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Accueil > Chroniques > Psychanalyse de l'architecte > Psychanalyse de l'architecte - Saison 7 > Le syndrome de l'architecte D. > Le syndrome de l’architecte D. – Fondation

Le syndrome de l’architecte D. – Fondation

4 février 2025

Article d'Ethel Hazel 1/4 Fondation

Ethel Hazel, psychanalyste rue Labrouste à Paris, suit depuis cinq ans en thérapie l’architecte D. Elle a identifié chez ce tueur en série de blondes aux yeux bleus, comme elle, un syndrome inédit qu’elle entend être la première à décrire dans un article scientifique : Le syndrome de la belle au bois dormant de l’architecte D. (1/4)

***
«
Il faut des monuments aux cités de l’homme, autrement où serait la différence entre la ville et la fourmilière ? »
Victor Hugo
***

L’intention de cet article est de décrire précisément un nouveau syndrome identifié au travers de la personnalité de D. l’architecte, un méticuleux, audacieux – et, disons-le, élégant – tueur en série. Ce texte est issu de séances plus ou moins espacées au fil de plusieurs saisons de thérapie. La plupart des informations ci-dessous, écrites sous le sceau du secret professionnel, peuvent le cas échéant être corroborées par l’inspecteur Nutello (dit Dr. Nut), du service national des disparitions inquiétantes.

Préambule

J’ai rencontré D. l’architecte pour la première fois le 11 septembre 2018 quand il s’est présenté à mon cabinet après avoir pris rendez-vous quelques jours auparavant. Il m’a alors expliqué, sans surprise, faire un ‘burn-out’ professionnel. Rien d’original, d’autres de mes clients architectes étaient atteints du même mal. Ce patient avait pourtant pour originalité de ne pas se confondre en pleurnicheries habituelles et en fantasmes à jamais refoulés de l’homme nouveau déconstruit. À tel point qu’il me sembla d’une étonnante banalité, rien de pervers qui puisse nécessiter mon recours ne suintait de ses propos. Un homme passionné par son métier et qui a trouvé avec moi – je le comprendrai plus tard – une oreille pour écouter ses indignations que j’ai longtemps crues lénifiantes. Et pour cela il était prêt à payer ! Bref, il semblait ennuyeux au possible, installé dans une routine moelleuse et confortable.

Autant dire que la psychanalyse a démarré tranquillement. C’est justement autant de « normalité » non perverse qui a fini par éveiller ma curiosité. Pourquoi ce type, marié, deux enfants, une agence qui se porte bien, pas d’idées oiseuses ou poisseuses du type Banquet de Bacchus ou Eyes Wild Shot, avait-il ressenti le besoin de me voir ?

Je ne suis pas sûre encore aujourd’hui que mon physique – blonde aux yeux bleus comme la plupart de ses victimes – soit intervenu dans son choix. Il ne m’a jamais expliqué pourquoi il m’a choisie. Peu importe, j’ai appris au fil des ans à ne pas prendre pour argent comptant ce qu’il me raconte. En revanche, sans être ni un pervers ni un psychopathe, son syndrome si particulier l’a conduit à concevoir puis construire un mausolée dans lequel il conserve ses victimes, une dizaine peut-être, toutes mortes étouffées, « endormies » belles et nues jusqu’à la fin des temps, comme dans le conte, ou presque. Et c’est justement parce qu’il est architecte qu’il est affecté de ce syndrome !

Pourquoi cet article ?

Je n’ai pas abordé cette psychanalyse avec D. l’architecte sous l’angle du psychopathe tueur en série puisque je n’avais aucune idée que c’était le cas. Ce n’est qu’au fil de plusieurs saisons d’analyse que je suis peu à peu parvenue à déceler la véritable nature de mon patient et à décrypter ses phrases sibyllines. Voilà pour le coup quelqu’un qui avait au fond véritablement besoin d’aide, du moins est-ce ainsi que j’ai fini par le comprendre. Quand j’ai découvert sa vraie nature, il n’était plus question de morale mais de savoir s’il m’était permis de penser que la psychanalyse d’un tel client pouvait réussir et si une thérapie pouvait le transformer, au point qu’il ne tue plus par exemple, ce qui serait déjà pas mal, voire qu’il se rende aux autorités, passage obligé pour démarrer une nouvelle vie.

Qui est D. ?

D. l’architecte est un homme d’une cinquantaine d’années, plus proche de 60 ans que de 50, redevenu élégant depuis son divorce. C’est un homme intelligent, souvent jovial qui ne cache pas son plaisir à poursuivre la thérapie ; de mémoire, il n’a raté qu’une seule séance. Il est cependant discret quant à ses visites régulières dans mon cabinet et j’ai le sentiment d’un secret bien gardé de sa part, parmi tous les autres secrets qu’il cache précieusement. Ces visites s’interrompent régulièrement pour une période de plusieurs mois, généralement, période pendant laquelle il « va à la pêche » ce que j’ai appris à identifier comme signifiant qu’il part à la recherche de proies.

Citation (fréquente, relevée trois fois, comme s’il faisait ici preuve de vanité) : « l’aventure de l’agence est beaucoup plus excitante sinon fructueuse que les aventures que je vis avec les femmes de rencontre qui se révèlent généralement sans lendemain ».

Pour autant il demeure passionné par son métier et s’y consacre pleinement, d’ailleurs il nomme lui-même sa compulsion à tuer « un hobby ». Mais est-ce le cas ? Dans ces circonstances, il est permis d’imaginer que c’est au contraire son métier d’architecte qui serait l’écran de fumée de sa véritable passion mortifère.

Toujours est-il que la question s’est posée pour moi de traiter D. l’architecte non plus comme un « patient », comme je l’avais fait au début de la thérapie, mais comme un « malade », comme le font mes collègues experts es affaires criminelles généralement horribles. Tout ça pour m’apercevoir que ni l’une ni l’autre des méthodes ne s’avérait efficace.

Est-ce de la perversion ? En tout cas, D. répond à la définition du pervers, qui désigne une inclination à des conduites considérées comme « déviantes » par rapport aux règles et croyances morales d’une société, et tuer les femmes en les étouffant de plaisir avant de les transformer en princesses éternelles est pour le moins, au moins dans notre société, une conduite déviante. Mais D., au travers de la relation à son métier, explique s’affranchir des codes usuels, affirmant ainsi, notamment, adorer le Soleil et la Lune.

– Citation : « il n’y a aucun intermédiaire entre moi et le soleil, dont j’ai l’assurance qu’il sera là demain ; le soleil n’a qu’une seule promesse mais elle n’est pas vaine. Et cette croyance est à la source de mon travail comme elle devrait l’être à celui de tout architecte. La vie débute avec le soleil et la lumière et quitte à élever des temples, autant construire des ouvrages en hommage à un concept qui ne se révèle ni juge ni policier car personne ne peut parler au nom du soleil ou de la lune tandis que parler au nom d’un dieu quelconque, c’est à la portée du premier imbécile venu, la preuve, regardez l’état du monde… »

D., s’il est déviant, l’est donc en toute connaissance de cause et s’appuie pour cela sur un argumentaire construit. C’est ainsi que parle D. ; en parlant de son travail, il ne fait finalement que parler de lui-même et c’est en l’écoutant discourir d’architecture que doit être compris son système mental.

À noter que D. l’architecte est fils unique, une situation qu’il a évoquée à de nombreuses reprises :
– Citation : « [Je suis fils unique] comme Norman Bates, Dark Vador et Hannibal Lecter sont fils unique ».
– Citation : « L’impact sur ma vie, comme sur la vie de tout fils unique – pour les filles, je ne sais pas – est facilement notable et rien de nouveau sous le soleil de la psychanalyse j’imagine mais je me suis souvent posé la question de son impact sur mon travail d’architecte. C’est vrai quoi, et je ne crois pas qu’un quelconque sociologue se soit encore posé la question – ça ferait un bon sujet pour un article savant – ce serait intéressant de comparer l’architecture de celui qui a grandi tout seul avec ses Légos ou ses livres, le père absent, avec l’architecture d’un architecte du Sud-Ouest par exemple ayant grandi au sein d’une grande fratrie de rugbymen et d’une smala de gens qui se tapent sur le ventre ! »
– Citation : « C’est Jung je crois qui explique que « derrière le masque de respectabilité et d’attachement, la puissance négligée de l’amour empoisonne les enfants ».

D. s’identifie donc avec Norman Bates, Dark Vador et Hannibal Lecter – d’illustres tueurs chacun dans son genre, ai-je appris, qu’il semble admirer – mais il peut quasiment dans la même phrase citer Jung, le tout en parlant d’architecture…

En tout état de cause, charmant, cultivé, imaginatif et plein d’humour, D. ne ressemble en rien à l’image habituelle du tueur en série effrayant. Au point qu’il m’arrive encore de douter de la réalité de ce qu’il raconte. Serait-il un formidable affabulateur ? Je suis cependant confortée dans mon analyse par le fait que la police le poursuit activement depuis des années et par le fait que j’ai fait l’expérience, avec autant de détachement que me l’imposent l’éthique et la science, d’avoir avec lui des relations intimes, lesquelles, professionnelles évidemment, m’ont permis de percer le secret de son syndrome de la Belle au bois dormant.

Les victimes

Ses victimes – des femmes blondes aux yeux bleus ou verts – et la façon dont l’architecte D. les tue – il les étouffe dans un paroxysme amoureux – sont le début, le milieu et la fin de son syndrome.

Il me faut ici expliquer mes sources. Elles sont de deux ordres. Le premier est lié au travail effectué par le remarquable Inspecteur Nutello, du service des disparitions inquiétantes à Paris, grâce auquel j’ai pu confirmer mes intuitions. En second ordre, j’ai moi-même eu des relations sexuelles – deux fois – avec l’architecte D. et c’est ce qui m’a permis de comprendre le modus operandi de ses meurtres.

Avant de poursuivre, il me faut encore faire une distinction entre les victimes de D. car il y celles qu’il conserve, nous y reviendrons, et celles qui sont, disons, sur son chemin. Il s’est ainsi débarrassé d’une comtesse en l’enterrant dans une tranchée de chantier. C’est du moins l’hypothèse de la police qui a noté qu’un architecte peut facilement déterminer à quel moment la tranchée sera comblée. Mais pourquoi l’architecte a-t-il tué la comtesse, au risque de se faire repérer puisqu’elle vivait dans son propre immeuble ? D. a décrit un jour lors d’une séance une scène dans l’escalier entre elle et lui, et de la détestation qui les animait tous deux. Cela signifierait-il que D. peut être poussé à bout ? En tout cas, plutôt que le soin méticuleux apporté aux autres assassinats qui nous intéressent, D. semble avoir agi ici sous l’emprise de la colère et de la rage ce qui signifie qu’il ne serait donc pas toujours complètement en contrôle de lui-même malgré sa méticulosité.

De fait, c’est apparemment dans la pile d’un pont à Saint-Nazaire que repose une dénommée Marie-France, meilleure amie de Madeleine, l’ex-femme et associée de D.. qui semblait avoir découvert la vérité à son sujet. D. a d’ailleurs tenté de berner la police en faisant porter ce meurtre sur le dos de sa femme. C’est sur ce chantier dont il avait la charge qu’aurait été enterrée Marie-France, sous des tonnes de béton.

Il y a aussi un certain nombre de victimes que D. ne garde pas et dont on ne connaît pas le nombre exact. C’est quand l’architecte D. va « à la pêche » et, que je sache, il ne garde pas de trophée. Dans ces cas-là, d’après les constatations parcellaires de la police, il semble se débarrasser des corps dans des endroits déserts, souvent en forêt, près d’une rivière. Il possède d’ailleurs une bergerie qu’il a retapée lui-même – il ne m’a jamais dit où elle était mais il a décrit le paysage, une forêt et une rivière, comme là où fut retrouvé le corps de la petite russe… Anastassia, selon mes notes mais je peux me tromper sur l’orthographe exacte du prénom. Bref il semble tout à fait capable de meurtres impulsifs. Qu’est-ce qui les motive ? Une pulsion sexuelle ? Difficile à dire sans corps…

En revanche, les victimes qui nous intéressent ici sont celles que garde D. l’architecte, que des femmes blondes aux yeux bleus ou verts avec lesquelles il a quasiment toujours travaillé sur une période de plusieurs mois à plusieurs années, une constante depuis ses études en école d’architecture. Ce qui laisse à penser que ces assassinats sont clairement prémédités et minutieusement organisés. Sa qualité d’architecte lui donne l’expertise pour planifier ses actions longtemps en amont, comme un projet qui prend dix ans à réaliser entre le premier croquis et la livraison. Il semble vouloir garder ses collaboratrices qui apparemment ne craignent rien tant qu’elles demeurent avec lui. C’est quand elles s’apprêtent à le quitter, au moins à quitter l’agence, qu’elles disparaissent. Il semble parfois entretenir une relation sexuelle avec ces femmes avant cet ultime et final climax, le cas de Géraldine U. en témoigne, mais ce n’est pas une certitude.

Toujours est-il que ses victimes semblent vieillir avec lui, de Amélie C., la petite de la Creuse à Géraldine, l’ingénieure lyonnaise. Encore que, en 2018, date de sa disparition, Géraldine avait onze ans de moins que D.. Géraldine n’est pas la première victime de l’architecte mais c’est d’elle qu’il m’a parlé en premier. Elle était alors encore vivante (à supposer qu’elle soit bien décédée, ce dont nous n’avons aucune preuve formelle me dois-je de préciser). Apparemment Géraldine habitait seule et voyageait souvent, la raison pour laquelle absolument personne ne semble s’être inquiété de son absence.

Ce n’est que longtemps plus tard que j’ai compris le sens de ces paroles :
– Citation : « C’est sur un chantier que j’ai rencontré Géraldine. Elle était ingénieure mais elle et moi on parlait le même langage. C’est après que c’est devenu compliqué ».
– Question : «On parlait le même langage» avec Géraldine. ‘Parlait’, à l’imparfait ? »
– Citation : « Ah Géraldine, c’est fini ! Ca n’allait plus du tout, elle appelait à l’agence, puis elle m’appelait à pas d’heure, elle voulait des explications et ça finissait par m’oppresser, surtout avec l’agence et Madeleine. Alors j’ai mis fin à notre relation, comme un cep que l’on brise d’un coup sec. Schlack ! ».

J’apprendrai beaucoup plus tard également que ce n’est pas ainsi qu’il tue, il ne leur brise pas le cou comme on brise un cep, il les étouffe passionnément !

Le poids des mots, le choc du regard

Dans l’histoire, après mes recherches, je ne crois pas me souvenir d’un tueur en série qui étouffe ses victimes. Pour les autres, c’est en général violent. Mais pourquoi D. l’architecte étouffe-t-il ses proies ? Même si c’est évidemment plus facile de le déterminer rétrospectivement, d’autant plus que j’ai eu l’occasion de vérifier par deux fois son modus operandi en m’offrant à lui, il demeure qu’une série d’indices m’avait mise sur la piste. Une fois de plus, c’est quand il parle de son métier d’architecte que D. exprime le mieux les affres qui le tracassent et qui sont sources de son syndrome. Il a ainsi parlé à plusieurs reprises de la peau de ses bâtiments, des mots qui aujourd’hui prennent tout leur relief.

– Citation : « Prenez un bâtiment, il peut avoir une très belle façade mais on ne sait jamais comment ça marche vraiment à l’intérieur. Pour paraphraser Gainsbourg, il est beau, vu de l’extérieur mais qui sait ce qui se passe à l’intérieur ? Ainsi, parfois, pour transformer un édifice, il suffit donc de lui donner une nouvelle peau, voire une double peau, voire aujourd’hui une peau respirante. Ce sont des choix, si vous souhaitez un ouvrage qui en jette, il faut mettre l’argent dans la façade, faire très attention à la peau en d’autres mots. C’est un choix, et pas toujours un choix de l’architecte, de faire du façadisme, de mettre une nouvelle peau comme une greffe pour un grand brûlé. Parfois la greffe prend, dedans et dehors, et le bâtiment se retrouve avec une nouvelle vie et survivra longtemps, voire très longtemps, à ses contemporains. Parfois la greffe ne prend pas ; cela se voit tout de suite quand le chirurgien esthétique est un charlot. En architecture pareil, il suffit parfois d’un coup d’œil à la façade pour deviner que sans entretien et moult crèmes, cette peau-là va mal vieillir. La peau est un organe fragile chez les humains comme en architecture mais aussi indispensable pour l’une que pour les autres. Comme pour un bâtiment, vous pouvez changer plusieurs fois de peau. Vous pensez que c’est difficile mais non. Dark Vador, si vous enlevez sa peau de méchant derrière laquelle il se cache, il n’impressionne plus personne. La peau est essentielle à l’apparence et doit être préservée ».

Je comprends qu’il peut être difficile pour les lecteurs de voir ainsi comparée la peau d’un bâtiment avec la peau des femmes qu’il assassine mais cette approche est essentielle à la compréhension du fonctionnement de D. qui a développé au fil du temps un mode opératoire où il s’attache à ne pas abîmer la peau de ses victimes. Une obsession qui n’est pas exactement nouvelle puisque dans Dragon rouge, le héros du roman de Richard Harris engraissait déjà des jeunes femmes captives pour en récupérer la peau afin de s’en faire une robe.

Préserver la peau de ses victimes, certes, mais pour quelle raison ? Pour D. l’architecte, sûrement pas pour s’en faire une robe en tout cas. Cette obsession, car il s’agit bien d’une obsession, l’accompagne de longue date puisqu’il l’évoque en parlant de ses études d’architecture. À noter que c’est justement durant ses études que les premières disparitions ont eu lieu, du moins pour celles que nous – c’est-à-dire Dr. Nut, le policier déjà cité, et moi-même – sommes parvenus à identifier des décennies plus tard.

– Citation : « Pendant mes études, comme j’aimais bien dessiner – je dessine moins aujourd’hui, j’ai d’autres hobbies, mais à l‘époque j’aimais ça – je m’étais inscrit à un cours de nu, Léonard de Vinci et tout ça. Certes, ce n’est pas le nu homme qui excitait ma curiosité. Bref, les cours ont démarré et j’étais fasciné par le modèle, une grande femme, blonde cendrée, aux yeux gris, mince avec de longues jambes. Tellement bien faite en quelque sorte qu’elle était facile à dessiner. Au fil du temps, je pris le goût de la croquer non plus quand elle était immobile et posait mais quand elle faisait une pause, allait fumer sa cigarette, discutait avec nous, nue le plus souvent, parfois en hiver sous un imper qu’elle portait et enlevait avec élégance. Je compris alors qu’une femme vivante et nue était cent fois plus belle que n’importe quelle statue, même sculptée par les plus grands, cette femme symbolisait pour moi la beauté d’une statue, mais vivante, émettant de la chaleur ».
– Question : « Donc vous aimez regarder des femmes nues, comme celle que vous dessiniez à vos cours d’anatomie quand vous étiez étudiant ? »
– Citation : « Ce n’est pas une question d’aimer ou de ne pas aimer quand ne demeure dans mes cartons qu’une évocation stylisée. C’est déjà beaucoup c’est vrai et peut-être suis-je au fond nostalgique d’une utopie toute personnelle, ce qui expliquerait pourquoi j’ai l’impression parfois de vivre dans un conte de fées ».

Le voyeur est quelqu’un qui a fait le choix libidinal électif d’un objet / regard et si l’objet est la condition du désir, pour le voyeur le regard en est la condition absolue, expliquait dans son cours Jean-Luc Cacciali de l’Association lacanienne internationale. « Dans sa rencontre avec la division de la subjectivité, le pervers va refuser la fonction de cet objet comme manquant, comme objet perdu », dit-il.

Je ne suis pas certaine cependant que l’architecte D. soit un pervers au sens propre. Qui plus est, s’émerveiller devant un corps de femme n’est certes pas en soi une perversion mais il y a bien en son cas une volonté de conserver « l’objet manquant » qui par définition dans le cas de D. ne manque plus, puisqu’il les garde, et satisfait donc parfaitement à son bonheur et à ses émotions esthétiques.
(À suivre)

Ethel Hazel

Retrouvez tous les épisodes :
– Le syndrome de l’architecte D. – Fondation (1/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Psychose (2/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Chaste polygamie (3/4)
– Le syndrome de l’architecte D. – Conclusion (4/4)

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Par Christophe Leray Rubrique(s) : Le syndrome de l'architecte D.

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