Concevoir un musée ou un grand équipement serait-il techniquement si complexe que nos humbles maîtres d’ouvrage pantruchards ne pourraient s’appuyer que sur le savoir-faire d’agences internationales et grandioses ? Inversement, les architectes pantruchards ne sauraient-ils pas faire œuvre de grandiloquence pour n’être à ce point pas retenus dans les listes des concours d’architecture ?
Ne s’agissant pas ici d’architecture vernaculaire, admettons que l’architecture n’a plus vraiment de nationalité, surtout en matière de musées et de grands équipements. Sinon, qu’est-ce qui distinguerait des bâtiments signés Renzo Piano, BIG, Moreau-Kusunoki et consorts ? Le Withney Museum of Art à New-York ou la Fondation Tjibaou de Nouméa seraient-ils plus italiens, le musée Légo ou la Meca davantage danois quand la fondation Guggenheim aurait célébré une architecture française pour Helsinki ?
En nuançant que certaines contrées offrent une culture et des formations de meilleures qualités que d’autres, la réponse restera probablement que l’architecture n’a pas de nationalité. Lorsqu’une agence sort du lot quand un concours international d’architecture est lancé, c’est une architecture qui est plébiscitée, et bien plus encore, un architecte encore davantage que l’agence.
Comme il arrive que les choses démarrent avec un serpent, en voilà un autre qui se mort la queue. Franck Gerhy aura provoqué un « effet Bilbao ». Ce phénomène était-il autant annoncé, voulu, réfléchi que la légende le laisse penser aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Toujours est-il qu’en Espagne, où il s’agissait d’abord d’architecture, est aussi née une sorte ‘d’architekting’, pendant de l’arrivée massive de ‘l’artketing’, c’est-à-dire de l’intrusion sans aucun complexe de règles économiques dans l’univers culturel, sur un terreau déjà mondialisé. En ce sens, ‘l’architekting’ définirait la volonté de maîtres d’ouvrage publics ou privés d’appliquer les règles de marketing à l’ouvrage d’art.
Mais revenons à nos moutons, nos musées, nos architectes et nos maîtres d’ouvrage français. Dressons d’abord un état des lieux des derniers lauréats et dernières livraisons de musées ou de grands équipements culturels sur le territoire aux budgets peu communs et aux enjeux politiques, touristiques et économiques importants.
Récemment livrés, la fondation Vuitton (Frank Gehry – USA), le musée des Confluences à Lyon (Coop Himmelb(l)au Wolf D. Prix & Partners – Autriche), le FRAC de Marseille, (Kengo Kuma – Japon), la MECA à Bordeaux (Bjärke Ingels Group – Danemark), le centre Pompidou de Metz (Shigeru Ban – Japon), le Louvre Lens (SANAA – Japon), la Cité de Design (Lin-a – Allemagne), Fondation Luma (Frank Gehry – USA), Lascaux IV aux Ezies (Snøhetta – Norvège), la Cité de l’Océan à Biarritz (Steven Holl – USA), le musée Soulage à Rodez (RCR arquitectura – Espagne) … sans oublier les ‘en cours’ , la restructuration de la Bourse du commerce de Paris (Tadao Ando – Japon), l’extension de l’opéra Bastille (Henning Larsen – Danemark), La restructuration de la Poste de Rennes (MVRDV – Pays-Bas), restructuration du Théâtre des amandiers à Nanterre (Snøhetta – Norvège)
Constatons, non, si, non, oh puis si… comme dirait un chanteur des années 70, « où sont les femmes, avec leurs gestes pleins de chââârmes… ».
Constatons malheureusement que si certains ont réussi leur pari avec grâce, luminescence et reconnaissance, à Lens ou à Rodez par exemple, d’autres se sont sacrément vautrés, pris les pieds dans le tapis du contexte existant comme à Lyon, à Metz, à Bordeaux.
Les architectes du coin ont-ils d’ailleurs bien mérité d’être ainsi punis en étant rejetés des concours les plus prestigieux ? Là aussi, l’énoncé de quelques réalisations récentes servira à donner un peu de lumière à l’argumentaire.
Pensons à la récente restructuration du musée de Picardie à Amiens par Catherine Frenak et Béatrice Jullien, le Mucem à Marseille (Rudy Ricciotti) non loin du Silo (Roland Carta), à l’extension du musée de Cluny de Bernard Desmoulin, au musée de Lodève dans l’Hérault par Projectiles. N’oublions pas La Cité du Vin de Bordeaux par X-TU, la restructuration du Palais de Tokyo par Lacaton et Vassal, la restructuration du musée de la monnaie par Philippe Prost, le musée de la Romanité à Nîmes d’Elizabeth de Portzamparc, le mémorial ACTe à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe par BMC et l’Atelier Doré/Marton, la restructuration du théâtre du Maillon par LAN à Strasbourg, le musée de Pont-Aven de l’Atelier de l’Ile, le Mémorial de la Montagne Pelée à Saint-Pierre en Martinique par Olivier Compère, le Mémorial de Rivesaltes de Rudy Ricciotti, le Moco à Montpellier par PCA-Stream, sans oublier le mémorial de Notre-Dame de Lorette par Philippe Prost ou le déjà ancien musée des Beaux-arts de Lille d’Ibos et Vitart.
Les signatures sont reconnues (à Lille), les projets fins (à Cluny), dessinés (à Strasbourg). Les architectes français montrent qu’ils savent répondre à des enjeux politiques (à Bordeaux), commémoratifs (à Notre-Dame de Lorette), symboliques (Rivesaltes) et muséographiques (Marseille) Certains sont même l’œuvre de femmes (Palais de Tokyo, Lille, Amiens), c’est dire que l’architecture à la française répond au goût de l’époque.
Au regard de cette longue liste non-exhaustive, un premier bilan, peu fameux et au goût un peu amer peut être tiré. En effet, il semble que – surprise – les architectes français sachent tout à fait concevoir un musée. Quand ils se frottent à la bête, elle ne bronche pas et le dressage se fait même plutôt bien, la reconnaissance est au rendez-vous, les visites battent pleins régimes. Alors pourquoi ne les laisser travailler que sur des projets de bien plus petite taille ou les cantonner au très bel, mais rare chacun en conviendra, exercice du mémorial ?
Pourquoi diable doivent-ils se contenter de miettes – certes une bille de caviar pour les plus chanceux – puisque chacun, souvent avec signature et élégance, a su faire montre de son savoir-faire ? Pire, concernant certains d’entre eux, pourquoi leur concéder un concours international seulement accompagné par une ‘star’ comme ce fut le cas pour Vincent Pareirra, adoubé à Tours, mais en équipier second d’Aires Mateus ?
D’autant que lorsque les architectes français jouent leur va-tout sur des opérations internationales – c’est-à-dire, pour les maîtres d’ouvrage mal entendants, au-delà des frontières du pays – la chance leur réussit plutôt pas si mal. Ce n’est pas Moreau-Kusunoki qui dira le contraire après avoir été lauréat du concours pour le Guggenheim de Helsinki (annulé depuis) et qui vient d’être nommé lauréat du Powerhouse Museum à Sydney en association avec Genton ou Lina Ghotmeh en Estonie ou Jean Nouvel à Abou Dhabi ou Architecture-Studio à Lhassa au Tibet ou Rudy Ricciotti à Alger ou enfin l’agence lilloise Coldefy et associés avec RDAI pour le National Pulse Memorial & Museum d’Orlando !
Car si le savoir-faire made in France s’exporte bien, surtout pour les équipes d’LVMH, autant l’élégance nippone coince un peu aux entournures sous nos tropiques, comme la légèreté du ‘higge’ scandinave aux abonnés absents en architecture.
Il serait donc temps que les maîtres d’ouvrage retrouvent la considération due aux architectes français en les reconnaissant au moins dans les listes des concepteurs admis aux concours internationaux. Peut-être en profiteraient-ils alors pour remettre l’architecture en tant que telle sur le devant de la scène culturelle permettant d’oublier l’architecture spectacle au service de la société du divertissement vide servi jusque dans la scénographie intérieure de ces musées de stars.
En privilégiant le geste international, nos maîtres d’ouvrage ne se rendent-ils pas complices des dérives engendrées par un effet Bilbao espéré à l’envi mais qui fait aussi bien souvent plouf ? Est-ce bien raisonnable d’instituer les architectes internationaux comme faiseurs de formes et de pseudo-concepts et de laisser les bijoux plus modestes aux petites mains ?
Pour en revenir à notre serpent, si l’architecture a inventé l’effet Bilbao, les maîtres d’ouvrage publics ont bien assimilé les retombés qu’ils pourraient escompter avec un bâtiment publicitaire, comme l’ont démontré les opérateurs privés. En effet, les musées et leur fréquentation dopent le marché de l’art plus encore qu’ils ne sortent des limbes de villes oubliées puisque ce marché est tiré à 75% par les acquisitions des musées. Un dernier indicateur pour conclure : 4% des investissements dans le marché de l’art seraient le fruit des musées français…. Ce qui permet de mieux comprendre pourquoi Franck Gehry, partout, souvent, …
Finalement l’architecture a peut-être une nationalité, celle de « l’architekting ».
Alice Delaleu