Le Tour de France cycliste signifie que les télés nationales consacrent d’interminables vues d’hélicoptère sur les vieilles pierres, vieux châteaux et vieilles églises au travers de paysages bucoliques. Foin de nostalgie, le Tour de France de l’architecture contemporaine 2020 de Chroniques nous emmène cette semaine, étape par étape, de Châtelaillon-plage (au niveau de la mer donc) jusqu’aux sommets des Alpes. Pour donner du courage et des superpouvoirs aux suiveurs, quelques cachets de spiruline et c’est parti. (Pour ceux qui ont raté le début*)
11ème étape (9 septembre) : Châtelaillon-Plage > Poitiers – 167 km
Une étape à travers la Charente-Maritime et la Vienne sans difficulté aucune, Poitiers est à 112 m au-dessus du niveau de la mer. Dès le km 0, des échappées devraient tenter leur chance mais les équipes de sprinteurs auront à cœur de contrôler la course, l’étape sera donc avalée tambour battant et les suiveurs amoureux de l’architecture contemporaine seront de bonne heure à Poitiers.
Arrivés là, face à l’hôtel de ville, ils ne pourront pas manquer la restructuration de l’ancien grand magasin Printemps en résidence de haut standing, livrée en décembre 2015 par Ateliers Lion associés. Le programme mixte comptait deux moyennes surfaces commerciales, vingt-et-un logements en accession de 70 à 200 m² et deux niveaux de parkings et caves en remplacement des réserves. Si la structure d’origine a été conservée, de nouvelles façades ouvrent largement l’ouvrage sur l’environnement urbain. Là il sera possible de se rafraîchir et se sustenter.
Ensuite, pour passer une bonne soirée, se rendre au Confort Moderne, lieu emblématique et incontournable de la scène contemporaine, friche artistique pionnière, dont la nouvelle architecture a été confiée à l’architecte Nicole Concordet. La qualité de sa programmation, exigeante et généreuse a forgé sa renommée nationale et internationale.
Tout en préservant les éléments emblématiques qui en constituent le patrimoine et l’identité, l’architecte a su proposer une structure brute et non finie, permettant de répondre à la modularité et à la souplesse d’usage recherchées, et d’offrir un outil performant répondant aux besoins des artistes. En raison des incertitudes liées au Covid, découvrir sur place la programmation.
12ème étape (10 septembre) : Chauvigny > Sarran – 218 km
L’étape la plus longue de l’édition 2020 mène le peloton vers Sarran (Corrèze) à travers un parcours bosselé. Une seule difficulté, de catégorie 2 seulement – le col du Suc au May, 908 m – pour préparer les organismes à la bagarre du lendemain. Puisque les sprinteurs ont sans doute contrôlé la course la veille et qu’il est difficile pour leurs équipes de mener le train deux jours de suite, c’est l’étape rêvée pour les baroudeurs, le peloton devrait donc arriver tranquillement, dans les délais certes, mais tranquillement.
Idem pour les suiveurs qui n’ont pas besoin d’arriver trop tôt, Sarran, 260 habitants étant la plus petite ville étape du Tour de France 2020. Mais pourquoi diable s’arrêter là ? Pour le musée Jacques Chirac signé de l’architecte Jean-Michel Wilmotte pardi !
Avis aux suiveurs, alors que les présidents américains construisent des ‘Présidential libraries’ où sont exposés une partie des archives et tous les cadeaux reçus durant leur mandat, les ex-présidents français préfèrent donner leur nom à des musées ou à des impasses. Seul Jacques Chirac, qui vécut un temps aux Etats-Unis, a construit un musée dans l’esprit de la ‘library’ présidentielle américaine. Et comme il vécut également en Corrèze, c’est donc à… Sarran qu’il le fit élever.
L’ouvrage abrite donc « la collection des objets offerts à Jacques Chirac dans l’exercice de ses fonctions de président de la République française ». Jacques Chirac l’a inauguré lui-même en décembre 2000. Il n’a pas fait un tel musée pendant son mandat de maire de Paris. On y aurait pourtant bien mangé mais bon…
Bref, à Sarran, voilà un bâtiment aussi contemporain que possible.
13ème étape (11 septembre) : Châtel-Guyon > Puy-Mary – 191 km
Une étape dans le Puy-de-Dôme en montagnes russes – moyenne la montagne mais russe en veux-tu en voilà : 4 400 m de dénivelé pour 191 km de parcours ! S’enchaîneront en guise d’amuse-gueules le col de Ceyssat, le col de Guéry, la montée de la Stèle, la côte de l’Estiade, la côte d’Anglards-de-Salers. Puis un premier (très) gros morceau – le col de Néronne (3,8 km à… 9,1 %) – qui précède de 5 km la montée finale du Pas de Peyrol, un plat quelque peu indigeste de 5,4 km à 8,1 % de moyenne, les 2,5 ultimes kilomètres à près de 12 % avec un passage à 15 %.
Pour éviter le mal de cœur, les suiveurs partiront avant le peloton pour faire une pause à Clermont-Ferrant. Clermont-Ferrand, c’est Michelin et Michelin, c’est Clermont-Ferrand, ils iront donc découvrir par eux-mêmes le réaménagement de la place des Carmes et la transformation du siège social du groupe Michelin, deux opérations confiées aux entités Construire, Encore Heureux et BASE, avec pour architecte mandataire Loïc Julienne. La livraison était prévue pour 2020. A cause du Covid, tout n’est peut-être pas encore exactement terminé mais l’essentiel est fait.
Mais à Clermont, il n’y a pas que l’industrie. En témoigne le nouveau Centre de Recherche Bio-Clinique (CRBC), une opération de restructuration-extension pour l’université Clermont-Auvergne conçue au sein du CHU par Périphériques (Anne-Françoise Jumeau + Emmanuelle Marin + David Trottin) livrée en juin 2017.
Les façades – parties pleines et parties vitrées – sont constituées à partir d’éléments modulaires déclinés en taille et en coloris, tandis que sont combinés différents éléments de terre cuite émaillée noir irisé et que les menuiseries en aluminium anodisé offrent diverses nuances dorées. « Cette conception modulaire et systématique des façades renvoie à des notions de séquençage et de variation qui ne sont pas étrangères aux activités des chercheurs en génétique », explique Périphérique. A voir.
Puis prendre une aspirine à la pharmacie de l’équipement et se lancer à la poursuite des coureurs dans le grand 8 !
14e étape (12 septembre) : Clermont-Ferrand > Lyon – 197 km
L’intérêt de cette étape, à part le col du Béal (1 390 m) en lever de rideau, réside dans la toute dernière partie de course avec un final lyonnais composé de la côte de la Duchère, de la montée de l’Observance et enfin de la côte de la Croix-Rousse. Une étape ouverte aux opportunistes, aucun favori ne voulant montrer son jeu avant la cavalcade prévue le lendemain dans le Jura.
Ce final au cœur de la vieille ville de Lyon aura les commentateurs en pleurs devant la puissance du patrimoine. Pour les suiveurs qui connaissent déjà la Croix-Rousse, ou que le patrimoine lénifiant jour après jour finit par saouler, ce sera l’occasion d’aller visiter Confluence, le Lyon du futur et de se faire leur propre opinion. Située à l’extrémité sud de la presqu’île de Lyon, proche de la confluence du Rhône et de la Saône, cette ancienne friche est en transformation depuis 1990.
Les architectes et urbanistes connus sont légion. Pour le logement, compter notamment Lipsky+Rollet architectes, Manuelle Gautrand, Massimiliano Fuksas, MVRDV-Winy Maas, et pour les bureaux, entre autres, Jean-Michel Wilmotte, Jakob-Mac Farlane, Rudy Ricciotti, Odile Decq. L’agence Z Architecture réhabilite la Sucrière ainsi que la capitainerie du Port-Rambaud.
Le siège du Conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes a été réalisé par Christian de Portzamparc. Le musée, dit Musée des Confluences, l’a été par Coop Himmelb(l)au.
De quoi s’extasier ? Pas sûr. A s’y promener, c’est quand même beaucoup de gesticulations et la preuve définitive – n’en déplaise à Rem Koolhass – que Méga-lot rime seulement avec mégalomane.
Pour retrouver échelle humaine, aller se désaltérer place de la République, réaménagée par Alain Sarfati. Rien de grandiloquent mais un nouvel espace plébiscité par les Lyonnais. Quand on est à Rome…
15ème étape (13 septembre) : Lyon > Grand Colombier – 175 km
Le Grand Colombier, un sommet du massif du Jura, dans l’Ain, culminant à 1 534 mètres, est le but de cette quinzième étape. Avant de s’attaquer à ce géant et ses 17 km à 7,1% pour une victoire de prestige, le peloton se sera déjà cogné la Montée de la Selle de Fromentel (1 174 m – 11,1 km à 8,1%) et le Col de la Biche (1 325 m – 6,9 km à 8,9%). L’étape est donc promise à un costaud.
Pour ce retour en montagne, même problématique que lors du dernier passage dans les Alpes en début de tour : sous prétexte d’insertion paysagère, impossible de construire contemporain dans les villages.
A Léaz, dans l’Ain, au détour de la route, le suiveur sera cependant surpris de découvrir le fort l’Écluse réhabilité par Atelier PNG.
Construit au XVIIe siècle aux confins du pays de Gex et à flanc de colline pour mieux voir arriver l’adversaire, le fort montre aujourd’hui un paysage d’exception : les rives du Rhône, les massifs de l’Ain et ceux de Haute-Savoie. Sa revalorisation par Atelier PNG raconte l’histoire militaire du lieu, de son architecture et de ses matériaux, de sa position singulière ancrée dans le massif.
Après cela, le suiveur sevré de vache à cloches pourra toujours faire un détour jusqu’à Saint-Martin-le-Vinoux, près de Grenoble. Oui, cela fait un gros détour mais les suiveurs auront le temps de retrouver l’arrivée bien avant les coureurs qui crapahutent dans la pente à vélo !
Mais bon, comme il n’y a pas trop de temps quand même, s’en tenir aux deux réalisations, l’une à côté de l’autre, de l’agence Séméio architecture (Ivan Le Garrec, Carine Deschamps, Paul Jubert, Silvère Weiss et Andreina Risi).
L’agence Séméio a d’abord livré en 2018 un programme mixte situé dans le futur « cœur de ville », composé de 48 logements en accession, d’une zone de bureaux à rez-de-chaussée destinée à une collectivité publique, d’une surface commerciale et d’une zone de stationnement en infrastructure.
Avant de récidiver en février 2020 en livrant, pour le même promoteur, une résidence étudiante de 4 563 m².
« Ces nouvelles constructions font partie d’un vaste programme de requalification lancé par la ville, qui souhaitait redynamiser son territoire et créer une centralité jusqu’à présent absente. La morphologie de la ville de Saint-Martin-Le-Vinoux, qui se trouve dans un territoire long et étroit surplombé par la silhouette imposante du massif du Néron, ne favorise pas en effet la création d’une centralité bien définie », soulignent les architectes.
La centralité, pour le centre-ville de cette commune de 5 700 habitants, Séméio s’y emploie. Le temps d’un en-cas et le suiveur doit reprendre la route.
16ème étape (15 septembre) : La Tour-du-Pin > Villard-de-Lans – 164 km
Le jour de congé de la veille sera vite oublié puisque le massif de la Chartreuse et le col de Porte, tôt dans l’étape, vont éparpiller le peloton façon puzzle, les rescapés de ce tour difficile devant encore escalader le Vercors et la côte finale à Villard-de-Lans. Le tour ne sera pas gagné aujourd’hui mais ils seront quelques-uns à l’avoir perdu.
Pour les suiveurs, démarrer cette traversée de l’Isère en faisant un coucou à la famille à Bourgoin-Jallieu puis, puisque à mi-chemin le tracé du Tour passe à Meylan, pour ceux qui n’ont pas eu le temps l’an passé lors de la 19ème étape du Tour 2019, autant carrément aller faire une pause à Grenoble. Là pour le coup – passage obligé – c’est l’occasion de découvrir les premiers bâtiments de l’agence Hérault – Arnod (Isabel Hérault – Yves Arnod) qui, avant d’installer l’agence à Paris, ont pavé Grenoble de bonnes réalisations.
Commencer par l’Immeuble mixte, c’est son nom, livré en 2004 à l’angle des rues Jean Veyrat et Irvoy dans des conditions économiques très strictes. L’ouvrage réunit deux maîtres d’ouvrage et quatre entités fonctionnelles indépendantes : des locaux d’activité et commerces, un parking public en étage, des logements sociaux et une copropriété. Un parti pris politique qui exprimait la nécessaire mixité sociale et fonctionnelle de la ville « en fondant son identité sur l’assemblage des différences ». Aujourd’hui, pas un projet ne peut se faire sans mixité. Vous avez dit pionniers ?
Poursuivre avec l’Immeuble à vélos (6 et 6bis Avenue Marie Reynoard). Tout est dit dans le nom car il est dimensionné pour que chacun puisse accéder chez lui à vélo, y compris via l’ascenseur, un parti pris qui ne sera pas sans étonner les suiveurs amoureux du Tour. En 2004, date du concours, faire le pari d’un immeuble à vélos était gonflé. Vous avez dit pionniers ?
Et si l’hôtel des suiveurs n’est pas trop loin, revenir le soir et assister à un concert à La Belle électrique (12 Espl. Andry Farcy), une salle de musiques amplifiées et électroniques de 950 places conçue par la même agence. Voir sur place pour la programmation.
Enfin, puisqu’il faudra bien repartir et que les suiveurs aiment le sport, ils pourront, juste après le péage en sortant de Grenoble, préparer leur saison d’hiver au ski en découvrant le siège mondial de Rossignol. En 2007, déjà, Hérault-Arnod imaginait un toit en bois comme un paysage de montagne. Vous avez dit pionniers ?
Enfin, étape incontournable pour les suiveurs, la séquence nostalgie avec la visite à Albertville du stade municipal. Livré en 1991 par Ligne 7 (Bernard Ritaly et Dominique Lardeau), ce stade correspond à l’anneau de vitesse des jeux olympiques d’Alberville en 1992. C’est aujourd’hui un stade omnisports mais, pour les suiveurs du Tour, un petit parfum de J.O. (2024). Jeter un coup d’œil à l’ex-village olympique avant de partir.
Pour les coureurs, qui savent que la prochaine étape sera encore plus dure, les Champs-Elysées vont ce soir paraître décidément bien loin.
Christophe Leray (dans la caravane)
La suite du Tour dès la semaine prochaine.
*Pour les suiveurs, retrouver :
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France 2018