
Aujourd’hui, sur une période donnée, les agences d’architecture reçoivent cinq appels d’offres pour la construction d’un EHPAD contre un seul pour celle d’une école. Quelles conséquences aujourd’hui et demain pour l’architecture des villes et campagnes ?
Il y a quatre ans, j’écrivais une chronique sur la décroissance de la population.* À l’époque, bien que documentée par des chercheurs, cette assertion pouvait paraître lointaine. Cependant, en à peine quatre ans, l’indicateur conjoncturel de fécondité (ICF), ou taux de natalité, est passé de 1,84 enfant par femme en France à 1,59 (INSEE janvier 2025), ce qui représente une baisse de 72 000 naissances par an. Quel impact sur nos villes ?
Jusqu’en 2010, le taux de natalité en France était stable depuis plus de 30 ans, autour de deux enfants par femme ce qui, avec l’allongement de la durée de la vie et l’immigration, offrait à la France une légère augmentation de sa population, laquelle justifiait la croissance des villes, les besoins de densification et la création de nouveaux équipements publics.
Toutefois, aujourd’hui, avec le dévissage de l’indice ICF et la stagnation de l’allongement de la durée de vie, la décroissance est bien là. Si elle est encore un peu masquée par le baby-boom, devenu papy-boom, d’ici 20 ans, l’atterrissage de cette situation pourrait être difficile s’il n’est pas anticipé.
Les prémices se font déjà sentir. Des communes, qui voient pourtant leur nombre de logements augmenter, ne construisent plus de nouvelles écoles, la hausse du nombre de foyer étant en effet contrecarrée par la chute de la natalité. En conséquence, nouveau quartier ne signifie plus nécessairement la création d’un nouvel équipement scolaire mais simplement le maintien des établissements existants et d’éviter la fermeture de classes.
Ce nombre de 72 000 naissances de moins en 2024, c’est dans trois ans plus de 2 500 classes de maternelles vides, 25 par département, l’équivalent de deux groupes scolaires de moins dans chaque département !
Les questions de cartes scolaires vont forcément se poser, surtout si le taux ICF continu de chuter à l’instar des autres pays développés. Puis, bien sûr, dans dix ans, collèges et lycées seront touchés à leur tour avant, enfin, les universités, même si dans leur cas, avec la mobilité étudiante internationale, si son niveau est bon, une faculté peut espérer attirer des étudiants et contrecarrer le phénomène.
La question du logement va elle aussi évidemment se poser. En effet, qui dit baisse du nombre d’enfants aujourd’hui dit baisse du nombre de foyers demain et, même en imaginant que ces générations auront des vies plus dissolues que celle des générations actuelles, ce qui reste à démontrer, dans l’absolu nous devrions assister à une déflation du coût de l’immobilier, à une chute du besoin en logements et, surtout, une vacance de m² due à leur surabondance.
Finalement, le ZAN est-il vraiment une préoccupation ? Dans vingt ans, la jeune génération risque de bien rigoler de cette vision d’avenir prise à un moment quand ce n’est déjà plus le sujet ! À moins que ce ne soit une façon pour les promoteurs de la loi de s’assurer d’avoir des résultats positifs à présenter : « grâce à notre loi ZAN l’artificialisation recule ! ». En réalité, s’il y a moins de population, il y a juste besoin de moins de m² donc les villes vont mécaniquement se contracter !
Malgré cette incapacité d’anticipation chère à nos politiques français, la question du vieillissement se pose également avec, notamment, évidemment, la problématique du financement des retraites mais ce n’est pas le sujet ici. En revanche, pour ce qui concerne le logement des personnes âgées, surtout lorsqu’elles rentrent dans la dépendance, le sujet est brûlant.
En effet, avant la décroissance de la population, il faut passer par un phénomène de vieillissement de la population avec une masse de plus en plus importante de personnes âgées à protéger et accompagner. Notre seule réponse aujourd’hui est de construire des EHPAD, beaucoup d’EHPAD, qui eux-mêmes subiront dans vingt ans une première déflation lorsque le papy-boom sera passé. La population de personnes âgées continuant alors à décroître, que ferons-nous de ces structures ? Des bâtiments abandonnés ?
Ne serait-il pas dès aujourd’hui utile d’interroger notre façon de produire ces bâtiments – trois EHPAD pour une école – pour s’assurer qu’ils puissent être reconvertis plus tard ?
Il faut bien reconnaître qu’avec notre logique actuelle de spécifier tous nos ouvrages en fonction de l’usage qu’ils doivent abriter, nous avons produit un système urbain rigide basé sur une croyance de croissance perpétuelle. Aujourd’hui cette vision est remise en cause et, vraisemblablement, le système humain est plutôt basé sur des cycles sinusoïdaux. Nous sommes actuellement au début de cette inversion des courbes, nous pouvons donc dès à présent anticiper ce changement, non pas forcément en construisant moins mais en construisant mieux, en construisant réversible pour que l’EHPAD d’aujourd’hui puisse devenir l’école de demain quand le taux de natalité repartira à la hausse, ce qui se produira sûrement dans 50 ans ou dans un siècle ou deux…
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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* Lire la chronique (Septembre 2021) La décroissance humaine, c’est l’arme – la bombe ? – de demain