements à « Coût, Qualité, Fiabilité, et Délai maîtrisés », comme ils disent. Le ministère du Logement lance en juillet 2005 un appel à projets destiné aux entreprises, aux industriels et aux maîtres d’œuvre afin « d’expérimenter de nouveaux modes de systèmes constructifs diversifiés et durables », « à coût maîtrisé » bien entendu. Sur les 111 projets issus de six pays déposés avant le 31 octobre 2005, 16 seront retenus par le jury. En février 2006, la maison modulaire ALGECO fut labellisée « CQFE » par le ministère du Logement. Même les industriels ont droit à leur label !
Depuis les années cinquante, les exemples qui ont nourri la réflexion sur le modulable ne tarissent pas. Ils ont été précurseurs d’une démarche réflexive pour pallier à la précarité grandissante due à la crise du logement.
La réponse de l’architecte Jean Prouvé à la demande de l’Abbé Pierre en janvier 1954 est à ce titre exemplaire. L’abbé Pierre commande une maison pour venir en aide aux sans-abri. Elle correspond à un appartement de type 3 (d’environ 50 m²) comprenant deux chambres, un vaste séjour prolongé par une cuisine ainsi qu’un bloc sanitaire ménager. Cette maison devait servir de prototype et inciter la fabrication de logements individuels ou collectifs suivant des procédés industriels.
L’enveloppe est constituée de panneaux-sandwich en bois thermoformé. Les panneaux sont de différents modèles : pleins, avec porte, avec fenêtres à guillotine, arrondis pour les angles. La couverture est constituée de bacs d’aluminium débordant de 50 cm sur toutes les façades, avec un auvent de 1,20 m sur la façade principale et protégeant la baie vitrée.
« La maison des jours meilleurs », comme l’a nommée l’Abbé Pierre, fut montée et démontée sur les bords de Seine devant les journalistes et les Parisiens en sept heures.
En février 1956, Le Corbusier la visita et a écrit : « Jean Prouvé a installé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse, le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherche. Et c’est l’Abbé Pierre qui la lui a commandée ! »
A l’heure où l’automatisation, l’industrialisation et la robotique sont à leurs apogées, s’enorgueillir d’un montage d’un logement en bois en cinq jours peut paraître hors de propos !
Et puis, il y a l’écologie du futur ! Et quand ils parlent d’écologie, les architectes du « proto habitat » ne badinent pas. Ils présentent trois notions du concept : l’écologie environnementale et l’écologie sociale – cela on le comprend – mais aussi « l’écologie mentale », que même les femmes et les hommes politiques n’ont pas osée !
Qu’entendent-ils par écologie mentale ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, les architectes parlent de flexibilité des espaces. Pour que les espaces soient flexibles, il faut avoir l’esprit flexible !
Au nom de la flexibilité des espaces, il n’y a plus d’espace. L’espace géométrique en sort victorieux, son économie aux aguets !
De quoi parle-t-on ? De la paupérisation de l’individu, des logements trop chers qui justifient les surfaces réduites à peau de chagrin, des foyers pas ou peu solvables, et le tout, au nom de l’innovation. Bientôt, les espaces, les usages et les pratiques n’auront plus leurs places, au profit de la flexibilité mentale !
Alors, quand un organisme public LA CEREMA, « l’expert public de référence » regroupant des personnes bien-pensantes (représentants de l’association des Maires de France, du ministère chargée du Développement durable, du ministère chargée de l’Urbanisme, du ministère de l’Intérieur, du ministère des Transports, etc.) développe un lexique* pour les personnes en manque d’inspiration d’une sémantique toute relative, la pensée unique est en marche, sans doute au nom de l’innovation ! Et nous voilà sauvés !
Gemaile Rechak
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*Le lexique de la CEREMA (ces définitions sont la version intégrale de la CEREMA, nous n’y avons pas touché). Avis aux architectes distraits…
L’évolutivité, en architecture, définit la capacité d’évolution ou de changement d’affectation d’un bâtiment dans l’objectif d’anticiper ces transformations dès sa conception. L’évolutivité d’un logement est sa capacité à s’adapter aux besoins et aux usages de ses occupants. Historiquement, deux méthodes de conception des logements évolutifs se distinguent : la flexibilité et l’élasticité.
La flexibilité permet la modification de l’organisation et de la distribution interne dans une dimension ou un espace fini, c’est-à-dire à l’échelle d’une cellule ou d’un appartement. Pour un appartement, cela consiste à la possibilité de modifier l’agencement, les dimensions et les fonctions des pièces sans en changer la surface globale.
L’élasticité offre la possibilité de modifier la surface de l’appartement par l’addition ou la soustraction des espaces de réserve, des annexes ou encore des pièces d’un appartement à un autre.
L’accessibilité caractérise un logement qui respecte les obligations du code de la construction et de l’habitation et qui permet à un habitant ou à un visiteur handicapé, avec la plus grande autonomie possible, de circuler, d’accéder aux locaux et équipements, d’utiliser les équipements, de se repérer et de communiquer. Les obligations réglementaires d’accessibilité ne peuvent répondre à tous les besoins particuliers propres à chaque individu. C’est pourquoi un logement accessible ne garantit pas systématiquement une adéquation avec tous les besoins de son occupant qui aura besoin d’adapter son logement.
L’adaptabilité désigne la capacité d’un bâtiment ou d’un logement à s’adapter à un nouveau contexte, aux évolutions des modes de vie, aux nouvelles situations des personnes, par anticipation ou tout au long de la vie. Un logement adapté répond aux capacités et aux besoins précis de son occupant, sans forcément respecter les obligations réglementaires d’accessibilité.
La réversibilité désigne la capacité programmée d’un bâtiment à changer facilement de destination grâce à une conception qui permet, par anticipation, de minimiser l’ampleur et le coût des adaptations nécessaires à son changement d’affectation ou d’usage. La réversibilité peut être constructive, fonctionnelle globale, matérielle, de l’espace et est présentée comme un « remède » à la réhabilitation.
L’hybridation est un concept de plus en plus exploré par les architectes qui consiste à mixer différents usages ou besoins au sein d’un même bâtiment. Cette hybridation du bâtiment est généralement issue d’une programmation plurifonctionnelle au sein d’un même bâtiment dont l’objectif est de fédérer logements, bureaux et activités. Pour certains architectes, l’hybridation des bâtiments est considérée comme le stade ultime du bâtiment réversible.