La future ambassade de France à Pékin telle que l’a conçue Alain Sarfati “articule en chaque lieu une tension plastique entre tradition et modernité, formes et matériaux”. Les intentions de l’architecte sont généreuses, le projet parfaitement abouti, parce qu’il tient son pays en haute estime. Trop ?
“Comment imaginer un cuisinier arrivant à Pékin voulant faire des coquilles St Jacques aux artichauts et ne trouvant ni coquille ni artichaut ?” L’architecte Alain Sarfati parlait de gastronomie, plus précisément des “plaisirs de l’invention” en gastronomie. “On va d’abord au marché“, dit-il. Mais l’interrogation revient à l’esprit, lancinante, lors qu’il s’agit de présenter le futur Aménagement du campus diplomatique à Pékin pour lequel il a remporté le concours en octobre 2004.
La première fois qu’Alain Sarfati est allé en Chine, en 1985, Deng Xiao Ping venait à peine d’entrouvrir son pays au reste du monde. Dans le cadre d’une mission officielle avec le ministère de l’Equipement, “nous allions dire aux Chinois toutes les bêtises que nous avions pu faire dans le domaine du logement et qu’il ne fallait surtout pas répéter“. Au terme de la mission, l’architecte éprouve un sentiment mitigé. “Les Chinois nous ont écoutés mais nous disent : ‘Nous, nous voulons faire des tours’. Ils voulaient faire Hong Kong et nous leur disions ‘mais on ne fait pas des tours en faisant n’importe quoi'”. Vingt ans plus tard, lors de sa première mission à Pékin dans le cadre du concours de l’ambassade, sa surprise est “à son comble“. Les tours sont là et elles serviront de contexte au projet d’ambassade, imposant leur échelle. Surtout il en retient, à l’aune de son premier voyage, que ce pays tient à exprimer sa position et sa culture dans le monde. “Bien ou pas bien n’est plus la question“, dit-il. “Le développement des villes chinoises n’est pas aussi chaotique que l’on dit. Ils font preuve au contraire d’une créativité impressionnante“. Alain Sarfati ne se pose pas en pourfendeur des “contresens de l’Occident sur l’Asie” ; lucide, il les note et fait évoluer sa pensée en conséquence. Les Chinois apprécieront sans doute ce respect trop rare pour être noté justement.
Pourquoi ce long préambule ? Après tout le maître d’ouvrage est français et une ambassade, bénéficiant du statut d’extraterritorialité, est un bout de France. Sauf que, en réfléchissant ainsi, l’architecte reconnaît aux habitants de Pékin un statut d’interlocuteur, aussi passif soit-il. Qu’est-ce qu’une ambassade ? Que veut-on montrer ? Avant de répondre à ces questions, Alain Sarfati savait au moins à qui “montrer” son projet.
“En tant qu’architecte, je me fais une représentation de la France“, dit-il. Une assertion qui vaut sans doute pour ses collaborateurs, Ovidiu et Cristina Milea. Et le fait est que leur représentation est flatteuse, trop peut-être. A l’image de l’affection qu’il(s) porte(nt) à ce pays ? Alain Sarfati s’est pourtant attaché à résister à ses instincts. “Je préférais dire Pascal mais je dis Descartes, je préférais Coco Chanel mais je dirais Dior“, offre-t-il en guise d’explication. Voilà la France d’Alain Sarfati : le siècle des Lumières, la logique, la clarté avec une dimension fantaisiste, le tout mâtiné, parce qu’il n’est pas dupe, du luxe qu’il faut bien vendre. En clair, un projet culturel.
Rien de tout cela ne lui était demandé. “Je suis fonctionnaliste ; je veux de la fonctionnalité. La fonction symbolique n’est pas mon problème, l’image de la France c’est l’efficacité“, lui dit, en substance, l’ambassadeur. Une image singulièrement écornée en Chine depuis l’effondrement du Terminal de Roissy. “L’ambassadeur avait peur du beau non efficace“, traduit librement l’architecte. Chocs thermiques, vents de sable, sécurité, etc.. Bien, “ça va marcher comme un moteur de Ferrari“, assure Alain Sarfati. Lequel, pour qui les moteurs n’ont pas de mystère, relève cependant qu’il faut une carrosserie, un châssis, des pneumatiques, un pilote pour que ce moteur ait un sens. “L’image de la France se fera au travers de cet ensemble, ce sera quelque chose d’efficace mais beau“, dit-il. Le terrain proposé n’offre rien à quoi s’attacher. “Une table rase“, s’amuse-t-il. Pas un arbre, pas une trace, pas une caractéristique ; les contraintes sont toutes extérieures au terrain.
“Répondre aux questions jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de dysfonctionnement n’a rien de glorieux“, dit-il. Mais la France telle qu’il la souhaite l’est sans doute. “L’ambassade de France à Pékin articule en chaque lieu une tension plastique entre tradition et modernité, formes et matériaux“, écrit-il. C’est vrai, de façon inouïe. De fait, à l’extérieur, c’est donc une image de la France portée vers l’avenir, résolument contemporaine, volontaire et ambitieuse qui apparaît. “Cette enveloppe d’aluminium doré voile la mesure de la construction, et permet d’affronter un contexte de tours“, écrit-il encore. La France réelle en est-elle capable ? Il est permis de se poser la question si l’on en juge par la teneur des débats qui se déroulent ici.
Fidèle à la philosophie qui sous-tend son oeuvre, l’intérieur est autre et l’inspiration enracinée dans l’histoire hexagonale puisqu’il ne s’agit de rien moins que d’un ‘palais royal’ décrit comme “un projet urbain formidablement pensé à l’intérieur“. De fait, les perspectives intérieures évoquent un cadre familier, parisien, qui malgré ses dimensions est immédiatement intime, rassurant. Des tableaux de Monet, Renoir, Vélasquez accentuent encore ce sentiment de ‘paysement’ dont lui sauront gré ces industriels ou diplomates français à la fin d’une journée, forcément ‘chaotique’, passée dans Pékin. Ce qu’Alain Sarfati appelle “un tracé inscrit dans la culture“.
Le jardin procède de la même approche et s’avère (aussi loin qu’il est permis de l’écrire à partir des rendus) d’emblée reposant. “L’orme symbole de liberté trouve naturellement sa place dans ses frondaisons alignées“, explique l’architecte. L’idéal de la République, ors y compris, est ici exalté avec une justesse et une sensibilité touchantes. A l’heure de la Vème république cacochyme, immobile et renfrognée, s’agit-il pourtant de la France réelle ? Ou, au contraire, l’adjectif ‘royal’ et le nom ‘palais’ renvoient-ils justement à une réalité qui dément une quelconque volonté, aussi affichée soit-elle, de la France de s’inscrire dans le XXIe siècle naissant ? Alain Sarfati s’en inquiète, d’où peut-être sa volonté de donner à son “jardin français” du “mouvement“, du “dynamisme” comme si l’un et l’autre ne s’imposaient pas comme une évidence lorsqu’il s’agit de la France, comme s’il revenait à l’architecte de les laisser entendre, voire de les impulser pour qu’ils soient. Curieux retournement de situation : loin de traduire en images une vocation concrète du pays, il revient au concepteur de laisser à penser qu’elle existe. Il faut les épaules, larges, d’Alain Sarfati pour en porter la charge.
Pour Alain Sarfati, cette ambassade est l’expression de “deux natures d’ordre“. Seuls les Chinois qui viendront chercher un visa auront l’occasion de franchir le palier qui les sépare, de découvrir, après n’avoir perçu de l’extérieur qu’une expression de grandeur et de puissance, la fantaisie et, s’il est permis de l’écrire ainsi, le terroir qui imprègnent les lieux. Ils en garderont sans doute le sentiment d’une “construction mystérieuse” propre à conforter les contresens de l’Asie sur l’Occident.
Pour qui voyage, il est souvent surprenant de découvrir la cuisine “française” réalisée par ces chefs étrangers et passionnément francophiles qui parviennent, sans ni coquille St Jacques ni artichaut, au travers de leurs créations à évoquer des saveurs qui sont, au palais de gourmets pourtant avertis, indiscutablement françaises. La France, au travers de cette ambassade, doit une fière chandelle à Alain Sarfati et ses collaborateurs roumains. Leur francophilie est généreuse et le pays en sort grandi. Et si l’image est trompeuse, ce n’est pas le fait de l’architecte et de ses “plaisirs de l’invention“.
Christophe Leray
Fiche technique
Programme : Aménagement du campus diplomatique à Pékin (CHINE)
Surface : 11.000 m² SHON
Maître d’ouvrage : République Française, Ministère des Affaires Etrangères
Concepteurs : Alain Sarfati – SAREA , Ovidiu Milea et Cristina Milea, architectes
BET : SECHAUD ET BOSSUYT
Economiste : Cabinet VOUTAY
Estimation des travaux : 21 M Euros
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 18 mai 2005