
Le modèle économique des sites internet apporteurs d’affaires en architecture, axé sur les commissions et les frais supplémentaires, peut représenter un coût important pour de jeunes architectes et, surtout, une perte de contrôle sur leur activité. Retour d’expérience.
Les sites apporteurs d’affaires en architecture : entre promesses et déceptions
Cette semaine, je voulais aborder un sujet qui me tient à cœur : les sites internet d’apporteurs d’affaires en architecture. Un phénomène qui, comme dans de nombreux autres secteurs, a pris de l’ampleur ces dernières années. Si l’architecture a toujours été un secteur où les relations humaines et les réseaux jouent un rôle important, ces plateformes proposent de « simplifier » le tout en mettant en relation les architectes et les clients, moyennant des frais. Une promesse alléchante qui, dans la réalité, soulève de nombreuses questions. Entre services d’accompagnement « sur mesure » et frais cachés, je vais partager avec vous mon retour d’expérience et ceux de collègues.
Un marché de mise en relation en plein essor
De nos jours, l’architecture se transforme. On ne se contente plus de vendre des projets, on se vend soi-même, ou plutôt, son nom. L’influence d’Internet et des moteurs de recherche a donné naissance à une pléiade de sites, censés offrir un service pour « mettre en relation » les architectes avec de potentiels clients. Toutefois, pour quelques-uns d’entre eux, derrière cette promesse se cache un système économique souvent opaque et de nombreuses surprises pour les architectes et les clients qui s’y aventurent.
En écrivant « recherche architecte 91 » sur internet, vous ne verrez plus un architecte apparaître mais bien plusieurs sites comme Archidvisor, Houzz, Architoit ou BAM. Ces plateformes se veulent des « facilitateurs » et annoncent des services allant de la simple mise en relation à l’accompagnement tout au long du projet, d’autres encore proposent d’organiser des concours pour aider les clients à trouver LEUR architecte. Un service complet, prétendument. Qu’en est-il vraiment ? Quelles répercussions pour les architectes avec l’ajout de ces nouveaux acteurs ?
Les promesses : un accompagnement sur mesure ?
Au démarrage de notre agence Constellations, nous étions principalement sur le marché du particulier. Nous étions jeunes, fraîchement lancées, et cherchions des projets. L’idée de payer un apporteur d’affaires pour nous trouver des clients n’était pas une mauvaise idée en soi. Nous étions prêtes à investir dans ces nouvelles plateformes, à condition que cela nous permette de gagner du temps. Nous avons donc essayé plusieurs services : Archidvisor, BAM et Archibien.
Archibien propose une plateforme où les architectes peuvent répondre à des concours. Le système est transparent et, bien que les indemnités pour le travail effectué en amont soient modestes, n’est-ce pas le cas aussi dans tous les concours ? Nous avons apprécié la clarté des informations et la relation directe avec la plateforme. BAM, de son côté, organise des concours d’ampleur, parfois avec des architectes internationaux. Là encore, bien que la plateforme prenne des commissions, elle reste claire sur les modalités et offre un suivi à chaque étape. De notre côté, elles nous ont permis d’accéder à plusieurs projets de surélévations et de réhabilitations dans le Perche où nous travaillons.
Mais l’expérience avec Archidvisor a été une tout autre histoire.
Archidvisor : l’illusion de l’accompagnement sur mesure
Archidvisor se positionne comme un service d’accompagnement « sur mesure », censé offrir une relation personnalisée entre l’architecte et le client. Ils prétendent s’assurer que chaque projet soit bien suivi, avec un accompagnement qui va bien au-delà de la simple mise en relation. Cependant, une fois inscrite, j’ai vite constaté que ce service était loin de répondre à la promesse initiale.
L’accompagnement se résume à la mise en contact avec un particulier, sans aucune réelle vérification des attentes ni du sérieux du projet. L’architecte reçoit des demandes vagues, parfois irréalistes, sans aucun suivi pour garantir que le client et l’architecte soient bien en phase. Le manque d’accompagnement, de suivi et d’évaluation des besoins réels des clients crée une frustration considérable pour les professionnels qui, souvent, se retrouvent à perdre du temps sur des projets mal cadrés.
Les frais cachés : la face sombre de certaines plateformes d’apporteurs d’affaires
Ce qui a été pour nous un véritable problème dans cette expérience avec Archidvisor est le manque total de transparence sur les frais. La plateforme se vante d’être « sans frais » pour le particulier mais, en réalité, ce sont les architectes et les entreprises partenaires qui paient des commissions. Pourquoi pas, mais ces commissions ne sont pas clairement indiquées au client, qui se retrouve donc à payer indirectement cette mise en relation via des coûts globaux plus élevés. Ce système, bien qu’efficace pour générer des revenus pour la plateforme, pose problème en termes de transparence et d’éthique. Une fois, la plateforme nous a même réprimandées pour avoir dit aux clients que nous avions bien des frais.
Archidvisor prélève un pourcentage sur les honoraires de l’architecte, souvent à des moments peu opportuns. La plateforme demande effectivement dès le début de la mission le versement de l’intégralité de leur commission. Par exemple, vous devez reverser, dès la signature du contrat, 10 % de la mission complète avant même d’avoir touché un centime. Soi-disant, si la mission s’arrête, ils remboursent les frais de commission liés à des honoraires non perçus. Personnellement, nous n’en avons jamais vu la couleur.
Autre absurdité découverte : les honoraires devaient être payés par le client via la plateforme, puis reversés à l’architecte… Au-delà de gonfler le chiffre d’affaires de la plateforme virtuellement, ce système rend difficile la gestion de la facturation et met l’architecte dans une position délicate financièrement vis-à-vis de la plateforme. De plus, des pénalités sont appliquées à tout va, si des retards se produisent dans les paiements, si les architectes ne passent pas par des entreprises partenaires du site (sur qui ils prennent également une commission), etc.
Ce modèle économique, axé sur les commissions et les frais supplémentaires, peut représenter un coût important pour de jeunes architectes et, surtout, une perte de contrôle sur leur activité. À la fin de l’année, nous avons fait le bilan et nous nous sommes rendu compte que le temps et l’énergie dépensés à gérer ce système avaient largement excédé ce que nous avions réellement gagné. Il n’est plus question pour nous et pour de nombreux collègues de travailler avec eux.
Le manque de suivi et la frustration des architectes
Une autre grande déception réside dans le manque de suivi de la part d’Archidvisor. Bien que le site se présente comme un accompagnateur tout au long du projet, il n’y a aucun suivi, ni en amont, ni pendant, ni après la mise en relation. C’est bien aux architectes de relancer les projets et de faire avancer toutes les étapes. Les clients, eux, sont souvent laissés dans l’incertitude, sans réel soutien, surtout lorsque des problèmes surviennent.
Un ami architecte nous a dit que le problème majeur qu’il a rencontré est celui du suivi des dossiers. L’architecte se retrouve seul face à un client qui ne comprend pas forcément l’étendue du travail, ou pire, qui a des attentes irréalistes. Et lorsqu’il s’agit de négocier, de réajuster les budgets ou de faire face à des difficultés techniques, ce n’est jamais la plateforme qui intervient. C’est l’architecte, souvent seul et démuni face à des situations complexes. Nous partageons ce point de vue, vous le comprenez.
Est-ce vraiment ce que nous recherchons ?
Finalement, que retenir de cette expérience ? Si certains sites apporteurs d’affaires peuvent, dans certains cas, offrir des opportunités intéressantes, il est essentiel de rester vigilant sur les conditions et le modèle économique derrière ces plateformes. Les promesses d’accompagnement « sur mesure » et de « service sans frais » se révèlent souvent être des illusions. Les architectes, en particulier les jeunes agences, se retrouvent à payer cher pour un service qui ne tient pas ses promesses. L’absence de suivi, le manque de transparence sur les frais et la pression exercée sur les professionnels pour accepter des conditions souvent peu avantageuses peuvent rendre cette expérience frustrante, voire contre-productive.
En conclusion, ces sites apporteurs d’affaires ne sont pas forcément à rejeter mais il est crucial de bien comprendre le fonctionnement de ces plateformes avant de se lancer. Car si elles peuvent apporter une visibilité à court terme, elles ne remplaceront jamais la relation directe et la confiance qui se crée entre un architecte et son client. À la fin de la journée, le vrai travail d’un architecte n’est pas de faire des mises en relation mais de produire des projets de qualité, avec des clients qui partagent une véritable vision.
Alors, si vous trouvez des partenaires de confiance, foncez, mais sinon, n’oubliez pas la phrase de notre estimé confrère, très juste aussi dans notre cas : « L’architecture est un sport de combat, on vous en…… avec le sourire de la Joconde ».
Estelle Poisson
Architecte — Constellations Studio
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