Il a suffi de la découverte d’une structure d’un yacht en construction de 65 m de long sur un chantier naval grec d’apparence décati pour révéler une passion enfouie. Chronique de l’architecte Jean-Pierre Heim.
La mer, les océans m’ont toujours fasciné mais je préfère les eaux calmes des fleuves, des lacs et des mers côtières. J’ai imaginé les merveilleux voyages de l’explorateur David Livingstone au pied des magnifiques chutes d’eau de Victoria falls du fleuve Zambèze et rêvé de l’Amazonie et du fleuve Amazone avec l’explorateur français Charles Marie de la Condamine, encyclopédiste du XVIIIe siècle qui fut le premier a en établir une carte géographique, laquelle ouvrit la voie aux explorations futures.
J’ai remonté et descendu le Nil avec le courant et le vent, la lenteur du voyage faisant irrémédiablement penser au roman Mort sur le Nil d’Agatha Christie, un voyage féerique sur le célèbre Steam Ship Sudan, bateau construit pour la famille Royale d’Egypte en 1885. Sur le Nil, d’imaginer encore le fabuleux voyage de l’obélisque de la Concorde orchestré par l’ingénieur maritime Apollinaire Lebas. Ou s’aventurer pour une descente du Mékong sur les traces de Pierre Loti et d’André Malraux.
Parmi d’autres histoires et découvertes, les magnifiques ‘house-boats’ en bois sculpté du Cachemire sur le lac de Srinagar ou ceux de Sausalito, dans la baie de San Francisco, véritables expressions architecturales. Au moins autant que ces radeaux en bambous que l’on retrouve sur le lac Titicaca et sur les bords du Tigre en Mésopotamie.
J’ai réalisé mon premier design de bateau en Grèce.
Elefsina Lady Katerina
En 1991, dans un chantier naval archaïque d’Elefsina au nord d Athènes, je découvre un grand yacht de 180 pieds de long (environ 65 m) en pièces détachées. La carlingue ressemble au squelette d’un immense animal marin. Des centaines de plaques d’acier burinée et oxydées par la pluie se dressent sur un échafaudage en bois et métal rouillé que j’escalade pour arriver sur le pont arrière.
Avec la confiance de mon client, il me fallut tenir ma promesse et designer ce bateau, mon premier yacht.
Nous avons créé une nouvelle identité et dessiné un logo que nous avons décliné dans le choix des matériaux et des couleurs ainsi que pour la conception du mobilier.
Cabines, hall, restaurant, poste de pilotage, pont et salles de réception, des galets de cuisines aux chambres de l’équipage, Elefsina fut un chantier chaotique très organisé où, pour la réalisation parfaite des détails, la précision le disputait à l’habileté des électriciens, ingénieurs, mécaniciens, plombiers, menuisiers, ensembliers et peintres grecs. Une désorganisation qui n’était finalement qu’apparente parce que tous ces corps d’état étaient à proximité avec des artisans au grand savoir-faire.
Les délais et les coûts, qui à la vue de ce chantier a priori désorganisé inquiétaient mon client, furent respectés même si les derniers aménagements furent terminés par une équipe de menuisiers durant la croisière transatlantique pour la livraison du bateau aux îles Bahamas, une traversée digne d’une aventure de l’Iliade et l’Odyssée !
Puis j’ai dessiné le plus grand Yacht-Club d´Asie à Shanghai !
Le Yacht-Club de Shanghai
Si ma passion pour les fleuves ne s’est jamais démentie mes activités d’architectes me tenaient loin des chantiers navals. Jusqu’à ma rencontre avec un homme d’affaires chinois d´Australie qui voulait créer le premier Yacht-Club d’Asie.
L’aventure commence à Shanghai en 2011. Ce client très ambitieux a pris possession d’un ancien club situé sur les rives du Yang Pu, à Pudong, un bâtiment longitudinal aux pieds des trois tours mythique de Shanghai : la Jin Mao tower, la Shanghai tower qui avec ses 128 étages est le plus haut gratte-ciel d’Asie (632 m) et la Shanghai World Financial tower. Il prend contact avec moi et m’invite à le rencontrer. Le projet me passionne : dessiner le Yacht-Club de Shanghai ! Le client est convaincu… de me revoir.
De retour au bureau, je dessine des esquisses puis des plans. je mets à contribution mes meilleurs dessinateurs de 3D. Les dessins sont organiques et dédiés à l’Univers de la mer. Le projet n’est pas encore une commande.
Je téléphone à mon client pour discuter avec lui de ma vision de son programme. Trois semaines plus tard, je fais livrer dans ses bureaux trois dessins/perspectives réalistes de mon projet !
Dans son énorme bureau, les trois panneaux de 110 X 160 cm s’imposent comme un triptyque encore enveloppé d’une étoffe blanche ! Le client n’est accompagné que d’un traducteur et de sa secrétaire. Je dévoile les dessins un par un, de façon un peu théâtrale et j’ai su bientôt à son regard que le projet était vendu. Aucune explication n’est plus nécessaire, le client prend son téléphone et quelques instants plus tard, il a réuni son staff d’une dizaine de personnes qui l’écoute presque au garde-à-vous. Il leur dit d’annuler le concours et de préparer mon contrat.
Un Yacht-Club aux allures modernes de grand navire et à tendances maritimes se dessine peu à peu. Un aquarium géant – le plus grand aquarium de Shanghai – dans un hall aux formes assouplies et organiques, avec la touche inévitable du Maître Feng shui de mon client (qui m’a obligé à utiliser à tort un marbre bleu pour une allée centrale).
Le pont à l’étage supérieur du yacht-Club, conçu tel celui d’un transatlantique, surplombe le Yang Pu. Les salles de conférences et les espaces d’événementiel seront réalisés avec le plus grand soin ainsi qu’au dernier étage une salle de conférences circulaire décapotable pour apercevoir les gratte-ciel de Pudong.
Je proposerai plus tard avec un ami un jumelage avec le plus prestigieux Yacht-Club au monde, celui de Monaco ! Le client et moi faisons un premier voyage dans la Principauté, organisé par le président du Monaco Yacht-Club. Plusieurs mois d’élaboration de ce jumelage plus tard, en 2013, la cérémonie de signature sera présidée par le Prince Albert en présence de Miss China venue à Monaco pour l’occasion.
La réalisation du Yacht-Club de Shanghai ne fait qu’affirmer si besoin ma passion de la mer et du milieu de la navigation.
C’est ainsi que j’apprends que Beijing, la capitale, entend à son tour se doter d’un Yacht Club.
Le Yacht-Club de Beijing
J’obtiens les coordonnées du promoteur et je fais un voyage prospectif à Beijing. Un ex-général de l’armée me reçoit dans un immeuble situé à l’ouest de la tentaculaire capitale chinoise. Dans son bureau, des armoiries de dragons, des ancres marines sculptées dans un bois de rose typiquement chinois, des évocations de Feng Shui.
Il me montre fièrement une esquisse d’architecte d’un bâtiment moderne situé sur le lac sacré au pied de la plus haute tour le Pékin, la Central Radio &TV Tower, haute de 405 m.
Son ‘brief’, ou son programme, consiste en un bâtiment de type house-boat ancré à la rive et accueillant une vingtaine de bateaux de 15 m de long à propulsion électrique qui seraient destinés à la promenade avec salle à manger ou karaoké, une vieille tradition le long de la Rivière sacrée menant au Palais d’été, m’explique-t-il. Je lui propose de réaliser son rêve et, quatre semaines plus tard, je reviens avec un projet de ‘House boat’ qui évoque une fleur de Cristal aux volutes de verre délicatement posée sur la rivière sacrée ; en hiver le lac est gelé et la sculpture de la façade en forme de voiles se reflète sur la glace.
Une amitié s’est développée entre le Général et moi au fil de ce projet. Le COVID et le changement de doctrine du gouvernement quant aux projets de luxe, en auront raison cependant.
Le projet est en suspens, comme de nombreux autres. Le général a fait plusieurs voyages en France et en Italie, il a évidemment visité le Monaco Yacht-Club.
(À suivre)
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art”
Toutes les chroniques de Jean-Pierre Heim