Un tunnel est un souterrain servant de voie de circulation : piéton, vélos, automobile, train, et même transport fluvial ou maritime. Ainsi, le tunnel sous la Bastille reliant le canal Saint-Martin au bassin de l’Arsenal possède la particularité d’être tunnel sans être vraiment souterrain stricto sensu. Il y a donc des tunnels qui ne sont pas souterrains et des souterrains qui ne sont pas tunnels. Chronique de François Scali.
Il est simple de comptabiliser les tunnels automobiles de Paris : 120 tunnels automobiles, lesquels seront à moyen terme désaffectés ou affectés à un autre usage. Par contre il est beaucoup plus complexe de repérer, qualifier et quantifier les souterrains, ceux-ci étant de typologies nombreuses et de natures différentes : égouts, galeries, carrières, grottes, catacombes, ossuaires, métro, abris, poches en dissolution, caves, gaines techniques…
Quand j’étais petit, je croyais aux fantômes : les espaces générant des harmonies sont susceptibles de créer des sensations irrationnelles. Les sous-sols, quand des particules de poussière à l’intérieur d’un rayon de soleil pénètrent à travers un soupirail au gré d’un souffle d’air agitant délicatement un voilage léger, ajouté aux craquements d’un plancher dans une pièce très longue, légèrement en contrebas, faisaient naguère surgir Belphégor des ténèbres…
Je ne suis pas seul dans ce cas, les souterrains ont largement contribué à une inspiration sans limite dans le domaine des sciences occultes et de la parapsychologie. C’est également souvent le terreau d’extase de tous les méchants de l’univers et autres acteurs gnomes ignominieux du théâtre de grand guignol.
Olrik, génie absolu du mal, dans l’Affaire du Collier de E.P. Jacobs, hante les égouts, catacombes et autres abris souterrains. Case après case, sont présentés ces univers angoissants où l’ombre, en vibrant sur les murs, est déformée par l’éclairage d’une lampe à pétrole dont on devine l’odeur contributive à l’ambiance effrayante.
Scène également exploitée par Murnau dans Nosfératu, vampire anémique, héros précoce du cinéma réaliste allemand dans les années 20.
(Il n’aura d’ailleurs pas échappé aux amateurs éclairés d’E.P.Jacobs que le nom d’Olrik est proche d’Orlok, nom du comte Dracula dans l’œuvre de Murnau).
L’essentiel de l’action de cette bd se déroule dans un Paris souterrain qui mélange l’environnement urbain des années 60 (DS 19 et agents de police à képi cylindrique) aux univers du gruyère complexe situé sous nos pieds. C’est un élément important dans l’apparition des sous-sols dans la culture.
Cet univers d’égouts et de grottes diverses sont représenté à la perfection avec un esprit didactique propre au journal de Tintin où la BD était publiée. Sans nul doute que ces images ont incontestablement inspiré l’imagination de toute une génération (dont moi).
Dans Le Démon de la Tour Eiffel, Jacques Tardi, à travers son héroïne Adèle Blansec, nous emmène également dans un curieux sous-sol (dont l’accès se situe sur le tablier du Pont Neuf), où s’ébroue la secte des adorateurs de Pazuzu, sorte de divinité byzantine camouflant les déviances sadiques d’Albert, un assassin, obsédé par un désir de propagation de la haine. Le théâtre des catacombes n’est pas loin … avec l’évocation sulfureuses des orgies macabres et des déviances nécrophiles qui sont généralement l’apanage des sous-sols.
Les exemples sont nombreux des mises en scènes souterraines propices à la caricature du vice. Ils confirment que les sous-sols sont souvent intimement liés à la noirceur de l’âme.
L’absence de lumière mélangée aux terreurs des mythes lucifériens sont les ingrédients initiaux de la diabolisation de tout ce qui est sous terre. L’enfer n’y est-il pas enfoui ?
En dehors de ces triviales considérations démoniaques, à Paris le nombre considérable de typologies d’espaces souterrains pourrait sans doute laisser la place à une perception gaie et enchanteresse de ces espaces, ou du moins à une exploitation moins dramatique…
Au nombre des sous-sols évoqués ci-dessus, de plus, on trouve pêle-mêle : la cave à vin de la tour Eiffel dans l’ancienne carrière de Passy, les carrières sous l’observatoire servant d’abris à l’horloge atomique, les cages à fous où étaient enfermés les patients atteints de maladies mentales dangereuses sous l’hôpital St Anne, le quartier général des Forces Françaises Libres sous la place Denfert-Rochereau et le splendide Trou du Moulin dans les jardins de la paroisse du Pré Saint-Gervais, etc.
La quantité la plus importante des sous-sols parisiens est constituée par les carrières, mines de calcaires exploitées depuis la période romaine. D’abord à ciel ouvert, puis en galeries, le calcaire extrait a permis la construction de milliers d’immeubles. Ceux-ci, sans doute disparus aujourd’hui, nous ont laissé 380 km de creux souterrains sous forme de carrières (selon l’Inspection Générale des Carrières).
Sur une largeur moyenne de deux mètres, la surface totale est de l’ordre de soixante-quinze hectares de galeries dont certaines abritent les crânes et les os des catacombes. Ces restes macabres sont le reliquat du transfert des ossements du cimetière des innocents surchargé à la fin du XVIIIe, six millions de corps qui égayent ces souterrains alors devenus inutiles et les cinq cent mille visiteurs annuels. Il semble que la seule ressource de ces sous-sols historiques soit touristique.
Cinq millions d’euros annuels de revenus d’exploitation culturelle avec les restes du cimetière des innocents, entreposé dans les restes de gisements de calcaire, eux-mêmes restes de dépôts biologiques formant le carbonate de calcium…
Cela laisse présager d’une réelle euphorie si d’aucuns pensaient à exploiter le reste…
François Scali
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