A l’été 2021, à Montsoreau (Maine-et-Loire), Didier Fiúza Faustino expose un projet manifeste : ‘Tomorrow’s Shelter’ (abri de demain). A partir d’un module de base sans fenêtre ni porte, il se déplie à l’infini et interroge l’acte de bâtir à l’heure de la pandémie de Covid. Lukasz Wojciechowski fait de la bande dessinée sous AutoCad. Dans Soleil mécanique (2020), il parle d’un architecte devenu nazi. Ville nouvelle (2021), raconte la vie d’une agence pendant les Trente glorieuses.
Une exposition d’architecture radicale chez la dame de Montsoreau
Les lectrices et lecteurs d’Alexandre Dumas connaissent les histoires romanesques de Louis de Clermont, seigneur de Bussy d’Amboise, et de Diane de Méridor, épouse du comte de Monsoreau, le tout avec un arrière-plan politique des plus sinistres sous le règne d’Henri III et ses inutiles guerres religieuses. Comment pouvons-nous – les humains – nous battre pour de telles inepties et de fausses vérités inventées de toutes pièces !??
Passons…
Reste le château de Montsoreau, magnifique demeure de style gothique et Renaissance les pieds dans l’eau de la Loire. Edifié au mi-temps du XVe siècle, il accueille depuis 2016 la collection Art and Language (collectif d’artistes britanniques conceptuels) de Philippe Méaille et, sous sa présidence, Montsoreau est devenu un Musée d’art contemporain. Ce spécialiste de l’art conceptuel aimant aussi l’architecture radicale, il a eu la bonne idée d’inviter durant l’été 2021, l’architecte-artiste Didier Fiúza Faustino, ce dernier occupant les quatre salles du troisième étage réservé aux expositions temporaires.
Dans chaque espace, la même radicalité dans l’accrochage est de mise. Au centre, quatre tables basses servent de support de présentation pour une maquette au 1/50e d’une infrastructure au dénominateur commun : un volume blanc, plein, fermé, sans ouverture et réplicable à l’infini. Rien n’est dit sur les hauteurs et largeurs mais lorsque nous regardons les représentations 3D sur fond cyan, accrochées sur les murs blancs recouverts de chaux qui cadrent les sculptures-maquettes, une multitude de combinaisons semble possible. Mais à quoi peuvent bien servir ces architectures opaques ?
Le terrier labyrinthique comme alternative à l’entropie généralisée
Interrogé sur ce projet radical, Didier Fiúza Faustino répond sous forme de manifeste : « Tomorrow’s shelter est un projet d’architecture à l’aube d’une nouvelle ère, d’une catastrophe prévisible où le réchauffement climatique et la montée des eaux transformeront les géographies et les paysages autant que les sociétés et les modes de vie. Une architecture à la limite de la paranoïa et de l’espoir du jour d’après.
Tomorrow’s Shelter est une variation infinie, jusqu’à l’épuisement, de la forme architecturale.
Tomorrow’s Shelter est un paysage intérieur conçu comme un monde sous cloche dans lequel nos corps peuvent se déplacer librement.
Tomorrow’s Shelter est une architecture dont le paradigme n’est pas de protéger nos corps des éléments mais, au contraire, de protéger l’environnement (la nature, le vivant, le non-vivant) de nous-mêmes. C’est une architecture de confinement qui extrait l’homme du monde pour l’empêcher de nuire ; qui propose une nouvelle forme de symbiose.
Tomorrow’s Shelter, ni utopie ni dystopie, est l’allégorie d’une dérive sans fin, une architecture pour nos corps en perpétuel mouvement, dans une quête inatteignable d’équilibre ». (1)
Vaste programme !
A lire ou entendre ces propositions, un projet de la seconde avant-garde vient à l’esprit, Il Monumento Continuo (1969) de Superstudio. Le groupe d’architectes italiens parlait d’« un modèle architectural pour une urbanisation totale ». Ils voyaient dans cette grille orthogonale blanche la fin de l’architecture par un urbanisme absolu, un ultime aboutissement de la raison humaine « où toute l’architecture serait produite par un seul acte, par un seul “dessin“ ».
Il Monumento Continuo est un monolithe moderne dans son écriture, architecturale ou non. Avec sa grille orthogonale, sa monumentalité, son mépris de la nature, son aspect muraille et sa ligne droite infinie, le projet manifeste de Superstudio anticipe dès la fin des années 1960 l’uniformisation mondiale des villes. Mais la catastrophe climatique n’a pas encore eu lieu… Chez Faustino, elle est effective, et ce n’est pas la seule, une pandémie virale étant passée par là.
La modernité a fait son temps, tous les espoirs de progrès ont fini dans des camps de la mort ou des villes nouvelles carcérales, comme nous pouvons le constater avec les ouvrages de Lukasz Wojciechowski. La postmodernité n’a finalement rien offert comme alternative pour le vivre ensemble, si ce n’est, dans certains cas, un certain humour visuel aux couleurs criardes.
Dans son archi-manifeste, Faustino explore un scénario bien particulier. La planète a subi la montée des eaux et un groupe d’humain a décidé de construire des espèces de terriers en forme de labyrinthe. Quelques 162 infrastructures existent, ici ou là. Une saloperie de virus a compliqué les choses. Résultat, chaque entité vit en vase clos, sans lumière naturelle, sans possibilité de sortir, hormis par les fondations qui flottent sur les eaux et permettent de nager pour se nourrir. Impossible cependant d’aller à la surface respirer l’air irrémédiablement infecté.
Seul bénéfice de cette situation, la faune et la flore ne sont pas touchées par le virus. La Terre revit. Les hommes résisteront-ils à l’appel de l’inconnu ? Combien de temps pourront-ils résister à la tentation de coloniser à nouveau ? L’expansionnisme n’est-il pas dans la nature humaine ?
Un architecte polonais le suggère dans ses deux dernières publications.
Quand AutoCad dessine les méfaits du pouvoir sur les architectes
Lukasz Wojciechowski est un architecte installé dans la ville de Wroclaw, en Pologne. Il est cofondateur du cabinet VROA Architekci et aime raconter des histoires sous forme de bande dessinée avec le logiciel AutoCad.
Dans son premier ouvrage – Ville nouvelle (2) – traduit en 2020 chez l’éditeur çà et là, nous suivons l’évolution d’une agence, notamment au travers des personnages du patron, sa secrétaire, ses collaborateurs et un oiseau. De 1958 à 1977, en passant par 1964 et 1967, l’évolution de l’architecture de l’après-guerre est passée en revue.
Axonométries, plans et un savant mélange des deux alternent avec des dialogues savoureux sur l’état du monde et les choix architecturaux de l’agence. La critique de la déshumanisation des villes au profit des machines y tient une place bien particulière. La vie d’agence y est remarquablement campée. Le trait du dessin engendre des formes originales quant à la représentation des humains. Ces figures humaines rappellent celles qui ornent les fresques égyptiennes.
En 2021, le second ouvrage de Wojciechowski – Soleil mécanique (3) – s’attaque à une raclure d’architecte qui aura vendu sa liberté de conscience aux nazis pour réaliser ses rêves d’architecte démiurge. Située en Tchécoslovaquie, cette fiction historique des années 1930-40 raconte la transformation de l’architecte bourgeois Bohumil Balda en bras armé du parti nazi local.
D’abord acquis aux poncifs modernes issus du Bauhaus, il vire facilement dans le délire nazi, style Speer et rassemblement de Nuremberg de 1933. Dans un trait noir, ponctué de touches rouges, l’auteur distille des cases où se succèdent dialogues entre les différents protagonistes de l’histoire et réflexions de Balda sur l’acte de créer.
L’auteur démontre comment le métier d’architecte est si dangereux lorsqu’il tutoie une dictature au pouvoir. L’auteur montre comment il est facile de basculer dans l’horreur par simples petits arrangements avec son éthique. Une belle réflexion sur le métier.
Comment faire la part des choses fasse aux autorités ? Même si dans cet ouvrage, le trait est forcé car le nazisme reste une exception dans l’histoire, les dérives fascistes sont légion et l’approche des élections régionales et celle de l’élection présidentielle n’inspirent rien de bon. Et quand on voit le nombre d’architectes qui n’hésitent pas à construire pour des pouvoirs autoritaires, pour ne pas dire plus (Chine, Arabie saoudite, etc.), et sans en être plus ou moins forcés comme notre héros de bande dessinée, il y a de quoi se poser des questions.
Comme le disait Paul Valéry : « L’avenir du passé est en jeu ».
Une solution : construire vite des terriers refuges à la manière de Faustino.
Christophe Le Gac
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*Du 03 juillet au 30 novembre 2021, exposition Archi-Manifeste de Didier Fiúza Faustino, au Château de Montsoreau – Musée d’art contemporain https://www.chateau-montsoreau.com/wordpress/fr/
(1) Didier Fiúza Faustino, Thomorrow’s Shelters, 2020, éditions Bessard, Paris
https://editionsbessard.com/non-classe/arch_manifest-coming-soon-editions-bessard-lance-une-collection-de-livres-d-architecture-with-the-artistic-dirction-of-didier-fiuza-faustino /
(2) Lukasz Wojciechowski, Ville nouvelle, 2020, éditions çà et là, Bussy-Saint-Georges https://www.caetla.fr/Ville-Nouvelle
(3) Lukasz Wojciechowski, Soleil mécanique, 2021, éditions çà et là, Bussy-Saint-Georges https://www.caetla.fr/Soleil-Mecanique