C’était la première visite de presse post-déconfinement et les journalistes étaient venus en nombre en ce jeudi 18 juin ensoleillé pour découvrir la réhabilitation et l’extension du lycée Robert Doisneau, à Corbeil-Essonnes*, réalisées par les agences DE-SO et Terreneuve. L’occasion de découvrir un programme fait pas bien comme il faut !
Ouvert en septembre 1958 en bordure de la RN7, face au quartier des Tarterêts encore inexistant à l’époque et désormais connu pour ses multiples quarts d’heure de célébrité, le lycée Robert Doisneau est l’un des plus importants de la Région Ile-de-France. Accueillant 2 800 élèves, il est un symbole de mixité sociale grâce à la diversité de ses filières, générales, professionnelles, techniques et artistiques et reconnu comme un établissement de référence.
D’où ce concours – maître d’ouvrage, la Région Ile-de-France – lancé en 2009 et dont les architectes de DE-SO (Magali Lenoir et François Defrain, ) et de Terreneuve (Nelly Breton et Olivier Fraisse) proposent la visite dix ans plus tard, en 2020.
Certes le projet est d’envergure – une nouvelle salle de théâtre, un nouveau restaurant pour 2 500 couverts par jour, les rénovations lourdes des deux barres de 150 et 165 m de longueur – mais d’évidence l’interprétation du programme par les agences offre à l’ensemble un caractère contemporain et cohérent autour d’un étonnant espace paysager existant.
Il suffit parfois de pas grand-chose (toutes proportions gardées) : offrir des espaces traversants en rez-de-chaussée des barres et illuminer les espaces de circulation, regrouper les logements de fonction pour leur donner des accès différenciés de ceux des élèves, une passerelle ici qui simplifie d’un coup – en réduisant considérablement les distances – toutes les circulations. Et là, sur une ancienne friche inutilisée, un restaurant lumineux composé de plusieurs salles organisées autour d’un patio et d’une cuisine de 800m² baignée de lumière naturelle, ou encore ce nouveau théâtre – une très belle salle pour un lycée – en articulation avec la ville, différentes entrées étant prévues pour faire vivre l’équipement dans la communauté. Une volonté d’ouverture et d’accueil que ne parviennent pas à contredire les tourniquets de sécurité, désormais obligatoires, qui défigurent l’entrée.
Certes, l’ensemble du travail réalisé est de bonne facture, efficace et sensible. Certes, en site occupé, les travaux devaient être phasés – le restaurant livré en 2016 – mais quand même, dix ans, pour un lycée, c’est le temps de changer trois fois de proviseur, deux fois d’interlocuteur à la Région et une fois de bureau d’études.
D’ailleurs assez vite durant la visite pointe chez les architectes une forme d’humour qui cache une sorte d’agacement, voire une réelle inquiétude quant à l’exercice de leur métier. « Ce fut une aventure financière », explique ainsi François Defrain (DE-SO). On apprendra plus tard que les deux agences ont plusieurs fois pensé à jeter l’éponge – le premier B.E. n’a d’ailleurs pas tenu plus de quelques rounds – avant que leur détermination d’architecte ne l’emporte puisque, de toute façon, à la fin, ils étaient bien les seuls et les derniers à pouvoir porter le projet. Lequel, pour le coup, a bien le droit d’être particulièrement réussi.
Reprenons. Une aventure financière ? « Le concours était à 17M€, nous savions que c’était très, très juste », relèvent les architectes. L’ouvrage finira par en coûter à peu près le double, ce qui est peu ou prou le vrai prix d’un tel équipement, et encore, sans gras. Pour info, en septembre 2019, le coût du lycée en paille de CRR Architecture à Clermont-Ferrand, prévu pour 1 100 élèves, soit moitié moins qu’à Corbeil, était estimé à 46M€ !
Aussi, tandis que le groupe de journalistes découvre l’ancien internat transformé en salles de classe de musique et de théâtre, ce n’est pas tant le coût final du projet que le delta avec celui du concours qui interpelle.
Tiens par exemple, le coût des toitures et de la peinture n’était pas prévu au programme, ni le désamiantage à 900€/m2, pas plus que le coût de la base de vie du chantier durant les différentes phases. Sans parler des vingt bâtiments provisoires qui seront nécessaires au fil d’un chantier qui ne comptera pas moins de huit livraisons partielles. Alors évidemment, à ce compte-là, le programmiste pouvait faire des économies.
Plus préoccupant cependant que les oublis d’un programmiste tête en l’air, et plus sournois sans doute, ce programme était conçu comme un projet technique et de mises aux normes thermiques : « une liste de courses », souligne François Defrain, qui n’a que peu à voir avec l’architecture.
Le restaurant et le théâtre si bien ajustés aux limites de la parcelle ? Contraires à l’hypothèse du programme ! Pourtant, « ces pavillons neufs indépendants permettent de préserver la cour centrale et les grandes qualités paysagères de ce campus de huit hectares », soulignent les architectes. Contraires à l’hypothèse du programme également les logements de fonctions autonomes, avec circulations dédiées, tout en répondant aux exigences d’isolement de sécurité incendie. Etc.
Dit autrement, à visiter le projet réalisé, s’apercevoir que ce sont les architectes qui ont fait le programme. Et l’impression que projet serait allé sans doute plus vite s’ils s’en étaient occupés dès le début avec le maître d’ouvrage.
Alors à quoi sert un programmiste professionnel ? « Nous sommes l’un des seuls pays avec des programmistes. Ailleurs, des projets gigantesques sont développés avec un programme qui tient sur une feuille A4. Le projet est dès le début une collaboration entre le maître d’ouvrage et l’architecte », souligne François Defrain dont l’agence compte un bureau au Vietnam et travaille régulièrement à l’étranger.
De fait, au-delà d’un programme et d’un budget qui, en l’occurrence à Corbeil, ne correspondent plus à rien, le fond du problème est que le cadre programmatique imposé aux architectes est devenu si rigide qu’il ne fonctionne plus aujourd’hui.
C’est tendance. Le PLU parisien par exemple est un document – que dis-je, un tome – extrêmement exigeant et complexe où tout est déjà prédigéré à la virgule près. Que l’architecte adhère ou non, peu est laissé à son imagination, voire à son interprétation. Et, les architectes le savent bien, dès qu’ils proposent de changer un élément de programme, il faut refaire un appel d’offres.
Pour quel résultat ? François Defrain d’évoquer « le temps de vie d’un bâtiment » au travers de l’exemple du Centre Pompidou (Beaubourg) à Paris.
Beaubourg, à l’époque de sa construction, était conçu par Renzo Piano et Richard Rogers comme un lieu entièrement ouvert. Puis au fil des alertes de sécurité, il est devenu de plus en plus clos. Il était possible d’y pénétrer de tous côtés, il n’y a plus qu’une seule entrée. Et la dernière rénovation proposée prévoit des cloisonnements et le visiteur ne pourra plus aller partout. « Même l’école d’architecture de Nantes de Lacaton & Vassal n’a pas pu résister au dévoiement de l’usage, il n’y a plus qu’une seule entrée bien gardée. Si l’architecture est le reflet de la société, que nous dit le devenir du Centre Pompidou ? Or prévoir l’avenir, préfigurer, cela fait partie de notre métier », relève François Defrain.
Il a raison. L’architecture, portée par l’époque, est devenue vulnérable. Il y a désormais un mur autour de la Tour Eiffel et tout le monde va bientôt oublier qu’avant l’on si promenait librement. C’est tout à l’honneur de DE-SO et Terreneuve de n’avoir pas transformé le lycée de Corbeil en bunker.
Alors, pour en revenir au programme et au programmiste, pourquoi ce besoin désormais de tout formaliser dans le détail au point que les architectes s’épuisent à répondre à des injonctions contradictoires, quand elles ne sont pas idiotes ? Question de confiance comme le suppose François Defrain ?
De fait, il semble désormais impossible de construire quoi que ce soit, n’importe où en France, sans que tout ne soit déjà écrit en amont avec moult paragraphes savants et des sous-textes et des alinéas qui renvoient aux articles du code de la planète Zorg. C’est en effet sans doute ce manque de confiance entre interlocuteurs, envers les architectes en particulier, qui est le plus flippant. « On peut écrire tout ce qu’on veut mais plus une réglementation est longue, plus elle révèle surtout une profonde inquiétude, inverse à la notion de projet », note François Defrain.
Démunie et inquiète, la maîtrise d’ouvrage publique et privée teste de nouvelles méthodes mais, qu’il s’agisse des projets Réinventer – l’architecte et le promoteur – ou de la conception-réalisation – l’architecte et l’entreprise – dans les deux cas, le/la maître d’œuvre se retrouve dans le rôle d’un second couteau. Et comme de moins en moins de confiance est accordée au second couteau, on l’entoure d’experts plus ou moins intéressés qui à leur tour vont noircir de nouvelles pages d’injonctions contradictoires.
Sans compter qu’une agence peut bien gagner des concours, elle n’est aujourd’hui jamais sûre que ces projets se feront jamais tant les aléas s’accumulent au fil de législations, réglementations, recours et autres normes à rallonge.
Alors oui, à la sortie du déconfinement, si l’architecture en témoigne, la visite du lycée de Corbeil à elle seule nous en dit plus de notre société que tous les grands discours. Question de programme sans doute…
Christophe Leray
**Pour découvrir la présentation détaillée du projet, lire A Corbeil, pour DE-SO et Terreneuve, le lycée, ce n’est pas de la Tarterêt !