La culture peut-elle être un point d’ancrage pour la réhabilitation d’une friche portuaire ? C’était l’idée de la médiathèque André Malraux, signée par Ibos & Vitart et livrée à Strasbourg en 2008. Huit ans plus tard, qu’est devenu le quartier ? Réponses avec Alain Jund, adjoint au maire à l’urbanisme, et les architectes Jean-Marc Ibos et Myrto Vitart.
La médiathèque André Malraux a été inaugurée en septembre 2008 sur la presqu’île du même nom. Après la cité de la musique et de la danse signée Henri Gaudin en 2006, le bâtiment dessiné par l’agence parisienne Ibos & Vitart était la figure de proue culturelle et le premier échelon d’une vaste réhabilitation d’une friche portuaire en ‘écoquartier’.
Les entrepôts céréaliers de l’entreprise Seegmuller, construits sur le môle dans les années 30 par l’architecte Gustave Umbdenstock, avaient été abandonnés au début des années 2000. L’ancien silo, qui marque aujourd’hui l’entrée de la médiathèque, a été évidé en partie centrale, puis aménagé sur six niveaux en périphérie, tandis que les halles de stockages ont été entièrement dépouillées de la brique. Les imperfections du béton d’origine ont été conservées, tous les nouveaux coffrages ont été faits à la planche. «Pour répondre au programme qui était de presque doubler la surface du bâtiment, nous avons étiré la halle en répétant sa trame constructive. Il s’agissait de prolonger la logique du bâtiment en suivant le cours de l’eau», se souvient Myrto Vitart. Le long des darses de la presqu’île, l’extension se fond dans le bâtiment d’origine,
Grâce aux passerelles conçues simultanément, ce territoire auparavant déserté est devenu beaucoup plus perméable. Les promeneurs ont remplacé les dockers et la transparence de l’ouvrage était l’un des enjeux du projet. Si le stockage des céréales interdisait la lumière, la consultation des livres, elle, la réclame. Les 80 % de façade en double orientation connectent en permanence le bâtiment à la ville. «La transparence de la médiathèque, comme une continuité naturelle des quais, dévoile les activités en libre accès, le café ou les expositions, et a permis à la médiathèque de devenir également un lieu de rencontres et de sociabilité», note Jean-Marc Ibos.
«La presqu’île Malraux était un lieu désaffecté, dont les seuls points de vie étaient l’Hôtel du département et le cinéma. Certains entrepôts étaient squattés. Pourtant, le quartier était bien connu des Strasbourgeois car c’est un lieu constitutif de la mémoire de la ville», se souvient l’architecte. Le «Metzgertorhafen», «le port de la Porte-des-Bouchers», fut le premier port rhénan de Strasbourg, aménagé hors des murs de la ville en 1892. «Les Strasbourgeois ont redécouvert un territoire qui n’était pas mort. La médiathèque a été le premier élément de la redécouverte progressive de l’ancien port et de sa réappropriation», constate Alain Jund. «Ce n’est pas parce qu’on change la fonction des lieux qu’on en change le sentiment d’appartenance», rappelle-t-il.
Si depuis 2003, c’est la municipalité UMP de l’époque, menée par Fabienne Keller et Robert Grossmann, qui avait piloté le projet de la médiathèque, l’équipement culturel fut inauguré en 2008 par une nouvelle équipe municipale, avec à sa tête Roland Ries (PS). Lequel amarra le vaste projet de réhabilitation de l’ancien port autonome de Strasbourg à celui de la médiathèque.
«Historiquement, Strasbourg s’est développé dos au Rhin, et par conséquent, dos à son voisin allemand. Le changement a commencé il y a 30 ans, et s’accentue depuis 2008. Strasbourg se développe désormais vers le Rhin et vers l’Allemagne. Il s’agit de réunir les deux rives du fleuve», rappelle Alain Jund.
«La force de la médiathèque est qu’elle constitue un premier geste d’ouverture d’un quartier charnière entre le centre-ville et des zones plus défavorisées comme la Menau», souligne Jean-Marc Ibos, L’architecte explique que «l’ancien maire avait pris les choses par le bon bout en choisissant de faire de la culture un des éléments structurant du territoire, bien avant de construire des logements. C’est malin ! En effet, la culture amène la vie dans un territoire dans lequel les gens ont ensuite envie de venir vivre. C’est ce qui explique a contrario l’échec de certains quartiers qui ont été pensés autour du logement mais dans lesquels aucune activité n’a su naître». Et Myrto Vitart de compléter : «la culture fonctionne très bien comme lieu d’ancrage d’une nouvelle urbanité dans des quartiers difficiles car, malgré l’omniprésence d’Internet, les gamins fréquentent toujours les bibliothèques, autant que les retraités».
«Les entrepôts sont devenus les chefs de file d’une réhabilitation réussie car ils font le lien avec le centre-ville de Strasbourg et le Rhin», confirme Alain Jund. «La ville a opéré un important travail sur les espaces publics et l’aménagement dans un esprit industriel et portuaire. Nous avons souhaité une évolution tout en conservant ce qui avait été. Le gros de l’interrogation a été de trouver comment amener de la mutation, sans rompre avec le passé de la ville mais en envisageant sereinement la ville de demain», dit-il.
Autour de la médiathèque, plusieurs opérations en cours, telles les Black Swans signées Anne Demians architecte, le siège de l’INET de l’Atelier Zundel et Cristea ou encore la tour Elithis à énergie positive d’X-Tu architectes, contribuent aujourd’hui à une nouvelle définition du quartier.
Léa Muller