En ce début d’année 2025 marqué par l’arrivée au pouvoir d’un Premier ministre issu et ancré dans un terroir profond, la question de l’aménagement du territoire semble pouvoir revenir un peu sur le devant de la scène. Dans ce cadre et celui du Zéro Artificialisation nette (ZAN), il semble intéressant de se pencher sur un travers bien français, pourtant dans l’angle mort de toutes les réflexions, la voirie…
Bien sûr, lorsqu’il s’agit de construire une autoroute, tout le monde en parle et chacun y va de sa posture plus ou moins idéologique sur le bien-fondé de construire ou non une nouvelle infrastructure pour les voitures et sur son impact écologique. La voirie en raquette de lotissement aussi à le droit à ces habituelles diatribes, surtout d’ailleurs pour justifier de ne plus construire de maisons individuelles plutôt que par réelle réflexion sur la voirie elle-même.
Entre ces deux extrêmes en revanche… un silence assourdissant sur tous les aménagements de voiries du quotidien, le réseau secondaire celui dont on ne sait pas qui décide de sa création.
En France, quelques traditions qui interrogent… à commencer par la voie de contournement. Pour faire « parisien » sûrement, il n’est presque plus une bourgade qui n’ait sa voie de contournement pour éviter que dix camions et cent voitures par jour ne viennent fouler les rues de la ville ainsi embastillée.
Évidemment, avec la voie de contournement vient en embuscade le célèbre rond-point, souvent support d’une œuvre d’artiste local.*
Une fois cela dit, et au-delà de toutes les dérives urbaines que ces dispositifs ont générées avec la fermeture des commerces de centre-ville qui fonctionnaient grâce au passage des véhicules, c’est l’impact écologique de tous ces kilomètres d’enrobés étalés sur des terres généralement agricoles qui interroge.
En effet, au-delà de l’évidente quantité d’enrobé donc de pétrole englouti, se pose évidemment la question de la quantité de m² imperméabilisés. Faisons un rapide calcul : pour une simple voirie de 6 m de large ce qui n’est déjà pas énorme, c’est l’équivalent de 600 maisons individuelles qui sont imperméabilisées par kilomètre de voiries. Si vous ajoutez à cela, les bas-côtés, le fait qu’aujourd’hui pour paraître plus écolo, on adjoint une bande cyclable quand ce n’est pas une piste indépendante, et vous avez vite fait de « cramer » l’équivalent de 1 000 maisons individuelles par kilomètre, la conversion en immeuble, ne serait-ce que R+2 pour éviter l’ascenseur, cela représente près de 4 000 logements du kilomètre de voirie.
Bien sûr, s’il s’agit d’une voirie qui va recueillir des milliers de véhicules par jour, cela peut se justifier, mais force est de constater en parcourant le territoire que nombre de ces voiries posent questions, ne serait-ce pour les lacérations du territoire qu’elles génèrent, les doublements de voiries existantes et historiques et, surtout, la complexité générée pour de simples raccordements.
Lorsque quelques centaines de véhicules passent par jour, quel besoin d’un rond-point ? Durant des siècles nous avons fait des croisements de voirie en simples intersections, quand le trafic monte un peu, une balise de priorité à droite ou un stop mais aujourd’hui pas une intersection sans ce sacro-saint rond-point avec les bretelles de raccordement quand c’est nécessaire. Afin sans doute de maximiser les délaissés et les surfaces imperméabilisées.
Au-delà de s’interroger sur les raisons des décideurs de ces nouvelles voiries, il est clair que l’absence de maîtrise d’œuvre sur ces ouvrages livrés à des seuls ingénieurs en génie civil rend ces aménagements totalement hors-sols et sans âme. Là où durant des siècles, les voiries étaient issues du génie humain se jouant de la topographie pour limiter les efforts de construction mais aussi l’énergie nécessaire pour franchir les dénivelées et obstacles sur le parcours, aujourd’hui, faisant fi de toute notion de paysage, seule compte la ligne droite.
Les surfaces de voiries étant intégrées dans les calculs de la loi ZAN, il va être intéressant de voir comment vont se comporter les communes ? Vont-elles avoir le droit de supprimer des voiries qui ont été construites sous gouvernance des départements mais sous-utilisées pour leur permettre de construire quelques logements manquants ? Que se passe-t-il si deux villes doivent construire une voirie entre elles et que l’une à « cramé » tout son crédit d’imperméabilisation ? la voirie s’arrête à mi-parcours ? la commune exproprie suffisamment de bâtiments pour contrebalancer la nouvelle voirie ?
Dans la mesure où la plupart des voiries dépendent des départements, que se passe-t-il si une commune ne souhaite pas imperméabiliser son territoire par une voirie imposée par le département ?
Il est fort à parier que ce n’est pas le territoire et son aménagement réfléchi et raisonné qui seront les grands gagnants de l’application de cette tambouille statistique aveugle.
Stéphane Védrenne
Architecte – Urbaniste
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