
« Vous avez exposé les entrailles du bâtiment comme un étal dans une boucherie industrielle : cru, bruyant et indigeste ». Lettre à Renzo Piano et Richard Rogers signée Venus, Rihab et Lea.
Ce texte est issu d’un atelier d’écriture critique (critical writing workshop) qui s’est tenu à Paris au printemps 2025 à l’Institut d’architecture Confluence. Après avoir chacun individuellement visité avec les yeux de Chimène le Musée du Quai Branly ou le Centre Pompidou et rédigé chacun un premier rapport, les étudiants devaient, par groupe de trois ou quatre – de l’individuel au collectif – en proposer une lecture critique, autant que possible. L’atelier a produit six textes, trois consacrés au Quai Branly, trois autres au Centre Pompidou. Revue de détail de ces monuments bâtis par des Pritzkers par les étudiants d’architecture d’aujourd’hui.*
Messieurs les architectes,
Permettez-nous d’ouvrir ce débat par une question simple : quel degré de surdité urbaine justifie l’implantation d’un vaisseau technologique aux entrailles exposées au cœur du Paris historique ?
Le Centre Pompidou a été qualifié de bien des manières : radical, visionnaire, rebelle. Mais sa qualité la plus durable réside peut-être dans son exigence de se faire remarquer. Dans une ville où l’élégance murmure habituellement, Beaubourg crie. Ses canalisations aux couleurs vives et ses escalators tentaculaires ne se contentent pas d’attirer l’attention ; ils la détournent.
Au lieu de sublimer l’art qu’il abrite, le bâtiment lui fait concurrence. Les néons et les escalators sinueux semblent parachutés d’un autre monde, indifférents à celui où ils ont atterri.
Dans un quartier où le patrimoine architectural tisse une continuité séculaire, le Pompidou ne s’insère pas ; il s’invite comme un intrus. Il ne provoque pas le dialogue ; il domine la conversation. Il ne s’agit pas d’une perturbation au service du progrès ; c’est une agression esthétique, un acte de vandalisme institutionnalisé.
Ce contraste était conçu pour être puissant. Un outil pour démocratiser les arts et se débarrasser de l’élitisme. Mais la rébellion semble performative, comme si elle était devenue un objectif plutôt qu’un outil. Elle n’a pas vieilli en donnant du sens ; elle est devenue obstination.
L’externalisation des fonctions : une idée brillante, une exécution brillamment ratée
Il faut saluer votre audace conceptuelle : rendre visibles les systèmes techniques du bâtiment, externaliser ses organes internes pour libérer l’espace intérieur. Une idée ingénieuse sur le papier… sauf que, dans votre empressement à externaliser, vous avez oublié d’établir une hiérarchie.
Le résultat ? Une façade fragmentée et illisible où les tuyaux d’évacuation sont pris pour des conduits de ventilation, le tout dans une cacophonie chromatique digne d’un schéma de plomberie soviétique. Ce n’est pas de la transparence fonctionnelle, c’est un fouillis monumental. L’intention pédagogique se perd dans une complexité décorative inutile.
Au lieu d’apprendre du bâtiment, le public est déconcerté par cette exubérance technique qui frise la caricature. Externaliser, c’est bien. Mais il aurait fallu faire preuve d’une clarté d’expression qui ne sacrifie pas la lisibilité à la mise en scène structurelle.
Vous avez exposé les entrailles du bâtiment comme un étal dans une boucherie industrielle : cru, bruyant et indigeste.
Coûts d’entretien
Le Centre Pompidou, avec ses canalisations apparentes et son théâtre mécanique, a été construit avec l’idée de tout montrer. Mais cette transparence radicale a un prix élevé : corrosion, fuites, défaillances des systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation et réparations constantes. Chaque escalator représente un risque de maintenance ; chaque canalisation, un risque.
Le bâtiment est devenu le théâtre d’un entretien incessant : ouvertures pour restaurations, fermetures pour sécurité, vidant les fonds publics. Sa dernière rénovation à elle seule a coûté plus de 260 millions d’euros, auxquels s’ajoutent des millions dépensés chaque année pour son seul maintien en activité. On peut se demander s’il a été conçu davantage comme une expérience de maintenance que comme un musée.
Matérialité
À Pompidou, la matérialité n’est pas discrète : c’est un spectacle. L’acier, le verre et le PVC sont exposés aux éléments, vieillissant visiblement et bruyamment.
Cette structure audacieuse privilégie l’impact visuel au confort ou à la durabilité.
Peinture écaillée, joints rouillés et matériaux absorbant la chaleur rendent le bâtiment rude en été et fragile toute l’année.
Conçu comme une exposition d’ingénierie, il ressemble aujourd’hui à une sculpture cinétique en déclin, sans cesse rapiécée, repeinte et résistant au temps, mais à un prix. Les matériaux ne se débattent pas : ils se corrodent.
Circulation incompréhensible
Se déplacer au Centre Pompidou donne l’impression d’errer dans un labyrinthe. Escaliers superposés, escalators déconnectés et couloirs sans issue créent plus de confusion qu’ils ne relient.
Ce qui devait être une circulation fluide entre l’intérieur et l’extérieur devient décousu et frustrant.
Les intérieurs froids et industriels brouillent la frontière entre musée et machine. Même les espaces gris inutilisés donnent l’impression d’opportunités gâchées, de vides qui résonnent.
Centralisation et accès à la culture : une noble cause devenue non accueillante
Parlons enfin de votre noble ambition : centraliser le savoir, démocratiser l’accès à la culture et faire du Centre Pompidou une cathédrale contemporaine dédiée à l’intelligence collective.
L’intention est admirable, mais le contenant l’est-il tout autant ? L’immensité froide du parvis, la verticalité imposée de la circulation et la sensation d’entrer dans une usine plutôt que dans un espace de vie culturelle n’invitent guère à la déambulation ou à la contemplation.
Le Centre Pompidou incarne une centralisation autoritaire du savoir, là où une diffusion plus douce et plus organique aurait peut-être mieux servi vos idéaux démocratiques.
La transparence et l’ouverture supposées, censées symboliser la démocratisation des arts, ressemblent moins à une véritable accessibilité qu’à un alibi conceptuel pour les préférences esthétiques des architectes.
Plutôt que d’inviter le public, la structure apparente et l’immensité du bâtiment intimident, renforçant finalement l’élitisme même auquel il prétend s’opposer.
Le bâtiment revendique une vocation universaliste mais, en pratique, il érige des barrières symboliques : il impressionne plus qu’il ne rassemble, il impose plus qu’il ne propose.
Si, chers architectes, votre objectif était de rendre l’art accessible, pourquoi l’envelopper dans une enveloppe aussi intimidante ? Vous avez construit une forteresse culturelle, là où il fallait une place publique.
Cordialement,
Venus, Rihab, Lea
Paris, 14 mai 2025
Lea Haddad (1er cycle ; 4ème semestre)
Rihab Rachad (1er cycle ; 4ème semestre)
Venus Mbadou (1er cycle ; 6ème semestre)
* Les six textes
– Quai Branly – Si l’objectif était de dérouter les visiteurs, c’est réussi
– Beaubourg – Une cacophonie chromatique digne d’un schéma de plomberie soviétique
– Quai Branly – Un musée bâti sur le silence et l’amnésie coloniale
– Beaubourg – la façade du Centre Pompidou est un raté architectural
– Quai Branly – Safari des Sens où consommer l’Autre
– Beaubourg – Quand l’architecture devient un plan de maintenance